© Alice Alvarez - S.I.G.
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GRAND PRIX DE FRANCE

5 novembre 2022

Danse libre


Au(x) suivant(s) !

 

La saison post-olympique déplume les rangs de toutes les disciplines, et, si on y ajoute l'absence des Russes,  c'est sans doute en danse sur glace, épreuve reine de la hiérarchisation et du mérite à la renommée, que l'on obtient le moins de surprise.

 

Après douze victoires en Challenger Series et abonnés aux seconde, troisième et quatrième places en Grand Prix pendant dix ans, Charlène Guignard et Marco Fabbri remportent leur première médaille d'or. Un résultat amplement mérité avec une danse libre construite sur trois partitions musicales : "My Love will never Die" du groupe de rock alternatif AG accompagné de Claire Wydham, Mephistos Lullaby de l'Israélien Yair Alberg Wein, et "Eden" de l'Hispano-Mexicaine Belinda Peregrin Schüll. Des choix quasiment "villardiens" et une chorégraphie qui n'est pas non plus sans rappeler celles concoctées par Karine Arribert. Mais c'est Barbara Fusar-Poli qui a proposé ces musiques à ses élèves et monté le programme. Son éternel chronomètre à la main derrière la barrière, elle dépense largement autant d'énergie que Charlène et Marco ! La technique des Italiens est, comme d'habitude, parfaite. Pas un coup de carres de travers. Pourtant, les niveaux ne crèvent pas tous le plafond. 3 pour les twizzles de Marco (4 pour Charlène), 2 pour elle dans la séquence sur un pied (3 pour lui), 2 pour elle et 3 pour lui sur la circulaire. Mais aucune composante n'est en dessous de 9.00. Ils sont très rapides, d'une précision chirurgicale, d'une rare élégance, à la fois sobres et passionnés. Une vraie réussite. La retraite et/ou l'absence de leurs anciens concurrents directs semble les avoir totalement libérés. 124.43 points dans la danse libre et un total de 207.95 leur offrent une belle victoire. 

© Alice Alvarez - S.I.G.
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Niveau technique, il n'y a pas grand chose à reprocher non plus à ceux qu'on appelle affectueusement les "Danadiens". [Laurence est née à Montréal, Nikolaj à Copenhague]. Par contre, il serait peut-être temps pour Fournier-Beaudry et Soerensen de changer de registre musical. Ils ont beau être d'excellents danseurs sur glace, leurs thèmes hispanisants ont fini par me lasser. Le programme est monté sur pas moins de huit morceaux différents, en passant par Ennio Morricone, Robert Rodriguez, Marco de Lahuen et Chingon. Le début rappelle le Bolero de Ravel, le milieu est un passage de la Lettre à Elise guitare/piano assez incongru, et le tout se termine avec la Malaguena Salerosa (non, pas celle la plus connue, l'autre !) La glisse du couple est magnifique et leur talent est évident. Raison de plus pour tenter une sortie hors de leur zone de confort. Vite. Les niveaux sont à peu près les mêmes que ceux des Italiens, mais les notes d'exécution et les composantes sont, logiquement,  inférieures. Les élèves de l'Académie de Montréal obtiennent 119.55 et un total de 201.93 pour leur première médaille d'argent en Grand Prix. 

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S'il a fallu douze ans de carrière à Guignard/Fabbri et neuf à Fournier-Beaudry/Soerensen pour accéder à un podium de Grand Prix, Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud, eux, patinent ensemble depuis... 2019 !! Trois ans et seulement trois participations, dont celle-ci, pour une médaille de bronze (113.98 - 187.15). Si l'écart de points entre les Français et les deux autres couples reste, pour l'instant, assez important, leur marge de progression l'est toute autant. Et à l'allure à laquelle ils progressent, justement... Entre l'Accordéoniste d'Edith Piaf qui part à la guerre et ses adieux à l'homme de sa vie, Marcel Cerdan ("Mon Dieu"), le thème est triste, mais Evgeniia et Geoffrey l'interprètent sans drame et sans tomber dans le pathos. Au contraire, tout dans ce programme est sensibilité, sobriété et finesse. Leur présence et leur couverture de la glace sont dignes des meilleurs de leurs aînés. La connexion entre les deux jeunes gens ne cesse de s'améliorer. L'effet Montréal ? Traverser l'océan leur a visiblement donné une nouvelle confiance et de nouveaux objectifs. Et ils ont les nerfs solides ! Succéder à Papadakis/Cizeron à la tête de la danse sur glace française n'est pas tâche aisée. Sélectionnés pour le NHK à la fin du mois, il leur suffirait d'un ou deux niveaux supplémentaires (curieux d'ailleurs qu'ils ne les obtiennent pas déjà) pour approcher les sommets de tout près.

 

Avec une danse libre aussi réussie et aboutie que leur RD Loïcia Demougeot et Théo Le Mercier sont 4èmes (109/179.76). Même si tout n'est pas parfait, leur prestation a, passez moi l'expression, une sacrée gueule ! La maturité est (déjà) là, avec deux personnalités fortes et complémentaires, et l'interprétation est excellente. Ils s'offrent le luxe de battre de nouveau leur Season Best ! Théo : "Nous étions très stressés, mais nous l'avons bien géré. Obtenir 4 points de plus qu'au Skate America, c'est incroyable ! Nous avons beaucoup apprécié le soutien du public. Finir les Grands Prix de cette manière est un plaisir. Nous n'aurions jamais imaginé deux quatrièmes places ! Nous visions un top 5. Nous avons maintenant deux Challengers, un à Varsovie et un à Zagreb, puis les championnats de France". 

 

Après une danse rythmique loupée, les Finlandais Turkkila/Versluis reprennent du poil de la bête et remontent de 4 places dans la FD (108.63). "Quatre Impromptus" et la "Sonate N° 20 de Schubert",  le thème est un peu suranné mais le classicisme leur va bien. Juulia sait parfaitement jouer de ses longs membres comme la vraie ballerine qu'elle est. J'ai un faible pour leur magnifique porté rotationnel. L'ensemble du programme est joli et romantique sans être mièvre, les patineurs sont légers et gracieux. Pas d'erreur majeure aujourd'hui, mais la séquence sur un pied ne leur permet de récolter qu'un niveau 1 pour elle et 2 pour lui. La RD a fait des dégâts côté comptable et avec un total général de 172.48, ils ne sont que 7èmes. 

 

Eva Pate et Logan Bye évoluent sur deux morceaux du compositeur irlandais Bill Whelan. Et moi qui suis très fan de ce style musical, je suis déçue. La chorégraphie est mal adaptée au rythme. Un comble de la part du tandem Shpilband/Camerlengo. La vitesse d'exécution n'est pas au rendez-vous non plus. Le thème ne requiert pas d'interprétation particulière, il est donc possible de se concentrer sur la technique, or les Américains semblent l'avoir perdue depuis hier. Peut-être ne sont-ils tout simplement pas à l'aise dans ce registre. Ils se classent 6èmes de la danse libre (104.57), ainsi qu'au classement final (104.57).

 

Les Géorgiens Maria Kazakova et Georgy Reviya ont apparemment emprunté leurs tenues au couple russe Stepanova/Bukin ! Ils ont bien fait car elles sont très jolies. J'aime aussi leur choix musical : "Mad World" du groupe allemand 2WEI, accompagné des Américains Fleurie et Tommee Profitt, ainsi que du Britannique Roland Orzabal (ex Tears for Fears). Dorénavant entraînés à Bolzano (Italie) par Matteo Zanni, le couple est en progression régulière mais leur patinage reste très russe. Normal, puisqu'ils le sont. Le début du programme est délicat et fluide, la fin tombe hélas dans le tape à l'oeil. Ils patinent toujours trop éloignés loin de l'autre, signe qu'ils ont besoin d'une grande marge de sécurité. Mais ils sont beaucoup mieux dans la glace qu'hier. 7èmes de la danse libre (104.21), ils terminent la compétition 6èmes (173.05), moins d'un point devant le couple finlandais. 

 

Wolfkostin/Chen ont un style appliqué et technique, et sur deux chansons de Florence and the Machine, je les trouve convaincants. Leur programme est cohérent. Les portés sont peut-être un brin trop gymniques et la fin s'égare en croisés et en poses dispensables, mais l'ensemble est agréable à regarder. Ils sont 8èmes (100.71/164.89)

 

Pourquoi Marie Dupayage et Thomas Nabais ne sont-ils pas mieux notés (97.45/161.09) ? Sans doute parce qu'ils ne sont pas encore connus à l'internationale. On sait combien compte la renommée. Leur prestation est, à mon sens, bien supérieure à celle des Géorgiens et des Américains qui les précèdent au classement. Bien sûr, il y a des erreurs, mais c'est surtout sur les composantes qu'ils se font maltraiter, même si le signe - n'apparaît nulle part, ce qui est extrêmement encourageant. Leur programme, mûri après une première saison de service, est de toute beauté. Costumes, musique - "Innocent" de Fläskkvartetten (Flesh Quartet en anglais) et surtout le somptueux "Dance 1- First Movement" de la violoniste Kerenza Peacock accompagnée d'un orchestre symphonique- tout est "villardien", c'est à dire original, recherché, et millimétré, expressif, vivant, émouvant. Ils sont de superbes interprètes malgré leur jeunesse et déjà de fins techniciens. Interrogés par Solène, ils déclarent être "super contents. Nous n'avions jamais patiné devant autant de monde ! On avait beaucoup de pression, car on voulait bien patiner et faire coucou à la cour des grands. Les GOEs et les composantes sont positives. Nos prochaines compétitions sont Varsovie et Zagreb (Challengers), puis les Nationaux à Rouen". 

 

Les Canadiens Lanaghan/Razgulajevs restent derniers (92.94/153.72) et ça n'a rien d'étonnant. Comment définir ce programme ? Impossible de savoir à quel degré le prendre. J'espère en tout cas que ce n'est pas au premier. La musique est celle du cirque - "Micmac" de Max Steiner -, les costumes sont ceux d'Hansel et Gretel... apparemment en visite à la Fête de la Bière à Munich. La musique a été utilisée naguère par Nathalie Péchalat et Fabian Bourzat dans un programme plein de fraîcheur et d'originalité. Celui des Canadiens n'en paraît que plus raté. Heureusement, la chorégraphie suit bien le tempo. Mais le tout est surjoué, aussi brouillon que leur RD, avec une intention peu claire. Dommage car les patineurs sont charmants, enthousiastes et ont l'air de prendre beaucoup de plaisir. Peut-être est-ce finalement l'essentiel. 



Propos recueillis par Solène MATHIEU - Texte par Kate ROYAN pour SKATE INFO GLACE