CHAMPIONNATS DE FRANCE

16 décembre 2022

Interview Bruno Massot


Le champion olympique Bruno Massot était présent aux championnats de France Elites de Rouen, en tant qu'entraîneur d'Oxana Vouillamoz et Flavien Giniaux, deuxièmes de la compétition couples.

 

Solène : Comment se sont passés ces championnats de France ?

Bruno : Le programme libre d'Oxana et Flavien n'était pas parfait mais ils ont réalisé une bonne performance. Ils battent leurs records de points lors des deux programmes. Avec plus d'expérience, les scores progresseront encore.

 

Solène : Comment as-tu commencé à travailler avec eux ?

Bruno : Je travaillais en Suisse. Oxana est Suisse, Flavien est de Paris mais il était venu en Suisse pour faire des essais de couple. Cela fonctionne beaucoup par le bouche à oreille. Certains patineurs me contactent directement. 

 

Solène : Comment vis-tu cette nouvelle vie d'entraîneur ? 

Bruno : Très bien ! Je me sens bien mieux de ce côté là de la barrière. C'est moins fatiguant (rires) ou disons différemment. J'adore ce que je fais ! Sur glace, je travaille seul et je me suis entouré d'une équipe de médecins, kinés, préparateur mental et préparateur physique. 

 

Solène : Oxana et Flavien ont surpris le public aux championnats du monde juniors en mars 2022, en tentant un quadruple Salchow lancé. D'où est venue cette ambition ?

Bruno : Ils n'avaient rien à perdre sur cette compétition, donc c'était l'occasion d'essayer ce saut. Il faut bien une première fois. Nous avons prévu de le remettre bientôt dans le programme libre mais je travaille d'abord avec eux sur l'acquisition d'expérience, être plus minutieux, enlever les erreurs... Le risque du quadruple est d'être trop concentré sur le saut et d'être "à l'arrache" sur le reste du programme. Ils le réalisent régulièrement à l'entraînement mais nous attendons le bon moment.

 

Solène : Avec Aljona, vous aviez tenté le quadruple Salchow et le triple Axel lancés lors de plusieurs compétitions, mais vous avez finalement obtenu vos plus belles médailles (l'or olympique et l'or mondial) sans ces sauts. Pourquoi pousser Oxana et Flavien dans cette direction ?

Bruno : Ce sont eux qui me poussent ! Quelqu'un leur avait dit qu'il y avait de la place pour un quatrième tour, donc ils ont eu envie d'essayer il y a environ un an. Je n'étais pas favorable au début. Je trouvais qu'ils manquaient d'expérience et j'avais peur d'une blessure, mais j'ai décidé de leur faire confiance et j'ai eu raison. Ils sont très solides. Ils me poussent constamment pour réaliser de nouvelles choses. Ils ont réussi le quadruple twist au sol. Ils sont fous (rires). Mais il leur faudra encore de l'expérience pour réussir régulièrement des éléments aussi compliqués.

 

Solène : Nous sommes dans une année de transition pour le patinage de couple. Comment le vois-tu ?

Bruno : Je dirais plutôt une année de développement. Je veux développer la discipline en France, ce qui n'a jamais vraiment été fait. Il y a eu un bon résultat de temps en temps avec un couple français, mais nous n'avons jamais eu beaucoup de couples. Nous y travaillons, avec les autres entraîneurs et les autres centres. Je pense que nous sommes sur la bonne voie. Aux Masters cette année, nous avions six couples. Nous avons aussi organisé un regroupement avec huit ou neuf couples. Comme dans toute période de développement, il y a des hauts, des bas et des séparations... C'est une discipline compliquée, mais nous allons dans la bonne direction. A l'international nous sommes en année post-olympique, donc il est normal que les jeunes prennent la place des anciens. Le niveau devrait être un peu plus haut l'année prochaine.

 

Solène : A la finale du Grand Prix à Turin, un couple japonais junior, Haruna Murakami et Sumitada Moriguchi a réussi la combinaison parallèle la plus difficile jamais réalisée en compétition ISU : triple Salchow triple boucle piqué double Axel. Les as-tu vus ?

Bruno : Oui c'est une très belle combinaison mais il faut savoir que ce sont deux patineurs individuels qui commencent le couple, donc évidemment ils savent faire tous les triples sauts. Ils ont bien raison d'utiliser cette force et j'espère pour eux qu'ils la garderont, mais en progressant dans la discipline, en travaillant les portés et les twists notamment, les corps changent et les sauts deviennent plus compliqués. Je ne suis pas sûr qu'ils arrivent à conserver leurs sauts individuels à ce niveau.

 

NB : Après notre interview, ce couple est devenu champion du Japon, en l'absence des vice-champions du monde Riku Miura et Ryuichi Kihara. Ils ont également concouru dans la catégorie individuelle, se classant 7ème pour Sumitada et 17ème pour Haruna.

 

Solène : Meagan Duhamel et Aljona m'ont toutes deux dit en interview qu'elles trouvaient le programme libre trop court et que les patineurs manquent de temps pour réaliser les éléments. Qu'en penses-tu ?

Bruno : On voit que ce ne sont pas elles qui portent (rires) ! Non je ne suis pas d'accord. Le programme doit être harmonieux et les éléments doivent être positionnés dans le bon ordre en fonction des athlètes. Je dis toujours à Oxana et Flavien de prendre leur temps, de ne pas se précipiter. Quand on prend son temps, on finit à l'heure, et les éléments sont plus faciles. Le programme libre est passé de 4min30 à 4min, mais il y a aussi une pirouette en moins. Pour le public, quatre minutes sont déjà longues quand le programme ou la musique ne plaisent pas. Pour les patineurs, il faut réussir à les tenir ces fameuses quatre minutes avec deux lancés, un Twist, quatre portés... Cette durée me semble être un bon compromis, ni trop courte ni trop longue. 

 

Solène : Lors de notre interview, Aljona m'avait également mentionné avoir envisagé un quadruple Axel lancé... 

Bruno : Non... On ne peut pas envisager un quadruple quand le triple n'est pas stable. Nous avions fait des milliers d'essais de triples Axel, très peu ont été parfaits. Il faut y aller étape par étape. Aljona a toujours vu les choses en grand. Elle tenait beaucoup à inclure des quadruples dans nos programmes, jusqu'à ce que nous gagnions la finale du Grand Prix avec un record de points, sans quadruples. C'était deux mois avant les Jeux Olympiques. Il faut savoir jouer avec le règlement. Les juges aiment les programmes propres. 

 

Solène : Quelle recommandation aurais-tu pour aider la discipline de couple à se développer ?

Bruno : Il faudrait que le règlement soit moins strict. Nous avons tous les mêmes programmes avec les mêmes éléments. Le problème se pose aussi dans la catégorie individuelle. Nous n'avons plus de liberté. Nous appelons cela un programme libre mais nous ne le sommes plus. Le règlement est très strict et précis. C'est difficile d'innover. 

 

Solène : Quels couples et patineurs individuels apprécies-tu actuellement ?

Bruno : Riku Miura et Ryuichi Kihara montrent une fluidité et une rapidité impressionnantes. Je les suis depuis longtemps. Je regarde moins les programmes des patineurs individuels, mais je trouve que Kevin et Adam ont des programmes très intéressants et innovants, avec une très belle glisse. Lors des Grands Prix Juniors, j'ai beaucoup apprécié Mao Shimada aussi, elle est magique !


par Solène MATHIEU pour Skate Info Glace