© Kate Royan - S.I.G.
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INTERVIEW 2 EN 1

Vanessa James et Eric Radford

2ème partie - Championnats du Monde 2022 Montpellier


26 mars 2022. 5èmes du programme court couples, et seconds du programme libre, ils repartiront de Montpellier avec une très belle médaille de bronze. Ils sont détendus, heureux et souriants quand je les retrouve en salle de presse le lendemain de leur excellent résultat. 

 

Kate : Alors, quel bilan tirez-vous de cette saison ?

 

Eric Radford : Incroyable ! Tout a été incroyable ! Chaque journée d'entraînement a été formidable, source d'inspiration. Bien sûr, nous avons eu des hauts et des bas. Parfois nous n'avons pas réalisé la performance que nous souhaitions. Mais maintenant nous avons bouclé la boucle et nous pouvons regarder en arrière, évaluer notre saison dans son intégralité, et nous sommes vraiment très heureux de ce que nous avons réalisé. 

 

Kate : Vous vous attendiez à remporter une médaille ici ?

 

Vanessa James : Franchement, on ne s'attendait à rien de précis. Participer à ces championnats était déjà inattendu en soi. Chaque fois que l'on participe à une compétition, c'est pour patiner le mieux possible, faire notre job, et laisser notre patinage parler pour nous. Je pense que nous y sommes parvenus hier et j'en suis ravie. La médaille, c'est la cerise sur le gâteau. Nous ne nous y attendions pas, c'est sûr, mais on devrait toujours espérer le meilleur pour soi-même.

 

Kate : Que ressent-on quand on gagne une nouvelle médaille mondiale avec un autre partenaire ? 

 

Vanessa : C'est complètement fou ! 

 

Eric : C'est vraiment cool de vivre cette expérience avec deux personnes différentes. Chacune de nos carrières avec nos partenaires est ressentie différemment, chacune représente quelque chose de différent. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai souhaité reprendre la compétition : faire l'expérience avec Vanessa. Je ne serais sans doute pas revenu avec quelqu'un d'autre. Je me sens privilégié d'avoir eu cette opportunité, d'avoir vécu deux vies dans le patinage en quelque sorte. Après les succès que j'ai eus avec ma partenaire précédente [Meagan Duhamel], je ne m'attendais pas à revivre les choses aussi intensément et différemment. Je ne pensais pas non plus que j'avais déjà tout vu et tout connu. Mais je ne m'attendais pas à revivre une telle joie et d'une autre manière avec quelqu'un d'autre. Je ressens quelque chose de très spécial que je ne peux pas vraiment décrire...

 

Kate : Vanessa, en mixed zone après le programme court, tu as dit à la presse que tu avais toujours été, avant tout, une patineuse puissante et qu'Eric t'avait permis de développer ton élégance. Nous nous sommes tous insurgés en répondant que tu étais déjà élégante avant (rires). Puis je t'ai regardée de plus près pendant le libre hier et effectivement, j'ai noté dans ton patinage, une douceur qui n'existait pas auparavant. Je ne parle pas d'élégance, que pour moi tu as toujours eue, mais vraiment de douceur. Comment expliques-tu cela ? Elle vient de votre façon de glisser ensemble, de la musique, de la façon dont vous ressentez tous les deux les choses ?

 

Vanessa : Un peu de tout ça à la fois. Avec Morgan, si j'avais essayé d'être plus harmonieuse dans mes gestes, ça n'aurait pas fonctionné car notre patinage était plutôt athlétique. Eric m'a vraiment amené ce calme et cette confiance qui me rendent plus douce. Il a confiance en mon style, mes gestes, ma sensibilité. On a réalisé qu'on avait toujours eu la même façon de ressentir les choses et ça s'est transposé dans notre patinage. Nous avions aussi déjà le même style de lignes sur la glace. Mais la douceur est venue du toucher, des mouvements, des sentiments que nous éprouvons ensemble. Nous arrivons à ne faire qu'un. En fait, je suis devenue plus comme Eric. 

 

Kate : Je me trompe ou Morgan était plutôt instinct et puissance quand Eric est délicatesse et émotion ? Ce n'est pas du tout péjoratif envers Morgan, c'est juste différent. 

 

Vanessa : C'est tout à fait ça. Ce n'était pas du tout le même style de patinage. Ca me convenait à l'époque parce que je ne me savais pas capable de patiner autrement. Faire l'expérience des deux est ultra enrichissant. 

 

Kate : Je vais maintenant vous poser la question rituelle : quels sont vos plans pour l'avenir ? Je sais que vous allez me répondre que vous ne savez pas ! (rires) Comment vous sentez-vous physiquement ?

 

Eric : Il est clair que nous ne nous sentons pas comme il y a dix ans. Je suis ravi, et aussi surpris, de constater que de ce côté la saison s'est bien passée. Au début, notre principale crainte était de nous blesser. Je me disais que si quelque chose devait nous empêcher d'avoir du succès, ce serait nos corps, notre forme physique. Mais nous nous en sommes bien sortis et nous avons eu beaucoup de chance de rester en bonne santé toute la saison. 

 

Vanessa : Nous sommes entourés d'une excellente équipe. Elle nous a concocté un programme de fitness adapté, elle nous surveille de près. Nous ne pouvons plus pousser nos corps de la même façon qu'avant. Nous courons beaucoup plus de risques de nous blesser. Mais nous avons acquis de l'expérience, nous connaissons mieux nos corps et nos limites. On continue de faire beaucoup d'efforts, mais nous connaissons la barrière à ne pas franchir. Nous devons aussi rester au plus au niveau donc il y a des compromis à faire. Tout est question d'équilibre, et l'équipe de préparation physique nous aide énormément. On ne passe plus cinq heures d'affilée sur la glace, on fait attention de ne pas trop forcer lors des étirements. On a travaillé de façon intelligente pour se préserver mais aussi pour être capables de performer.

 

Kate : Comment se sont passés les Jeux Olympiques ?

 

Eric : Pékin a été formidable du début à la fin. Même avec les restrictions sanitaires. L'atmosphère était celle de vrais J.O., aucune lourdeur, aucune impression de petitesse. Les volontaires étaient super accueillants et serviables. Les infrastructures étaient superbes. La glace était parfaite. La seule différence par rapport aux Jeux précédents était l'absence de notre famille et de nos amis et la patinoire était un peu calme, il n'y avait pas l'énergie dégagée par le public qui nous aide beaucoup en temps normal. 

 

Vanessa : C'est vrai que le calme dans la patinoire était étrange. Mais nous avons eu l'énorme chance d'être les derniers à participer avec la compétition couples. Beaucoup de fans chinois étaient finalement présents, ainsi que notre équipe et les autres délégations. Ils nous ont apporté tout leur soutien en criant leurs encouragements. On a retrouvé un peu de l'énergie olympique qu'on avait connue avant. C'était long, nous sommes restés trois semaines, mais nous étions enchantés qu'il y ait enfin du monde pour nous applaudir lors du programme libre. 

 

Kate : Vanessa, au Grand Prix de Grenoble, tu m'as dit que tu étais enfin toi-même sur la glace. Tu peux développer ? Il ne s'agit en aucune façon pour moi de critiquer Morgan...

 

Vanessa : Non non, je comprends bien ta question. Avec Morgan nous avions des objectifs et des perspectives différentes. Pendant dix ans, c'était l'époque des sacrifices, d'une éthique de travail très stricte, et une politique de résultats, de réussite. C'était tout à fait normal à ce moment de notre vie et de notre carrière. Nous étions sans arrêt sous pression, une pression énorme. Maintenant, j'ai le temps d'aimer le patinage. Je veux dire, d'en profiter pour moi, tous les jours. J'ai le temps, ce n'est plus la course aux performances. Je ne me suis jamais sentie aussi libre sur la glace et en dehors. 

 

Kate : Et pour toi Eric ?

 

Eric : Je ressens exactement la même chose. Avec Meagan, nous avions pour but de décrocher une médaille olympique. Tu imagines donc la pression qui allait avec. Nous devions gagner le plus de compétitions possible. Nous avons eu de super résultats et ces résultats étaient une grande part de notre motivation. Avec Vanessa, ce n'est pas pareil. Bien évidemment on rêve de remonter sur des podiums, d'être les meilleurs. Mais le niveau de pression est moindre. A présent nous patinons pour nous. Je pense que c'est une chance incroyable qui nous est donnée, après une première carrière faite de gros sacrifices, d'entraînements ultra-intensifs. 

 

Vanessa : On se sent beaucoup plus légers.

 

Eric : Oui c'est ça. Nous n'avions jamais connu cette légèreté avant, cette humanité aussi, cette possibilité de profiter de nos émotions et de notre passion. C'est quelque chose de très spécial. Je ne dirai jamais assez à quel point je suis reconnaissant d'avoir cette opportunité. Je ne parle pas que des compétitions mais aussi des entraînements quotidiens. Nous nous payons le luxe de nous amuser, tout en travaillant dur. Et d'arriver ici à Montpellier après une bonne saison et gagner une médaille ? (Il rit) C'est le paradis ! On se dit, bon sang, ça valait vraiment la peine !

 

Kate : A part le patinage, Eric a la musique comme autre passion. Et toi Vanessa ?

 

Vanessa (elle réfléchit) : Je crois que je n'en ai pas vraiment d'autre. Pour l'instant. Mais j'ai envie de rendre ce qu'on m'a donné. J'ai envie de travailler avec des enfants, des patineurs, de transmettre ce que j'ai appris au fil des ans. 

 

Kate : Qu'allez-vous faire quand vous serez à la retraite pour de bon ? Eric je crois que tu veux te consacrer à ta musique ?

 

Eric : Oui, totalement. Le patinage ça ne peut pas durer toute une vie, la musique si ! 

 

Vanessa : Je veux vraiment faire un peu de coaching, peut-être pas à plein temps, mais j'ai définitivement envie de transmettre mes connaissances. Nous allons faire des shows pendant quelques temps, c'est sûr. Mais pour la suite, je ne suis pas encore fixée. J'ai envie de travailler avec des patineurs français aussi.

 

Kate : La France a besoin de bons couples et c'est difficile à trouver ou à construire. 

 

Vanessa : Absolument et si je peux contribuer au développement de la discipline couple ici j'en serai très fière et très heureuse. 

 

Kate : La discipline de couples est la plus ingrate et aussi la plus dangereuse, ceci explique peut-être la difficulté à trouver des postulants. Est-ce la même chose au Canada ?

 

Eric : Oui, c'est toujours une vraie bataille. Il n'y a qu'en Chine et en Russie que les postulants sont nombreux. Le Canada est un vaste pays, avec des patinoires disséminées de partout, la détection de nouveaux patineurs y est difficile. On peut avoir un garçon très talentueux du côté de Vancouver et une fille super douée à Ottawa, le tout est d'arriver à les réunir. Il est difficile pour des jeunes gens de se déraciner, de changer d'environnement du jour au lendemain pour se consacrer à une discipline très exigeante. Skate Canada fait de gros efforts pour promouvoir la discipline, et pour améliorer la détection des jeunes. Vanessa et moi essayons d'aider comme nous pouvons, en faisant bénéficier les jeunes de notre expérience et de notre expertise, même auprès des patineurs individuels qui pourraient être susceptibles de passer au couple. J'espère que notre expérience et notre succès créeront des vocations !

 

Propos recueillis et traduits de l'anglais par Kate Royan - © S.I.G.