Entretien avec Katia Gentelet


 

 

Depuis quelques années le club de Nice produit les plus grands espoirs du patinage français féminin, mais aussi masculin : Julie Froetscher, Pauline Wanner, Héloïse Pitot, Marina Popov, Maxence Collet, Rémi Belmonte. Arrivent de nouvelles pépites comme Océane Piegad. Laurine Lecavelier, vice Championne de France, a choisi, cette saison,  de faire confiance à l'entraîneur Katia Gentelet. Le succès est probant avec les résultats que l’on connaît au niveau national comme international. J’ai eu la chance de rencontrer Katia lors de la dernière Coupe de Nice (octobe 2016) et elle a gentiment accepté de répondre à mes questions.

 

- On vous connaît comme entraîneur,  mais pourriez-vous nous parler un peu de  votre parcours ?

 

Bien sûr. Je suis française par mon père, et j'ai des origines slaves par ma mère qui est russe. J’ai débuté ma carrière de patineuse à Nice sous la houlette de Jean-Christophe Simond et Michel Fontana. A quatorze ans, je suis partie en Russie m’entraîner avec Alexeï Mishin. Mais,  blessée à la hanche,  j’ai dû arrêter prématurément ma carrière.

 

-  Vous êtes alors revenue en France ?

 

Je ne pouvais plus sauter, chose très difficile à supporter pour moi. En Russie on m’avait conseillé d'opter pour la danse sur glace. A l’époque, les esprits étaient moins ouverts qu'aujourd'hui  et une reconversion vers la danse était considérée comme un échec. En restant sur un goût d'inachevé, j’ai donc quitté complètement le milieu du patinage pour poursuivre mes études à l’étranger et travailler dans le management.  J’ai travaillé pour le groupe LVMH, j'étais directrice de magasin et j’ai beaucoup appris sur la gestion des équipes et, bien sûr, sur la gestion de l’humain. Mais je me suis rapidement essoufflée. J'avais faim et soif de continuer à apprendre tous les jours, de sortir de la routine, d'un côté plus ludique. Un entraîneur niçois est partie en congé maternité, et on m’a proposé de la remplacer. J’avais quitté le milieu du patinage depuis longtemps. J’ai mûrement réfléchi et je me suis dit : oui,  c’est le moment de revenir, Mais si je reviens,  je veux faire les choses bien. Alors je suis allée trois mois me reformer chez Alexeï Mishin en tant qu’entraîneur cette fois, et il y a maintenant six ans que j'officie au Club de Nice.

 

- En six ans,  que de beaux résultats avec vos élèves !

 

Merci !  C’est beaucoup de travail,  et,  comme je l’ai dit précédemment,  si je suis revenue au patinage, ce n'était pas pour faire les choses à moitié.  Je suis tellement passionnée par ce sport,  par les athlètes,  que rien ne peux m’arrêter !

 

- Justement, à propos de vos athlètes, comment concevez-vous les relations entre entraîneur et patineurs ?

 

Ecoutez, pour moi il s’agit d’un véritable tandem. L'entraîneur doit s’adapter aux athlètes,  pas l’inverse. C’est du sur mesure. Chaque athlète est différent. Exemple : j'entraîne quatre filles juniors,  pas une n'a le même caractère, c’est donc à moi de chercher les solutions lorsqu'il y a un problème. C'est mon rôle de les accompagner au mieux dans leur développement sportif et humain. Notre relation est axée sur une remise en question perpétuelle et une une communication systématique.  Il est fondamental de communiquer.

 

- Vous avez récupéré quelques patineuses d’autres clubs. Comment se passe la transition ? Reprenez-vous entièrement la technique,  ou vous contentez-vous de prolonger un apprentissage ?

 

Si ça marche bien,  évidemment,  je ne change rien. Mais si les gestes techniques ne fonctionnent pas, je fais en sorte d'y remédier.

 

- Parfois, certains  gestes techniques ne sont pas très beaux,  mais ils peuvent fonctionner ?

 

Non, il existe une technique, une biomécanique, c’est mathématique. Par contre, il y a différentes façons de faire comprendre ces gestes techniques à travers des exercices, des explications, des images.

 

- Comment se passe une session ?

 

En premier lieu, les athlètes doivent s'échauffer. Tous les jours. C'est très important. En France, peu d’athlètes s’échauffent, je tiens à le dire. Nos séances sont planifiées longtemps à l’avance,  puis revues de façon hebdomadaire. Beaucoup d'éléments entrent en jeu, fatigue, douleur, états d’âmes, soit une foule de choses à gérer au quotidien.

 

- Vous coachez en même temps ?

 

Oui en même temps. Si je dois étudier des choses spécifiques,  je m'occupe de mes athlètes dix ou quinze minutes en individuel. C’est toute une organisation, selon les besoins du moment.

 

- Et niveau psychologie ?

 

J’ai des entretiens individuels très régulièrement avec mes athlètes, nous discutons souvent.

 

- Vous dites que vous vous adaptez aux patineurs et j’ai justement remarqué que, pendant les six minutes d'échauffement et pendant la compétition,  votre comportement est différent avec eux, sauf à la fin de leurs prestations...

 

En effet, je ne les manage pas tous de la même façon. Trouver la meilleur méthode psychologique, la préparation aux compétitions,  cela prend du temps. Il faut bien les analyser, je marche beaucoup aux énergies. Certaines patineuses, comme Héloïse qui partait aujourd'hui avec une crainte, ont besoin d’un électrochoc,  d’où ma réaction un peu sévère pendant le warm-up.

 

- Côté masculin, parlons de Rémi Belmonte et Maxence Collet. Comment voyez-vous l’avenir de ces garçons ?

 

Il est important de souligner le parcours de Rémi. Il vient d’Aubagne où il n’avait pas de structure d’entraînement. Il est arrivé ici il y a trois ans. Il a beaucoup progressé,  il a développé sa gestuelle et son côté artistique,  mais au départ, il avait déjà beaucoup de charisme. A présent, il lui faut travailler sa technique de sauts. Maxence, je l'ai eu comme élève dès son plus jeune âge.  C’est un garçon qui m’a toujours interpellée, intéressée,  et j’ai toujours cru en son potentiel,  même s'il lui a fallu un certain temps pour le développer. Je pense qu'on va entendre parler de lui pendant un bon moment. J’entraîne également un jeune garçon, le petit frère d’Héloïse, François Pitot et je vous le ferai découvrir lors des prochaines compétitions nationales.

 

- Prenons justement l'exemple d’Héloïse Pitot qui,  depuis quelques temps,  a fait de gros progrès...

 

Oui, aujourd'hui sa triple boucle,  qui était souvent en sous-rotation,  est beaucoup plus stable. Elle effectue tous les triples, sauf le Salchow car elle ne l’a jamais réellement appris. En ce moment je reprends les fondamentaux de ce saut avec elle.

 

- Je reviens sur une autre de vos élèves, Julie Froetscher.  Quelles ambitions avez-vous pour elle ?

 

Les mêmes que pour toutes et tous, mais c’est elle qui a effectué le meilleur début de saison. Elle enchaîne les performances, elle est très régulière, c'est tout a son honneur. C’est une jeune fille de seize ans, elle a l'avantage d'avoir un corps à présent formé,  et le meilleur reste à venir. J’aimerais qu’elle fasse un podium aux championnats de France Elite et qu’elle se qualifie aux Championnats du Monde Juniors. Ensuite on verra…

 

- Il me semble que se sont des objectifs tout à fait réalisables.

 

J'ai les mêmes souhaits pour les autres. Elles sont toutes logées à la même enseigne. C’est très important, ça permet, malgré la compétition,  de conserver une ambiance saine. Compétitrices sur la glace et amies en dehors.

 

- Pauline Wanner : six minutes d’échauffement magnifiques,  seulement quatorze ans. Qu’en pensez-vous ? Il faut lui laisser le temps de commettre des erreurs ?

 

Oui c’est dans l'erreur qu’on apprend le plus. Pauline s'est trouvée en difficulté,  mais il ne faut pas oublier qu’elle est en pleine puberté.  A cet âge,  on se pose des questions, on a besoin de s’affirmer, de se comprendre, de se connaître.  Là encore,  c’est à moi, entraîneur, de les aider,  de les accompagner dans cette période difficile. Seules, elles ne pourraient pas passer ce stade rapidement. C’est notre travail d’accompagner les athlètes dans la difficulté comme dans la réussite. Il ne s’agit pas de petits soldats qu'on met à la poubelle  quand ils ne réussissent plus,  ce ne sont pas des Kleenex.  On voit le fonctionnement avec Marina Popov, on la soutient,  ça fait partie de la vie, de notre métier. Avec Pauline,  la période sombre est derrière nous, elle a atteint une certaine maîtrise,  et dans les prochaines échéances,  elle sera au rendez-vous.

 

A propos de Marina Popov, j'ai été très agréablement surpris pendant le libre...

 

On la sent en difficulté sur les sauts,  mais toujours très impliquée dans ce qu’elle veut faire. Elle est devenue une très belle jeune fille.

 

- Comment voyez-vous la suite pour elle ?

 

Mon principal objectif est de la remettre d’aplomb. Il y a un an et demi, elle était la meilleure junior française. Puis elle a traversé des événements personnels très difficiles [décès de sa maman],  sans compter ses blessures et donc un arrêt de son entraînement pendant six mois. Elle est motivée et je veux l’accompagner au mieux, la soutenir.

 

- Une révélation pendant la Summer Cup :  Océane Piegad ?

 

Elle est toute jeune, je l'entraîne depuis qu’elle a quatre ans. C’est une jeune fille très intéressante, charismatique, très drôle et très travailleuse. Avec toutes ses qualités,  elle peut allez très loin.

 

 

- Le couple, c'est une discipline pour laquelle vous avez des projets ?

 

Je pense qu'on ne peut pas courir cent lièvres à la fois.  Et ce n’est pas ma discipline,  je n’ai pas assez de connaissances dans ce domaine. J’aime le patinage de couple, mais entraîner dans cette catégorie n’est pas de mon ressort.

 

- Ceci m'amène à une autre question : avez-vous,  parmi vos élèves,  des patineurs susceptibles ou désireux de s'orienter vers le couple artistique ?

 

Oui,  je pense à Rémi Belmonte. Mais pour l’instant,  il souhaite rester à Nice et continuer en individuel pour progresser en technique. Plus tard, il pourrait être intéressant pour lui de se diriger vers le couple.

 

- Dernière question :  le retour de Maé-Bérénice Meité  ? Avez-vous vu son programme libre ?

 

Oui, je trouve que Maé est extrêmement combative et c’est sa grande qualité. Elle a encore progressé dans sa qualité de patinage. Ses entraîneurs, dont Shaneta Folle, se servent de sa puissance naturelle pour la mettre encore plus en valeur. Ce qui pouvait autrefois paraître trop brutal, est devenu un atout.

 

- Maé est la concurrente directe de Laurine en France...

 

Laurine et moi-même nous dirigeons plus vers des performances internationales. Regardez les Japonaises, les Russes et certaines Américaines,  là c’est productif.

 

- Laurine a les qualités pour faire des performances contre les patineuses russes qu’elle admire beaucoup, mais j’ai l’impression qu’elle fait encore un complexe sportif...

 

Laurine possède une marge de progression très importante. Mais il y a encore tout un travail de confiance à faire. Nous avons commencé dès son arrivée, ça prend forme. Elle se rendra bientôt compte qu’elle peut rivaliser avec les meilleurs très rapidement.

 

Merci Katia de m’avoir accordé de votre temps. Je pense que nos lecteur en auront appris un peu plus sur le rôle et le travail d’un entraîneur et en particulier sur le vôtre. A bientôt au bord des patinoires.

 

Propos recueillis par Emmanuel Leroy à Nice - Octobre 2016