Trophée de France - Programme Court Dames

© Myriam Cawston - S.I.G.
© Myriam Cawston - S.I.G.

 

 

Evgenia Medvedeva serait-elle imbattable ?  

 

Qu'on aime ou non son style, il est difficile de lui enlever ses extraordinaires qualités de glisse, sa grâce extrême et son exceptionnelle légèreté de patinage. Sans surprise, tous ses éléments sont de niveau 4, et chacun de ses sauts lui vaut un bonus : combinaison triple flip/triple boucle piquée, triple boucle et un très sage double Axel. D'aucun diront que l'ensemble est encore junior et justement, je ne suis pas d'accord. J'entends également parler de patinage robotique et je trouve au contraire à cette petite jeune fille une grande délicatesse. La sur-notation perpétuelle des meilleurs patineurs mondiaux est, elle, effectivement dispensable. Deux plages musicales différentes forment son SP : "River Flows in You" du compositeur sud-coréen Yiruma, ici joué par Lorenzo de Luca, et "The Winter", du groupe rock texan Balmorhea. L'ensemble peut paraître très (trop) sucré,  ou hyper-esthétique selon les goûts. Ce programme est, en tout cas, impeccablement exécuté,  et il lui rapporte 78.52 points. On n'est néanmoins pas obligé de l'aimer. Encore une fois, là où certains sont écoeurés par la formule trop sirupeuse, d'autres y voient un modèle d'harmonie et de subtilité. Je suis entre les deux. Je la verrai volontiers s'exprimer sur une partition plus enlevée,  festive. Ce personnage de petite fille romantique qui saute à la corde ne lui va plus qu'à moitié.

 

La Canadienne Gabrielle Daleman, beaucoup plus femme - elles n'ont pourtant qu'un an d'écart -  prend la seconde place avec 72.70 points et remporte son Season Best. Elle interprète la princesse juive Herodiade de Jules Massenet, tourmentée et vengeresse, avec, à mon avis,  un trop plein de tiédeur. Mais le thème est-il bien choisi ? Le patinage est bon,  tout en restant conventionnel. La chorégraphie a du mal à suivre les mouvements de la musique. Mais les qualités techniques et la puissance musculaire de cette jeune fille sont remarquables, comme en témoigne sa combinaison d'entrée de programme, triple boucle piquée/triple boucle piquée, tout à fait magistrale. Son triple Lutz lui vaut, à juste titre, un bonus,  et son double Axel, en sur-rotation, évoque la possibilité d'un futur triple. Gabrielle a pour elle la fiabilité technique et la solidité mentale, deux atouts qui font les grandes carrières. Il faudra dorénavant compter avec elle dans les grands rendez-vous internationaux.

 

La haute taille et les longs membres de Maria Sotskova rappellent Carolina Kostner, mais la Russe est,  pour le moment,  encore loin de son illustre aînée italienne. La sono, poussée trop haut, rend péniblement grinçants les violons de "Butterflies are Free" d'Alfred Schnittke. Ce morceau de musique va mieux à la longiligne Maria, qu'à sa compatriote (devenue suisse) Anna Ovcharova, plus robuste et puissante, qui l'a utilisée en 2015. Moins bonne en interprétation que Laurine Lecavelier qui l'a précédée sur la glace, et surtout beaucoup moins rapide, elle va pourtant la devancer. Aucune erreur ne sera commise : triple Lutz/triple boucle piquée, triple flip et double Axel bonifiés, quatre éléments de niveau 4  (contre deux pour Laurine, ce qui explique le classement), la Russe est 3ème et réalise son Season Best avec 68.71 pts.  C'est déjà une remarquable performance pour une première saison chez les Seniors. 

 

Douce Laurine Lecavelier, toute en gestes délicats et sensibilité. Solide Laurine,  sur ses jambes, dans sa tête, en pleine trajectoire ascendante. Son programme court est, à ce jour, mon préféré de la saison,  à la fois sobre, fort  et touchant, sur la si belle  musique de Ludovico Einaudi "Expérience". Savoir qu'il s'agit là d'un hommage à sa soeur Annabelle, aujourd'hui présente dans le public,  le rend encore plus émouvant. Elle va le patiner sans la moindre erreur,   dans   une fluidité et une constance exemplaires. Séquences action,  frisson et émotion en même temps. Sa combinaison triple boucle piquée/triple boucle piquée est magnifiquement réalisée, et elle est la seule - avec la Japonaise Wakaba Higuchi - à concentrer ses autres sauts en fin de programme, triple Lutz, double Axel, ce qui lui vaut le rituel et mérité bonus pour prise de risque. Elle obtient une excellente 4ème place avec un score de 66.61 points. Son ancien "Personal Best" de 52.84 explose littéralement au passage.

 

Des niveaux 4 pour tous les éléments présentés par Wakaba Higuchi et un programme consistant, bien équilibré,  sur "La Califfa" d'Ennio Morricone, la qualifient pour la 5ème place avec 65.02 pts. Elle ouvre ce SP sur un double Axel et réserve sa  combinaison triple Lutz/triple boucle piquée pour la seconde partie de programme. Mais elle ne fait qu'un double flip au lieu du triple annoncé et le voit donc invalidé. Je ne suis pas une grande fanatique de ses sauts qui manquent d'amplitude et je la trouve peu élégante (de l'extension, des pointes s'il vous plaît !).  Mais son programme est construit avec cohérence et la chorégraphie est en corrélation avec les envolées lyriques de la musique, en particulier sur la suite de pas. 

 

So Youn Park, qui passe tout de suite après la très colorée Alena Leonova, paraît forcément un peu pâle comparée à son adversaire russe. Sur la bande originale du drame américain d'Otto Preminger  "L'Homme au Bras d'Or", la Coréenne va pourtant présenter un excellent programme, bien interprété et techniquement solide. Combinaison triple Salchow/triple boucle piquée, triple boucle, double Axel bonifié, niveau 4 pour tous les éléments (sauf la Fly Camel Spin). Pas très généreusement payée sur la note des Composantes, les 35.67 points des TES lui offrent un total de 64.89 et le 6ème rang du classement.

 

Cheveux Poil de Carotte, séparés en deux couettes avec mèches et fard à paupières assortis, un côté rouge, un côté bleu, collant noir, t-shirt bariolé à dominante rouge, marqué "Daddy's Lil Monster" - le P'tit Monstre à son Papa - voici Alena Leonova ! Aujourd'hui nous avons à faire au produit des amours illégitimes  de Fifi Brindacier et Willy Wonka... C'est à voir plutôt qu'à décrire, et ça vaut le spectacle, croyez-moi. Jamais on ne pourra accuser Alena de se plier à un quelconque conservatisme, ni de manquer de style, aussi bizarre qu'il soit. Le costume est,  en fait,  celui de Harley Quinn, personnage  du  DC Comics et film  "Suicide Squad". Aucun rapport - du moins je crois - avec  "Oh so Quiet" de Björk, choix musical jazzy qui lui sied à ravir.  Encore un mauvais réglage de sono, les basses sont si fortes que la salle en vibre,  au sens désagréable du terme. Je m'attends presque à voir la glace se lézarder. Le "Petit Monstre" a toujours été une excellente interprète, elle ne trahira pas sa réputation ce soir. Pas plus que celle, un peu oubliée dans un récent passé,  de grande technicienne : combinaison triple boucle piquée/triple boucle piquée, triple flip (accroché en réception donc  dégradé pour sous rotation,  mais quand même bonifié), double Axel. Alena ne monte pas très haut mais ses sauts couvrent une distance considérable. 63.87 pts la placent en  7ème position, avec un Season Best à la clef. A la fin de son programme, derrière  moi, quelqu'un s'interroge à haute voix  : "Mais qu'est-ce que c'était que ça ?" C'était  tout simplement du pur Leonova ! 

 

J'ai le souvenir d'une toute petite Mao Asada, enthousiaste et presque insouciante, vue pour la première fois en live dans cette même salle du POPB. Elle réalisait des triples Axels, comme tous ses autres sauts, avec une facilité stupéfiante. La Japonaise est toujours assidûment suivie par les medias de son pays et, à 26 ans, elle a, bien sûr, considérablement changé de morphologie. Sa musicalité et sa grâce ont éclos au fil des années. Malheureusement, ses qualités techniques, elles, ont suivi une courbe opposée, elle s'étiolent. Extraite du ballet "El Amor Brujo" de Manuel de Falla, sa musique "Danza Ritual del Fuego" résonne d'accents dramatiques qui finissent par être pesants, et semblent maintenant encombrer un  patinage industrieux, lui qui fut autrefois si agile. Le double Axel est parfait, mais pour une patineuse de cette trempe, c'est une formalité. Son triple Flip en sous-rotation et posé sur deux pieds lui fait perdre des points sur la combinaison avec la double boucle. Une triple boucle lui vaut un bonus, bien qu'elle soit, elle aussi, atterrie sur deux pieds,  me semble-t'il. Des TES de 29.12 pour Mao Asada, c'est très bas mais hélas justifié. De nos jours, l'absence du triple Axel coûte cher. Un total de 61.29 points la repousse à la 8ème place. A sa décharge, il se dit  que Mao a  du mal à guérir d'une blessure au genou qui s'éternise.

 

L'Arménienne Anna Galustyan est 9ème avec 56.92 pts et un programme en demi-teintes. Sur les "Dix-Sept Moments du Printemps", générique d'une série télévisée de l'ère soviétique, elle réalise une combinaison triple Lutz/triple boucle piquée, cette dernière incomplète d'où déduction ; un triple flip pénalisé pour carre douteuse ; et un double Axel qu'une lourde chute en réception n'empêchera pas d'être bonifié. Le patinage n'est pas mauvais mais il manque, à mon sens,  de vitesse et de conviction. 

 

Ce n'est pas le jour de Gracie Gold. Mais alors, vraiment pas. Son "Assasin's Tango" (extrait de la bande originale du film "Mr and Mrs Smith") manque totalement de chaleur, elle semble jouer le thème à contre-coeur. Côté technique, c'est pire. Elle pose la main sur sa combinaison triple Lutz/triple boucle piquée, le deuxième saut est  aussi en sous-rotation. Ce qui aurait dû être un triple flip, finit en double et est invalidé. Pourquoi Gracie insiste-t'elle à tenter ce saut avec une entrée aussi difficile,  alors qu'elle ne lui réussit jamais ? Suit un Axel... simple, à son tour,  invalidé. Le total de 54.87 points est maigre mais légitime au vu de la prestation réalisée. 10ème d'un programme court en Grand Prix, ce n'est pas la place d'une Gracie Gold. Espérons qu'elle parviendra très vite à se reprendre.

 

Si Gold a été en difficulté, la grande perdante de ce SP est vraiment Maé-Bérénice Meité. La Française dispose pourtant d'un bon programme  (le même que l'an dernier), sur une musique qui fait la part belle à son patinage énergique et convaincant. Mais des erreurs techniques dès l'entame vont la déstabiliser. En déséquilibre sur sa combinaison triple boucle/triple boucle piquée, elle termine en sous-rotation avec la main sur la glace. Elle chute sur son triple Lutz. Mais son double Axel est bonifié et le reste des éléments est correctement exécuté, même si la séquence de pas est peut-être un peu lente. Elle n'est pas à sa place au 11ème rang du Grand Prix de France avec seulement 52.78 points. Connaissant sa capacité à se battre, nul doute qu'elle fera tout, demain, pour se rattraper. 

 

Sur "Fantaisie pour Violon et Orchestre" de Nigel Hess, extraite de la B.O. du film "Les Dames de Cornouailles", la Japonaise Yuka Nagaï est en queue de peloton avec 52.41 pts. Un petit déséquilibre sur le triple Salchow de sa combinaison lui fait transformer sa triple boucle piquée en double. La triple boucle est correcte, mais un double Axel avorté en simple est non comptabilisé. L'ensemble du programme,  niveau aussi bien technique qu'artistique,  est sans grand intérêt. 

 

Sur place : Kate Royan