© S.I.G. - Alice Alvarez
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Internationaux de France 2018

25 novembre 2018

Danse Libre - Duet, Vincent  et Bach...


Au fil des compétitions, il est de plus en plus évident qu'Adelina Galyavieva et Louis Thauron sont faits pour patiner ensemble. Leur danse libre au son de la B.O. d'Amélie Poulain" a, à la fois, la maturité d'un couple qui collaborerait depuis toujours, et une très grande fraîcheur. Avec un total de 146.05 (90.84 pour le libre), ils ne se classent que 10èmes. Leurs twizzles sont de niveau 4 (même si les GOEs oscillent de -1 à +1), ainsi que deux de leur portés et une de leurs pirouettes. C'est un excellent début dans la cour des grands pour un nouveau partenariat à l'avenir très prometteur. 

 

Le libre des Lituaniens Reed/Ambrulevicius ne restera sans doute pas dans les mémoires, en tout cas pas dans la mienne. Il y a du potentiel chez ces jeunes gens mais aussi du surjeu et un petit manque de base technique. "Crazy" par Gnarls Barkley, musique jazzy, correspond pourtant tout à fait à leur style. Ils sont 9èmes (93.50/153.27). Vous l'aurez compris, préférence personnelle (et arbitraire !) oblige, je les aurais volontiers classés derrière Adelina et Louis. 

 

Betina Popova et Sergeï Mozgov sont "le Maître et la Marguerite", par Igor Korniliuk, version bande originale du film. Si l'on se réfère au célèbre roman éponyme de Mikhaïl Boulgakov, chef d'oeuvre de la littérature russe, Sergeï campe un "Satan" tout à fait convaincant. Betina, plongée dans le monde de la nuit pour en revenir purifiée et accueillir les pires criminels de la terre au bal de son Maître,  n'est pas en reste. Déjà très "diva" en catégorie junior, elle continue d'en faire un peu trop. On le lui pardonne car le couple a largement amélioré sa technique depuis le début de saison. Ils se classent 7èmes du libre avec 99.54, doublant ainsi Smart/Diaz (en technique mais pas en composantes) et 8èmes du classement final (163.18).

 

Olivia Smart et Adrian Diaz nous offrent, à mon goût, un des plus jolis libres de la saison. Je ne suis pourtant pas grande fan des Beatles même s'ils ont inspiré la plupart de mes musiciens favoris. Mais le medley et la chorégraphie imaginés par l'équipe Dubreuil/Lauzon/Haguenauer/Denis/Coumoyer leur va comme un gant. Adrian reste légèrement supérieur à sa partenaire en technique pure (même si c'est elle qui obtient un niveau 4 sur ses twizzles alors que lui ne récolte que 3). Olivia remporte, toujours à mon goût, la palme de la plus belle robe de la journée ! Coupe sobre, rose saumon délicat. Sans une chute d'Adrian, je pense qu'ils avaient la possibilité de se classer devant leurs camarades d'entraînement,  les Américains Hawayek/Baker. Ils sont 8èmes du libre (97.53) et 7èmes au général (165.69).

 

Marie-Jade Lauriault et Romain Le Gac ont choisi leur style et s'y tiennent. Ils ont raison. Leur physique athlétique est ici utilisé à fond, avec intelligence et grâce. Un medley pour eux aussi, sur des musiques de Bruno Mars. Pas le temps de respirer, ça va vite, fort et bien. Je me permets de trouver leurs composantes un peu sous-estimées par le jury (près de 10 points de moins qu'en TES). Il se classent au 5ème rang de la danse libre (105.70) et 6èmes de ce Grand Prix (170.64), ce qui est une très bonne place.

 

S'attaquer à un monument tel que "To Build a Home" de The Cinematic Orchestra (pour mémoire un des formidables libres de Papadakis/Cizeron), n'est pas seulement, à mon sens,  une erreur tactique mais c'est surtout un brin inconscient... Rachel et Michael Parsons ont pourtant opté pour ce morceau ultra-émouvant. Il fallait oser, je leur reconnais au moins ce cran ! Ce sont de bons danseurs, dotés de solides bases techniques. La jeune fille est tonique, son frère plus en retrait, mais pas éclipsé. On est, bien sûr,  à des années lumières de l'interprétation subtile et toute en finesse de Gabriella et Guillaume. Les comparer n'est pas une bonne idée, je vous l'accorde. Difficile pourtant de faire autrement tant les Français marquent les esprits par leur extraordinaire différence. Leur image vient spontanément à l'esprit dès que l'on entend, que ce soit sur la glace ou à la radio, une musique sur laquelle ils ont patiné.  La fratrie américaine a une très bonne glisse, d'excellents portés et une vraie volonté d'interprétation. Tout ceci aurait pu (dû ?) être mis au service d'une autre musique. Oui, la danse sur glace est aussi une discipline athlétique, mais les efforts de Rachel sont beaucoup trop visibles, surtout sur une mélodie qui appelle la douceur et la fluidité. 103.03 les placent 6ème du libre et 5èmes au final (171.71), ce qui est, somme toute, une excellente place. 

 

Kaitlyn Hawayek et Jean-Luc Baker, comme Kevin Aymoz et Romain Ponsart, ont choisi la musique de The Irrepressibles.  L'effet n'est pas le même... Rien de l'émotion dégagée par Kevin ou de l'élégance de Romain. Trop de mimiques et "d'effets de manche". Ce thème appelle la sobriété, ce n'est pas le fort des deux Américains. Le programme est, à mes yeux, sauvé par leur potentiel technique. Avec 111.62, les voici 4ème de la danse libre et du Grand Prix (181.47). 

 

Piper Gilles et Paul Poirier, ont, eux aussi, un des plus beaux libres de la saison. "Vincent", pour Vincent Van Gogh, par Don Mac Lean sur la chanson "Starry Night". Paul est le peintre, Piper est sa toile, une toile bleu roi parsemée d'étoiles. Lors de leurs premières prestations cette saison, j'ai trouvé la première partie de ce libre un peu mièvre, sans doute en raison du côté édulcoré de la mélodie. Mais au fil des compétitions, ils lui ont donné un véritable "corps". J'aime en particulier la façon dont Piper caresse l'air de ses bras, et ce second porté, absolument magnifique. Le crescendo de la musique en milieu de programme a quelque chose de magique. Piper n'obtient qu'un niveau 3 sur ses twizzles contre un 4 pour Paul et les autres niveaux sont assez bas. Les composantes me semblent aussi très basses. Ce qui ne les empêche pas d'être 3èmes de cette danse libre (114.49) et d'empocher une médaille d'argent largement méritée (188.74).

© S.I.G. - Alice Alvarez
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Elle était plus attendue que le messie cette danse libre ! Papadakis/Cizeron la présentent enfin à Grenoble. Comment font-ils ? La musique de Rachael Yamagata donnerait à n'importe qui l'envie de se jeter du haut d'un pont, même en n'étant que moyennement dépressif. Et ils en font une oeuvre de poésie, un moment d'éblouissement, une ode aux affres de l'amour mais aussi à la joie et à la passion. Toujours ce mélange de tendresse et de violence, cette façon de souligner chaque note de la mélodie, et ces difficultés techniques hors du commun qu'ils font passer pour un jeu d'enfant. A ceux encore capables de les voir encore, s'entend. C'est une de leurs plus grandes forces et de leurs plus grands talents. Ils sont la musique, elle coule dans leurs veines à chaque programme. Pardonnez l'expression triviale, mais leurs portés sont les plus casse-gueule possibles et ils les exécutent avec la facilité que vous et moi avons à traverser la rue pour aller acheter du pain. Sans doute sont-ils tombés d'une autre planète. Sinon comment expliquer qu'ils puissent défier la gravité dans ce porté/pirouette exceptionnel ? Les voici plus matures que jamais dans leurs expressions, encore plus libres et plus vibrants. La seule chose insupportable ? Que le programme s'arrête. On voudrait que ça dure, encore, toujours, longtemps ! Boom, première explosion, le public est debout, hurle, n'arrête plus d'applaudir.  ! Boom, une deuxième quand les notes s'affichent. 132.65 et une victoire ultra-logique avec 216.78. Une majorité de 4 et de 5 en TES, des 10 à la pelle en composantes. Non, ce n'est pas "l'effet maison", ils les méritent. Vraiment. Et dire que, quand j'ai appris les titres de leur musique, j'ai fait la grimace parce que Rachael Yamagata me donne le bourdon !  J'aurais dû me douter qu'avec de tels danseurs et de telles personnalités, ils en ferait, comme toujours, un moment d'exception. 

 

Il en faut du courage, et de la concentration à Sinitsina/Katsapalov pour monter sur la glace alors que les spectateurs sont encore K.O. debout, sous le choc émotionnel Papadakis/Cizeron. Je salue sincèrement leur calme et leur détermination. Ainsi que leur performance. Car là aussi, j'ai eu des doutes... Reprendre le "Bach" de Klimova/Ponomareko en 1992, un des plus grands moments de la danse sur glace, une performance historique, une médaille d'or olympique... (Sans compter l'ironie qui veut que leur coach, Alexander Zhulin et sa partenaire de l'époque Maïa Usova, , aient été battus à plate couture toute la saison 1992 par leur compatriotes sur cette même musique !)  Je leur en voulais presque d'oser s'attaquer à cet autre monument, qui, pour moi, fut LA référence ultime,  avant l'avènement de Papadakis/Cizeron. Grosse erreur de ma part. Ils sont beaux, ils sont bons, ils sont même excellents. Après deux années quasiment blanches, truffée de blessures, contre-performances, et divers caprices du jeune homme qui peut être aussi imbuvable que charmant, le couple semble enfin stable, fiable et surtout dangereux pour ses concurrents. Oh pas pour Gabriella et Guillaume qui restent dans un monde à part, mais pour tout le reste de la discipline. Nikita laisse enfin à sa partenaire, une plus grande latitude pour s'exprimer, même s'il en fait encore un poil de trop. Mais plus rien de comparable avec le temps où l'on ne voyait strictement que lui,  tant il était démonstratif (voire grandiloquent),  tandis qu'elle restait timidement effacée. Ils n'ont pas encore atteint le plein équilibre mais ils sont en bonne voie. Pour que j'ai trouvé leur libre aussi beau et prenant, tout de suite après celui de Gabriella et Guillaume, il faut vraiment qu'il ait été... beau et prenant ! Une très agréable surprise pour moi qui n'ai jamais cru en ce couple auparavant. Je n'arrête plus de me tromper avec la danse sur glace. Vous m'en voyez ravie !! Depuis le temps qu'on m'annonce la mort de la discipline, l'uniformisation et l'ennui, les réformes inutiles et à contre-courant de la notation, les "c'était mieux avant", je me rends compte avec bonheur qu'il y a toujours autant à découvrir. Oh bien sûr, ce libre de Sinitsina/Katsalapov est très classique, très "russe", techniquement rude mais un peu facile artistiquement. Tant pis. Il est beau et même émouvant. Ils remportent la médaille d'argent avec 200.38 (à plus de 16 points des Français donc...) et une 2ème place du libre complètement incontestable (122.47).

 

© S.I.G. - Sur place : Kate Royan