© S.I.G. - Rumi Hirakiuchi
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Championnats d'Europe 2020 - Graz

25 janvier

Danse Libre : La couronne change de têtes...


 

 

Au vu des résultats de la danse rythmique, on s'y attendait. Ou pas. Au vu des entraînements de Gabriella et Guillaume, on avait quelques doutes. A peine. Capables de remonter des paquets de points par le passé, ce ne sont pas quelques insignifiantes poussières qui pouvaient freiner les Français.  "Tout rentera dans l'ordre après-demain" a t'on beaucoup entendu à la Prämstatten Halle. Que nenni. La couronne a bel et bien changé de têtes. 

 

Certains l'avaient prédit à grands cris et grand bruit, collant un peu plus de pression sur des épaules françaises déjà un peu lasses. D'autres n'y croyaient pas un instant, sûrs que Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron patineraient leur danse libre de l'année,  pour remettre les pendules à l'heure. Pour quelques nouvelles poussières de points, 19 centièmes au lieu des 5 de la danse rythmique, et 14 au total, les Russes Victoria Sinitsina et Nikita Katsalapov se coiffent de l'or européen. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils ont creusé l'écart... Mais ils ont beaucoup appris de leurs concurrents. A commencer par la sobriété. Tout, dans leur style, a été épuré. Déjà visible dans la danse rythmique, la méthode "less is more" (moins c'est plus).va pourtant à l'encontre du style traditionnel russe. Mais, comptablement parlant,  elle rapporte, tout le monde le sait maintenant. Inutile de vouloir faire du Papadakis/Cizeron quand on n'est pas dans leurs patins, tout ceux qui ont essayé, un peu naïvement à vrai dire, s'y sont cassés les lames et les dents. La solution ? Adapter "less is more" à votre propre style. Sinitsina/Katsalapov sont les premiers à y parvenir. Transcendés, ils entament leur danse libre avec une grande délicatesse sur une première musique de Ludovico Einaudi, "I Giorni", jouée par le violoniste britannico-sud-africain Daniel Hoppe. Ils sont légers, en carres. Quand Nikita ne saccage pas ses twizzles, ils sont de niveau 4 et récompensés par cinq fois + 4 et deux fois +5. (Le +3 de la juge finlandaise et un des +5 ne comptent pas puisque les notes les plus extrêmes à chaque bout du spectre ne sont pas prises en compte). Victoria obtient un niveau de plus (+4) que son partenaire dans la séquence de pas sur un pied. Je suis beaucoup moins convaincue par leur deuxième partition musicale, "Songs my Mother taught Me" de Dvorak, interprétée par le violoniste franco-serbe Nemanja Radulovic. Je la trouve vieillotte, sirupeuse, beaucoup moins propice à l'émotion (ce qui, je le sais,  est très subjectif). Mais les patineurs restent dans la retenue et l'élégance. Ils expliqueront plus tard en conférence de presse, qu'après l'énorme claque prise à la Finale du Grand Prix de Turin (6èmes et derniers de la compétition), ils ont énormément travaillé leur niveaux. A la faveur de quelques erreurs commise par Papadakis/Cizeron, les Russes les battent de faibles points sur le score technique. Ce qui ne me semble pas inique. Qu'ils fassent de même en composantes est nettement plus discutable. Les Français restent devant en Skating Skills (9.71), mais perdent du terrain en transitions (9.46/9.57), alors que leur programme est beaucoup mieux construit dans ce domaine. Les Russes sont jugés supérieurs en Performance (9.82/9.79), ce qui est logique puisqu'elle est liée à l'exécution technique. La note de composition est la même pour les deux couples (9.71). Et Victoria et Nikita devancent les Français en interprétation de la musique (9.82/9.75). Difficile d'être d'accord. L'une des plus grandes forces de Gabriella et Guillaume est précisément l'interprétation.  Les élèves d'Alexander Zhulin sont loin de les égaler pour l'instant. 

 

Qu'on soit spectateur lambda, fan éclairé, connaisseur pointu, français ou étranger, Juge I.S.U. ou non, on n'attend de Papadakis/Cizeron que l'excellence. Ils nous y habitués,  et nous nous sommes endormis sur leurs lauriers. Il arrive cependant que tout n'aille pas comme prévu. Ce sont des humains, pas des machines. Et même les machines se grippent parfois. Ont-il perdu l'or ou gagné l'argent ? Le verre est-il à moitié vide ou à moitié plein ? C'est à l'appréciation de chacun. "On aime gagner" a toujours précisé Guillaume. Mais parfois les héros sont fatigués. Qui peut-être au top, à 100%,  tous les jours ? A force de les voir gagner, on l'a un peu oublié. Lorsque, à deux podiums près,  vous restez au sommet pendant six saisons, la pression ne finit-elle pas par peser ? On pourra parler de complot, de tricherie éhontée, crier au scandale, si les petits arrangements entre amis existent et qu'on le sait, ce n'est pas la raison principale de la victoire de Sinitsina/Katsalapov. Tout d'abord, cette victoire n'est pas, comptablement,  assez nette pour être vraiment significative. A un éternuement près, elle allait aux Français. Qu'on aime les Russes ou non, ils restent d'excellents patineurs. Dans l'ombre et à travers des résultats irréguliers, ils sont parvenus, sans qu'on s'en méfie, à un très haut niveau. La qualité de leur programme libre à Graz est sans commune mesure avec le ratage complet de Turin. Gabriella et Guillaume sont entrés sur la glace visiblement stressés (Guillaume a égratigné une série de twizzles lors des six minutes d'échauffement). Ils ne seront pas aussi lisses et limpides que d'habitude. Leur programme libre reste un chef d'oeuvre d'originalité créative. Ils restent les meilleurs danseurs sur glace de tous les temps. Mais ils n'auront qu'une médaille d'argent. Tout le monde va survivre... Rendez-vous à Montréal en mars. 

 

Moscou va devoir (provisoirement ?) se passer de sa nouvelle centrale éolienne (voir article Danse Rythmique). La danse libre de Stepanova/Bukin est une jolie réussite. Les costumes sont intégralement noirs et les cils d'Alexandra vraiment très très longs. Ludovic Einaudi pour eux aussi - "Primavera" - et sa musique ne se prête pas aux excès gesticulatoires de leur RD. C'est donc un bon choix. Je ne suis pas du tout fan de Justin Timberlake par contre, et de plus cette seconde musique, "Cry Me a River" me semble peu en accord avec la première. Mais elle est, elle aussi, bien exploitée par la construction du programme et très bien interprétée. Alexandra écope d'un niveau 2 seulement sur la suite de pas. Tout va bien dans le meilleur des mondes pour les autres éléments, twizzles, pirouettes, portés. Les ,juges font de nouveau preuve d'une certaine générosité dans les composantes, mais aussi d'une grande disparité : 8.75 à 9.75. Avec une Base Value plus élevée de 0.37 points - est-ce une blague ? - par rapport à Guillaume et Gabriella, Stepanova/Bukin montent sur la troisième marche du podium pour empocher la médaille de bronze comme en 2018, métal moins brillant que l'argent de Minsk il y a un an.  

 

Les Italiens Guignard/Fabbri sont sans doute les grands perdants de ces championnats. Les derniers à passer sur la glace après Papadakis/Cizeron et une attente interminable (un incident technique a retardé l'annonce de leurs notes), ils font preuve d'un sang-froid sans faille. Leur danse libre sur un medley de chansons de David Bowie est patiné avec une grande fluidité et ils sont très rapides. Pour la première fois depuis sa blessure, Marco ne porte plus son attelle de poignet (c'était déjà le cas pour la RD), ce qui lui permet de retrouver toute son aisance et d'assurer comme avant les portés de sa jolie Martienne au lèvres bleues. Leur plus gros handicap est ce niveau 2 donné à la suite de pas de Charlène. Sont-ils sous-notés par rapport à Stepanova/Bukin ? Je ne sais pas. Mais leur total de 120.92 pour la danse libre et celui de 205.58 au final les placent nettement en retrait du podium. 

 

Le troisième couple russe en lice, Tiffany Zagorski et Jonathan Guerreiro se classent 6èmes (112.93/188.03). Sur "Survivor", B.O. du filml Tomb Raider 2, Tiffany campe une Lara Croft très convaincante, même si elle dit elle-même ne pas chercher à conter d'histoire dans ses programmes. Après les difficultés surmontées depuis le début de leur carrière commune, "Tiff et Jon" sont effectivement des survivants. Leur danse libre est très bien bâtie, avec pour solide fondations leur technicité et leur dynamisme. Ils sont devancés au classement général et de la danse libre par les Britanniques  Fear/Gibson (118.08/192.34). Purs "produits" de l'école Gadbois, leur programme et chorégraphies sont millimétrés jusqu'au bout des gestes. Avec une Base-Value supérieure à celle de Guignard/Fabbri, ils n'ont qu'un centième de différence comparé aux Italiens dans leurs GOEs. Sur "Vogue" et "Like a Prayer" de Madonna, je ne les trouve pas tout à fait assez rapides par rapport au tempo, mais ce n'est pas moi qui suis sur les patins (heureusement pour tout le monde !). 

 

Les deux couples espagnols sont très proches, Hurtado/Khaliavin 7èmes (112.40/185.84) et Smart/Diaz 8èmes (110.93/183.12). Sara et Kirill ont opté cette année pour un thème hispanisant. Ma préférence va à Olivia et Adrian, moins bons techniquement, mais dont j'apprécie l'originalité artistique. Kaliszek/Spodyriev, après une 5ème place aussi stratosphérique qu'incompréhensible l'an dernier, réintègrent un rang qui me semble plus équitable : 9èmes (108.30/180.26). 

 

Au rayon France, la succession de Papadakis/Cizeron pourrait se résumer à : ne poussez pas derrière, plus vite devant ! Impossible pour moi de choisir entre le "Carmen" à la fois sobre et brûlant de Galyavieva/Thauron ; et le formidable "Adagio for Tron" de Daft Punk de Lopareva/Brissaud. Adelina, en robe vert améthyste dépouillée de toute fioriture,  est une cigarière étonnante et non-conformiste, en passe de devenir aussi bonne danseuse que leur illustre coach Anjelika Krylova.  Louis en gris sombre, sans la moindre dorure classique du torero, est un partenaire fiable et plein de personnalité. Le couple me rappelle Anissina/Peizerat, une danseuse au tempérament de feu et un jeune homme plus posé, mais diablement vivant et terriblement artiste. Evgeniia et Geoffrey seront-ils les prochains Papadakis/Cizeron ? Il y a déjà quelques similitudes : elle a du charme, du chien, une indéniable présence, des yeux hypnotisant, une vraie sensibilité. Il est beau comme un Dieu, naturellement élégant, déjà formidable danseur, il vit sa musique. Au score, Adelina et Louis sont logiquement devant (105,30/172.15 - 12èmes) grâce à leur meilleur bagage technique et à leur expérience. Encore auraient-ils pu recevoir de meilleurs notes me semble-t-il, en particulier en composantes qui sont trop basses à mes yeux. Evgeniia et Geoffrey sont 15èmes du libre et du général (99.54/165.22), ce qui est un excellent résultat pour une première participation européenne. 

 

Sur place : Kate Royan

 

Classement Danse Libre et scores détaillés

Classement général

 

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