Championnats du Monde Montréal - Danse libre


© Alice Alvarez
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Les patineurs sont beaux, talentueux, inspirés, les costumes sont d'une rare élégance, la musique atypique, la technique (presque) irréprochable, le programme finement ciselé. Madison Chock et Evan Bates sont de superbes champions du Monde pour la seconde fois consécutive. Il n'y a aucun déchet apparent dans leur prestation. Et pourtant certains niveaux pêchent encore : 2 pour le porté stationnaire sur lequel Evan a trébuché, donnant des sueurs froides à tout le monde ; 2 pour la séquence sur un pied de Madison (3 pour Evan). Mais la majorité des grades d'exécution sont des +4, assortis d'une vingtaine de +5. Côté composantes, on note deux 10 en composition et un en présentation pour une majorité de 9.75. Avec un libre coté à 132.12 et un total de 222.20, les Américains gagnent sans surprise un deuxième titre mondial. Madison : "C'était incroyablement excitant de patiner aujourd'hui. On est vraiment contents de finir la saison sur une performance solide. On est tellement heureux d'être dans notre ville d'adoption. On ne s'est pas laissés déconcentrés par notre erreur du début. Les améliorations que nous avons apportées au programme après les championnats Nationaux ont été salutaires." Evan : "On a ressenti une telle énergie émanant du public. On a tout donné sur la glace, tout ce qu'on avait. Tant que nous pouvons rester dans cet état d'esprit et que nous serons en bonne forme physique, nous continuerons. [Evan fait allusion aux prochains Jeux Olympiques].

 

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Malgré la médaille d'or obtenue, ce ne sont pas les Américains qui gagnent ce libre, mais Piper Gilles et Paul Poirier ! (133.17). A l'heure où ils entrent sur la glace, passant les derniers, il est évident qu'une marge a été laissée lors de la notation de leurs principaux concurrents. Le voilà le coup de pouce en forme de remerciement au pays organisateur et la "médaille au mérite" des années passées. 3èmes de la danse rythmique, Piper et Paul décrochent une médaille d'argent (219.68). Leur programme, sur le thème des Hauts du Hurlevent, est très classique, mais aussi très bien interprété. Comme d'habitude. Piper et Paul ont la capacité à changer chaque année d'univers et à nous faire entrer sans aucune difficulté dans le nouveau dès leur première apparition de la saison. C'est ici la dernière et leur libre a beaucoup évolué. Tout est plus évident, logique, cohérent. Ils obtiennent de très bons niveaux : 4 pour leurs twizzles, leurs portés, leur pirouette ; 3 pour Piper et 2 pour Paul dans la médiane, idem pour la séquence sur un pied. Piper : "On a vraiment laissé toutes nos tripes sur la glace aujourd'hui. C'est ce que le programme exige, montrer et partager des émotions. Il y a eu un bel échange d'émotions entre notre pays et nous aujourd'hui. Nous attendions cela depuis quatre ans. [Piper fait référence à l'annulation des Mondiaux de 2020]. Si nous allons continuer ? On aimerait bien. On ne sait pas encore, on verra. Nous sommes sur la pente ascendante, nous avons gagné une médaille d'argent mondiale, la prochaine étape serait peut-être de gagner l'or. On va prendre du temps pour y réfléchir.  Paul : "J'ai été vraiment très ému à la fin de notre programme. Vivre un tel moment en étant canadien devant un public canadien, c'est une joie indescriptible..."

 

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Charlène Guignard et Marco Fabbri rentrent donc en Italie avec la médaille de bronze (129/216,52), le visage illuminé d'un grand sourire. Modèles de fair-play comme toujours (ou ils avaient senti le vent venir). La qualité de leur programme, de leur prestation, leur formidable technique, leur aptitude à passer les difficultés comme dans un rêve, leur générosité sur la glace, tout ceci est très supérieur à la réalisation et au style des Canadiens. Ils n'ont sans doute pas besoin d'un jury pour le savoir. Douceur, tendresse, tristesse, joie, tout l'éventail des émotions humaines est représenté dans ce libre d'anthologie. Marco : "Nous sommes super contents car nous nous sommes bien battus. Je suis un peu malade depuis le début de la semaine, donc ça a été un peu difficile. Nous sommes satisfaits car notre objectif était d'être sur le podium. Nous sommes seulement le deuxième couple italien à le faire après notre coach Barbara Fusar-Poli. Nous sommes très fiers mais aussi contents que la saison se termine et que nous puissions prendre un peu de repos."

 

Lilah Fear et Lewis Gibson sont 4èmes (126.32/210.92). Ils obtiennent de très bons niveaux pour un programme sur Rocky copié/collé de tous ceux des saisons précédentes. Mais c'est leur style, ils s'y tiennent et ils n'ont pas tort puisque ça marche. Les voir à moins d'un point techniquement de Guignard/Fabbri fait néanmoins un peu grincer des dents. Lilah : "C'était juste... électrique. Comme hier. Encore plus qu'hier. Le tout était de trouver un équilibre entre notre concentration et l'absorption de l'énergie que renvoie le public. C'est incroyable de penser que nous sommes chez nous, à Montréal, et que nous faisons ce que nous aimons le plus au monde. Patiner sur Rocky, c'est un peu bizarre, personne ne l'a fait avant nous. Nous allons faire une pause après cette compétition. Je suis encore étudiante et j'ai des examens la semaine prochaine. Je ne suis pas du tout prête (rires). Nous avons besoin de vraies vacances, après quoi nous nous remettrons au travail en vue de la prochaine saison". Lewis : En début de saison, beaucoup de gens avaient des doutes sur le choix de notre thème. Mais nous avons tenu bon et nous avons eu raison. Soyez convaincus par ce que vous faites, et montrez le. C'est le meilleur moyen de convaincre les autres". 

 

Marjorie Lajoie et Zachary Lagha nous présentent aujourd'hui une danse libre en tous points superbe. Je n'étais pas convaincue en début de saison, mais leur prestation a pris du corps, de l'ampleur, tout en devenant un petit bijou d'émotion. Sur "Roses" de Jean-Michel Blais, ils nous transportent dans un univers de douceur et de grâce. On aimerait que ça ne s'arrête jamais ! Tout est gracieux, fluide, et en même temps logique et scrupuleusement étudié. Leur TES est supérieur à celui de Fear/Gibson (il devrait l'être encore plus) et j'ai beaucoup de mal à comprendre comment les composantes ne suivent pas le même chemin. En bref, je les aurais vus 4èmes. C'est donc la 5ème place qu'ils remportent (125.71/208.01).

 

Christina Carreira et Anthony Ponomarenko, sur "Le Parfum", eux aussi livrent un magnifique programme. Christina continue de beaucoup mourir du début à la fin (mais le héros du Parfum a massacré plus d'une dame...),  elle fait désormais sans surjeu. Plus la peine de comparer Anthony à son illustre père, ou encore à sa mère, leader historique du couple olympique parental, extraordinaire de présence. Christina et Anthony ont enfin trouvé leur identité. Ils laissent passer leurs émotions au lieu de se concentrer obstinément sur la technique. Technique qu'ils ont à présent acquise. Ils sont 7èmes (121.06/200.32), tout près de Reed/Ambrulevicius, 9èmes du libre (119.97) mais 6èmes au total (200.96). 

 

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Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud, à qui il était reproché depuis longtemps un manque de connexion, ont travaillé dans une nouvelle direction avec l'aide de Marie-France Dubreuil. Geoffrey nous en avait prévenus. Et ça marche ! Il y a une vraie interaction entre les deux partenaires, avec des échanges de regards significatifs, des gestes plus aboutis et plus inspirés. La première partie de cette danse libre s'est aérée, elle est plus fluide, et plus romantique que dramatique, sur le sévère mais brillant "Elegy" de Rachmaninov. Leur diagonale n'obtient qu'un niveau 1, mais les autres éléments sont au niveau 4 à l'exception de la séquence sur un pied (2 pour tous les deux). Les composantes montent d'un cran elles aussi, elles sont d'ailleurs plus élevées que celles de Carreira/Ponomarenko. Après un Season Best pour la RD, en voici un nouveau pour le libre : 120.27 et une belle 8ème place mondiale à plus de 200 points ! (200.28) A noter qu'au passage, ils battent les médaillés de bronze européens Reed/Ambrulevicius dans le libre ! 

 

Les Finlandais Turkkila/Versluis sont tellement plus à l'aise aujourd'hui que dans la danse rythmique et le thème des années 80 ! Leur libre sur deux morceaux de Phoria est un bijou d'esthétisme et de pureté. Leur technique est solide sans être vraiment remarquable mais ils sont élégants, fluides et très assurés. Il se dégage de leur prestation une impression de légèreté, de lumière, dans une atmosphère très contemporaine. Ils sont 10èmes du libre (116.45) et de la compétition (192.34). 

 

 

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Loïcia Demougeot et Théo Le Mercier sont dans une forme... olympique ? Faire suivre le Clair de Lune de Debussy par "Waves" de Chilly Gonzalez est une trouvaille. Le programme est très exigeant physiquement et l'accélération à mi-parcours ajoute une difficulté supplémentaire. J'aime l'amplitude de leurs gestes et cette façon de passer de la douceur de la première partie à une violence retenue dans la deuxième. C'est un très TRES bon programme que réalisent les Français aujourd'hui. Leur maturité est indéniable, tout comme leur volonté de réussir. 13èmes du libre (114.26), ils sont 11èmes de ces championnats (190.00), soit dans l'antichambre du grand et convoité Top 10 mondial. Bravo à eux !!

 

Non seulement le montage musical sur "Black Swan" de Davis/Smolkin est mauvais, mais les deux patineurs me rappellent le couple Grushina/Goncharov, ce qui n'est pas un compliment. D'autant plus que les belles heures des Ukrainiens datent de vingt ans. Le patinage de ce couple, pourtant jeune, est daté, et ils n'ont visiblement aucune idée de ce qu'ils interprètent. Le Cygne Noir est un être paranoïaque et torturé, les oeillades incendiaires et les sourires aguicheurs de Diana sont à côté de la plaque. Tout ceci est d'autant plus dommage que les deux partenaires ont de bonnes bases techniques, un potentiel, ils sont élégants et visiblement motivés. 14èmes du libre, ils terminent néanmoins au 12ème rang de ces championnats. 

 

L'association, récente, d'Olivia Smart et Tim Dieck, fonctionne. Les deux partenaires se sont bien adaptés l'un à l'autre, mais Tim n'a pas (encore ?) la présence d'Adrian Diaz sur la glace, ce qui laisse à Olivia un peu trop de place. La jeune femme est du genre bouillonnante, effervescente (ce n'est pas un défaut, au contraire !) et sans une forte personnalité en face d'elle, le couple est pour l'instant déséquilibré. Techniquement, c'est Tim qui a l'avantage, comme l'avait Adrian. Le choix musical, un medley de Presley réorchestré en version années 90, est judicieux, même s'il est proche du thème de la danse rythmique. C'est, de toute façon, un registre qui convient bien au couple, mais il faudra songer à en varier à l'avenir. Manquant de notoriété et de soutien des juges, Olivia et Tim sont un peu sous-notés pour une réalisation qui était tout de même très sympathique malgré les erreurs, dans la pirouette et dans les pas de transitions entre autres. Avec 101,72 aujourd'hui, il se classent 19èmes (173.53). 

 

Dans ces championnats du Monde à domicile, l'Ice Academy de Montréal aura aligné pas moins de onze couples sur les 20 participants du programme libre seul. La colonisation de la danse sur glace par un seul club bat son plein. Si cela ne pose pas de problème au niveau du patinage proprement dit, les acteurs du club étant capables de mitonner des programmes ultra personnalisés et très différenciés à tous leurs couples, c'en est un au niveau politique. Car politique il y a en danse sur glace, et ce, depuis la création de la discipline, tout le monde le sait. Il est virtuellement impossible qu'une hégémonie comme celle d'IAM ne s'accompagne pas d'un important poids d'influence. Il existe depuis quelques années une inflation IAM, comme il existe une inflation locale pour récompenser les pays hébergeurs/organisateurs par exemple. Pour être juste, le club s'est fait pour spécialité de monter des programmes clés en main, sur mesure, quasiment de luxe, avec l'aide d'un personnel ultra compétent, et d'infrastructures exceptionnelles. Tout le monde ne peut pas passer la grande port d'or du centre Gadbois, fief de l'Academy. Les places sont chères, non seulement monétairement, mais elles sont très demandées. Réputée pour son atmosphère familiale et les progrès parfois spectaculaires que les danseurs y font, ainsi que pour les résultats de ses couples phares, IAM a tout pour plaire. Mais est-il normal, sur le papier ainsi que sur la glace, de retrouver plus de la moitié des concurrents issus de cette Academy ? Je n'ai pas de réponse à cette question.  

 

 


Kate Royan - Skate Info Glace