SKATE CANADA

28 octobre 2022

Interview - Meagan Duhamel


Meagan Duhamel était dans les gradins au Skate Canada. Pas en tant qu'entraîneuse ou patineuse, mais en tant que spectatrice, car Meagan est avant tout une passionnée de notre sport. Lorsque la double médaillée olympique entre en salle de presse pour notre rendez-vous, les bénévoles et organisateurs se pressent pour la saluer. Nous nous éclipsons ensuite pour cette interview :
 
Solène : Vous êtes présente au Skate Canada ! Qu'avez-vous pensé des programmes courts de ce jour ?
Meagan : J'ai regardé sur Internet les programmes des dames et de la danse car je gardais mes filles. L'équipe canadienne a très bien patiné. Je vais pouvoir regarder les hommes et les couples dans les gradins maintenant !
 
Solène : Vous semblez aimer sincèrement le patinage bien au-delà d'une carrière ou d'un travail.
Meagan : Je suis une fan en fait ! D'ailleurs j'ai acheté mes billets pour la compétition. Je serai dans le public, avec un ami qui est fan et non patineur. A l'époque où je patinais je disais à tout le monde que j'étais moitié patineuse moitié fan. J'ai toujours eu ces deux facettes en moi et quand je choisissais des musiques pour nos programmes, je me mettais toujours à la place du public pour faire des choix qui leur plairaient et leur parleraient.
 
Solène : Quels patineurs appréciez-vous particulièrement actuellement ?
Meagan : J'admire beaucoup Ilia Malinin. J'apprécie toujours les patineurs ambitieux qui repoussent les limites techniques. Côté couple, la scène internationale a beaucoup évolué. L'année dernière, Sui/Han et Mishina/Galliamov étaient mes préférés. Cette année, c'est Miura/Kihara, mais je sais que je ne suis pas très objective puisqu'ils sont entraînés par mon mari. Cette énergie et cette passion qu'ils montrent dans leur patinage m'a toujours plu. 
 
Solène : Qu'avez-vous pensé du quadruple Axel d'Ilia Malinin ?
Meagan : J'étais admirative mais pas surprise puisque Hanyu et Dmitriev s'y étaient déjà essayé. Ilia l'avait réussi au Challenger à Lake Placid, mais au Skate America le public est devenu fou ! Ils ont applaudi jusqu'au saut suivant. Je me suis demandée s'il allait réussir à rester concentré ! J'espère que cela contribuera à mettre le patinage en avant et nous apportera de nouveaux spectateurs.
 
Solène : Que faites-vous en ce moment ? Qu'est ce qui vous occupe ?
Meagan : Mes deux filles ! Elles ont 3 ans et 3 mois. Après la naissance de ma dernière, j'ai repris le travail avec un programme d'entraînement hors glace pour les patineurs. Je pense que cela m'a beaucoup aidée lorsque j'étais patineuse. J'ai patiné huit ans au plus haut niveau en faisant des sauts dangereux comme des quadruples lancés, des triples Lutz, des Twists, sans jamais me blesser et j'attribue cette réussite à mon travail hors glace. Aujourd'hui, je suis entraîneur hors glace et j'organise des sessions avec d'autres spécialistes pour les patineurs : stretching, théâtre/interprétation, cardio et Pilates. Je m'occupe directement du cours de cardio et je gère les intervenants pour les autres disciplines. Ce programme se passe dans la patinoire où mon mari, Bruno Marcotte, entraîne le couple japonais Miura/Kihara.
 
Solène : Aviez-vous le sentiment que les patineurs négligeaient cette partie hors glace ?
Meagan : C'était le cas il y a 10 ou 15 ans. C'est mieux pris en compte aujourd'hui et nous savons que c'est aussi important que le travail sur glace. C'était mon secret de réussite quand je patinais : entraînement hors glace, nutrition et suivi psychologique. C'est indispensable pour réussir. Quand les athlètes se blessent une première fois, ils sont plus attentifs à la partie hors glace ensuite. Mais autant le faire avant de se blesser, en prévention.
 
Solène : Beaucoup de patineurs, à tous les niveaux, veulent surtout sauter !
Meagan : Même hors glace ils veulent tout le temps sauter (rires) ! J'inclus des sauts hors glace dans le programme d'entraînement que je propose, c'est nécessaire et je sais que les patineurs adorent sauter. J'essaie de faire évoluer les mentalités des patineurs ou même de certains entraîneurs. Par exemple, travailler la position de réception des sauts est aussi important que travailler la rotation. Je vous avoue que nous avons parfois du mal à motiver les jeunes patineurs sur les cours de Pilates ou stretching, mais j'insiste !
 
Solène : C'est une année de renouvellement pour le patinage de couple. Qu'en pensez-vous ?
Meagan : Oui, nous sommes dans une année de transition. Les Russes et les Chinois sont absents. Cela crée des opportunités pour des couples moins connus. Les Américains et les Japonais sont très bons. Les Canadiens Deanna Stellato-Dudek et Maxime Deschamps vont viser des médailles cette année, ainsi que les Géorgiens Safina/Berulava, champions du monde juniors. En dehors de ces quelques couples, c'est très ouvert. Je vois des jeunes couples avec beaucoup de potentiel. Ils n'auront peut-être pas de résultats immédiatement, mais cela pourrait arriver plus tard, éventuellement avec un nouveau partenaire. Nous devons aussi encourager des patineurs en individuel à s'essayer au couple. Je vois beaucoup de patineurs chez les novices, juniors ou même seniors qui seraient de très bons partenaires de couples, mais ce n'est pas dans notre culture. On semble attendre que les patineurs suggèrent d'eux-mêmes d'essayer le couple alors que nous devons les y aider. Quand j'étais adolescente, je patinais en individuel et en couple. Je me souviens avoir demandé à ma fédération et à mon entraîneur ce que je devais choisir. Je n'avais pas assez d'argent pour continuer les deux disciplines, je travaillais pour financer ma passion. Personne ne me disait quoi faire ! J'ai fini par quitter le couple pour patiner en individuel, puis j'ai fait marche arrière et j'ai quitté l'individuel pour faire du couple. Je parle surtout des couples au Canada, je connais moins la situation en Europe.
 
Solène : En France, six couples étaient présents aux Masters. Il semble y avoir un renouveau et Bruno Massot, que vous connaissez, est devenu entraîneur.
Meagan : Oui j'ai vu que Bruno entraînait des couples maintenant, avec quelques très bons patineurs. En Italie je trouve que le patinage de couple va aussi dans une bonne direction. Nous devons encourager tous ces jeunes à participer à des Challengers et des Grands Prix juniors. L'expérience et l'émulation sont nécessaires.
 
Solène : Que pensez-vous du programme libre tel qu'il existe actuellement chez les couples ? Vous aviez mentionné précédemment qu'il était trop court.
Meagan : Le programme libre dure 4min contre 4min30s auparavant. Nous avions déjà des difficultés à inclure tous nos éléments dans ces 4min30s. Je ne sais pas comment les couples font maintenant en quatre minutes ! C'est une course et ils se précipitent d'un élément à un autre. Nos éléments techniques prennent beaucoup de temps de préparation. Pour un Twist, il faut prendre beaucoup d'élan et pour avoir les meilleurs niveaux, il faut une séquence de pas avant. Pour les portés, il faut couvrir beaucoup d'espace sur la glace pour obtenir les meilleures notes. La nouvelle règle sur les séquences de saut prend également du temps : il est plus long de se retourner pour faire un Axel que d'enchaîner avec un boucle piqué. Pour les spirales, il faut maintenir la position trois tours. Tout cela prend beaucoup de temps ! Un des objectifs devient d'obtenir le maximum de GOE et de niveaux en un minimum de temps, et du coup la chorégraphie en souffre. 
 
Solène : Revenons côté Canada, que pensez-vous du parcours de Deanna Stellato-Dudek et Maxime Deschamps ?
Meagan : Ils ont été très bons au Nebelhorn Trophy et au Skate America ! En fait j'avais suggéré à Deanna de faire un essai avec Maxime il y a quelques années. Je ne suis pas surprise de leur succès, je le voyais venir ! Je suis très admirative du parcours de Deanna et de ce qu'elle arrive à faire à 39 ans. Quant à Maxime, nous nous sommes entraînés dans le même centre pendant des années. Il est très persévérant et leurs parcours sont remarquables.
 
Solène : Vous n'hésitez pas à donner votre avis sur le patinage et les problèmes qu'il rencontre actuellement. Comment le ressentez-vous ?
Meagan : J'ai toujours ressenti un besoin de justice, que ce soit concernant les autres ou moi-même, dans le patinage ou dans d'autres domaines. Mon frère est pareil, ça doit être de famille. Je n'ai pas apprécié l'injustice que les patineurs ont subie aux Jeux Olympiques. Ils n'ont pas reçu leur médaille et on leur a volé leur gloire olympique. C'est très frustrant et nous avons l'impression que rien ne se passe pour y remédier, même si je sais qu'il y a sûrement des avancées en coulisses dont je n'ai pas connaissance. Si tout le monde a peur et personne ne parle, rien n'avance. Je peux comprendre que les athlètes aient peur. On m'a souvent dit, ou on a dit à mon mari, qu'il fallait que je me taise. Non, je ne me tairai pas. Je veux que les choses évoluent. Ces médailles olympiques n'ont rien à voir avec moi mais je veux une justice pour les sportifs. Je veux aussi qu'on puisse aider les enfants patineurs en Russie. Je ne suis pas la seule à parler, des fans le font aussi, mais je suis peut-être davantage écoutée grâce à ma carrière.
 
Solène : Dans un documentaire consacré à Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, Gabriella mentionnait son incompréhension sur la pression qu'ont les patineuses à être bien maquillées et coiffées en permanence. Vous aviez également réagi sur ce sujet.
Meagan : Comme vous le voyez, je ne suis pas maquillée aujourd'hui ! Quand je patinais en compétition, j'étais très concentrée sur mon échauffement, mes entraînements, mes étirements et mes repas mais je voyais d'autres patineuses qui étaient surtout concentrées sur leur coiffure et leur maquillage ! J'étais surprise ! On voulait nous voir patiner ou voir nos cheveux ? Je voulais avoir confiance en moi donc je faisais attention à mon apparence, mais cela me prenait maximum 5 minutes. J'avais entendu que les danseuses se levaient très tôt pour se maquiller et se coiffer. Je n'avais jamais trop compris pourquoi. C'est important que Gabriella en ait parlé dans ce documentaire. C'est la première fois que quelqu'un le dit aussi clairement, et cela ne m'étonne pas que ce soit elle connaissant sa personnalité. J'étais contente d'entendre que je n'étais pas seule à avoir ressenti cela. D'ailleurs, avons-nous vraiment besoin de ces costumes ? Peut-être pourrions nous patiner en pantalon et haut noirs. On nous jugerait uniquement sur notre patinage. J'ai eu cette conversation avec Tessa Virtue d'ailleurs sur les tenues noires et elle était complètement d'accord.
 
Solène : J'ai entendu dire que vous parliez un peu Français ?
Meagan : J'étudie le Français depuis des années, d'abord à l'école puis par moi-même mais j'ai quelques difficultés. Je peux lire un article et en comprendre une bonne partie, mais je ne peux pas parler ou conjuguer vos verbes (rires).

Solène MATHIEU pour Skate Info Glace