© S.I.G. - Myriam Cawston
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Championnats d'Europe 2019 Minsk

26 janvier

Danse Libre : Papadakis/Cizeron des record, encore...


 

Cinq médailles d'or à la suite. Record battu en danse sur glace. Les Russes Pakhomova/Gorshkov ont été six fois champions d'Europe, mais pas consécutivement. Leurs compatriotes Bestemianova/Bukin l'ont été cinq fois, mais pas d'affilée non plus,  puisque Jayne Torvill et Christopher Dean leur ont soufflé la politesse en 1984. Andreï Bukin, est le père d'Ivan, actuellement un des meilleurs danseurs du circuit, et Christopher Dean, le chorégraphe de Gabriella et Guillaume. Le monde de la danse sur glace est décidément minuscule. Papadakis/Cizeron, acclamés avant même que leur musique ne démarre,  sont donc champions d'Europe pour la cinquième fois, avec un total de 217.98 points, soit 11.57 d'avance sur leurs poursuivants, Ivan Bukin et Alexandra Stepanova. On ne s'en étonne même plus, blasés que nous sommes devenus. Comment pourrait-on les imaginer ailleurs qu'à la première place ? Ils battent aussi deux records du monde (les leurs !),  ces fameux 217.98 au général et 133.19 pour la seule danse libre. C'est une formidable ode à l'amour, cette danse, deux êtres s'aiment, se déchirent, se séparent, souffrent, se retrouvent. Toutes les couleurs, les affres de la passion y passent. La première partie, sur la chanson "Duet" quasiment chuchotée par Rachael Yamagata,  n'a toujours pas ma faveur, même si l'interprétation est subtile,  parfaite. Je lui préfère la seconde, "Sunday Afternoon", et Gabriella et Guillaume bluesy depuis les lames des patins jusqu'à la racine des cheveux. Ils ne sont que mouvement, rythme, chair et sang, tout en fluidité, sur des éléments extrêmement difficiles. Il faudrait inventer de nouveaux superlatifs pour décrire leur talent et leur façon de l'exploiter. Trente-neuf +5 en grade d'exécution.  Leur plus "mauvaise" note est +3 et il n'y en a que sept !  Vingt-et-une fois 10 en composantes, la plus basse est à... 9.75 ! Intouchables. 

 

Aussi bons danseurs que soient Alexandra Stepanova et Andreï Bukin, et je les trouve remarquables, passer après Papadakis/Cizeron est une vraie punition. Ils n'ont pourtant rien fait de mal. Mais ils n'évoluent dans la même sphère, tout simplement. Ils ont, cette année, fait un très bon choix musical avec  "Am I the One" de la chanteuse américaine Beth Hart. Mais la chanson, ultra-rock, après la douceur et la mélancolie de celles de Yamagata, nous fait l'effet d'un coup de poing désagréable à l'estomac. Question de timing, ou plutôt de tirage au sort. A peine d'un profond moment d'émotion,  on en prend soudain plein les oreilles et la figure. Le programme en lui-même est intéressant, bien construit, difficile techniquement. Ivan Bukin me semble soudain très supérieur à sa partenaire, dont les mimiques et les attitudes sensuelles frisent parfois, involontairement,  la caricature. Il est beaucoup plus en musique, beaucoup plus naturel et convaincant. Dans une robe très découpée, très sexy, Alexandra redouble de coups de tête rageurs, de gestes brusques,  qui évoquent moins l'art de la danse que le sado-masochisme . La seconde partie de la musique, blues-rock et syncopée, va en accélérant,  et devient très difficile à patiner. Les deux Russes s'en tirent tout de même très bien, mais dans un registre "tout en force". L'ensemble a besoin d'être nettoyé de ses excès d'ici les championnats du Monde. Le fond de cette danse libre est excellent, on y retrouve des éléments originaux et difficiles, comme ces twizzles "pirouettés" qu'ils sont seuls à réaliser. Mais la forme laisse encore à désirer. Voyons Ivan, en pleine période post #MeToo, coller allègrement la main aux fesses de ta partenaire,  manque pour le moins de délicatesse... Ils n'auront pas volé leur médaille d'argent (125.04/206.41) cependant, en tout cas sur le plan technique. Les composantes généreuses accordées, comme ce 10 en interprétation de la musique, sont plus discutables. Mais si on prend Papadakis/Cizeron comme mètre étalon, évidemment... 

 

Je ne vais pas répéter une énième fois que je déteste "La La Land". N'empêche que... le patinage à présent épanoui et techniquement élaboré de Guignard/Fabbri aurait mérité un thème moins sirupeux. Je salue néanmoins l'effort d'originalité qui leur a fait choisir des partitions moins entendues du film, sauf celle de la fin. J'aime la légèreté de leur patinage, la grâce de Charlène,  et la tranquille assurance de Marco. Deux papillons sur la glace, un gris et blanc, un vert prasin. Bien que les deux patineurs soient de taille quasiment égale, dans les portés, Charlène est immatérielle, gracile. Il y a une vraie tendresse dans leur interprétation, un échange subtil et touchant. Ils dansent avec leur coeur,  leurs sentiments. En coulisse, après le passage des derniers Russes, Charlène fond en larmes. Elle a beaucoup de mal à répondre aux questions des journalistes. "Avant nous avons parfois très bien patiné mais nous n'avions jamais de super résultats". Elle parvient à endiguer le flot, se colle deux doigts sous les yeux pour retenir son maquillage qui menace de couler, finit par rire. Je mesure le temps qui a dû leur sembler très long. Apparus sur le circuit national en 2010 (après une carrière solo pour Marco et des débuts français pour Charlène, née à Brest, chacun ayant eu trois partenaires de danse avant de s'associer), seconds de leur championnat national pendant sept ans, jamais classés plus loin que 4èmes dans leurs premières compétitions internationales, dix participations en Challenger Series dont trois places de seconds et sept victoires, quatre fois 4èmes en Grand Prix : leur palmarès est brillant.  Et pourtant, jusque là,  ils ont peu fait parler d'eux, discrets et patients.  Ils ont brillamment entamé la saison 2018/2019, seconds du Skate America et du Grand Prix d'Helsinki, 3èmes de la Finale. Et enfin, à Minsk, une réjouissante médaille de bronze (120.79/199.84). La reconnaissance tant attendue, la voici !

 

Troisièmes de la danse libre (123.71) devant les Italiens, Sinitsina/Katsalapov renaissent de leurs cendres. Mais le retard accumulé dans la danse rythmique leur barre l'accès au podium. Je les préfère à leurs compatriotes Stepanova/Bukin, ce qui est, je le reconnais, subjectif. Enfin, pas tout à fait lorsqu'il s'agit des bases, celles de Sinitsina/Katsapalov étant clairement meilleures. On me dit que Viktoria et Nikita en font trop, qu'ils sont théâtraux mais sans passion, qu'ils ont eu tort de reprendre la musique d'un programme olympique médaillé d'or une génération plus tôt, que leur danse libre est trop "russe", trop classique. Objection, Votre Honneur. C'est vrai, il faut du cran pour reprendre l'Ouverture N° 3 en ré majeur de Bach et son deuxième mouvement, plus connu sous le nom de "Air" (sur la Corde de Sol), devenu une référence grâce à Klimova/Ponomarenko aux J.O. d'Albertville il y a vint-sept ans.  Nikita avait huit mois, Viktoria n'était pas née, et la danse sur glace a beaucoup évolué. Depuis, on a connu d'autres violents frissons, en particulier grâce à Papadakis/Cizeron. Si la composition du programme est du Zhulin tout craché, ses poulains ont une manière d'interpréter cet Aria baroque et lyrique qui me convient parfaitement. J'aime leur glisse rapide, leurs mouvements à l'unisson. Je suis très vite happée et fascinée par la gestuelle calquée sur la musique.  Il s'en dégage une grande sincérité et, à mes yeux, une véritable émotion. Aujourd'hui Nikita tient debout sur ses twizzles, ce qui ne gâte rien. Dommage que le porté rotationnel soit trop long et leur vaille une déduction. Les grades d'exécution s'échelonnent de +2  (je ne compte pas le +1 solitaire et égaré dans le lot) à +5, avec un majorité de +4. Grâce à quatre fois 10.00 en composantes (Stepanova/Bukin n'en ont eu aucun), ils sont devant leurs coéquipiers sur la deuxième note. Sans la déduction du porté, ils auraient pu les battre, au classement du libre, lot de consolation, le podium étant perdu de toute façon. Mais le couple le plus glamour de ces championnats effectue là une très belle remontée,  après nous avoir fait lever les yeux au ciel et grincer des dents. On me dira aussi que la 4ème place est la pire qui soit, la plus ingrate, celle qui vous crible de regrets. Ca n'a pas l'air d'être l'avis des deux danseurs, ni celui de leurs entraîneurs, dont les sourires radieux illuminent le Kiss & Cry. 125.04 pour un total de 193.95, ce n'est pas ce qu'ils étaient venus chercher, mais, si de médaille il n'y a pas,  l'honneur est au moins sauf. 

 

Que nous réservent les Polonais Kaliszek/Spodyriev ? Ou plutôt, à quelle nouvelle hérésie de jugement allons-nous, de nouveau, assister ? Les jeunes gens sont allés chercher, sur Internet, un artiste Youtuber, Crystalize (Ben McGillivary) pour lui emprunter la chanson "Bout Time". Dès les premières notes, on est loin de la maladresse et de la quasi-caricature qu'a été leur danse rythmique. La musique techno et le rythme rapide sont adaptés à leur personnalité, et à leurs gestes à l'emporte-pièce. On aime ou on n'aime pas. Les costumes, l'interprétation,  et la chorégraphie,  ont un petit côté voyage vers le futur depuis les années 70 que je ne déteste pas. La deuxième partie, sur "I Feel like I'm Drowning" de l'électro-musicien New Yorkais Zachary Bill Dess dit "Two Feet", arrive, par contre, comme les cheveux sur la soupe. La mélodie et la chanson sont jolies, mais le changement de tempo radical casse littéralement le programme en deux. En trois même, puisqu'on en revient, après un long et lent passage, très brutalement à Crystalize. Il pourrait pourtant être très bon et très porteur ce programme s'il était un peu moins décousu. Je me surprends à penser qu'il conviendrait très bien à Lauriault/Le Gac, qui évoluent dans un même style athlétique que les Polonais, mais sont de bien meilleurs patineurs. Ils sont pourtant loin au classement derrière Kaliszek/Spodyriev, qu'on arrose de nouveau de niveaux maximum (sauf dans la séquence de pas médiane) et de bons grades d'exécution, tout en leur tapant un peu sur la tête avec les composantes, histoire d'être plus discrets qu'avant-hier. 5èmes de la danse libre avec 112.48, ils sont aussi 5èmes du classement général (185.35).  C'est simple, ils n'ont absolument rien à faire là. J'aurais classé les sept couples suivant devant eux. Rien que ça.

 

Car derrière eux, comme dans la danse rythmique, il y a du très beau monde. A commencer par les Americano-Britanniques Fear/Gibson. Très bons 7èmes de la RD, les élèves du centre canadien Gadbois et de Romain Haguenauer, nous offrent un programme résolument disco, medley de Donna Summer, Earth Wind and Fire et Michael Jackson. A l'époque du disco, j'écoutais du hard rock et du heavy metal, je ne leur emprunterai donc pas leur lecteur mp3. Même si l'on apprécie peu ce courant musical, le programme se regarde avec plaisir. Ils ne sont sans doute pas assez rapides, mais ils sont enthousiastes et convaincants. 112.28 points les classent 6ème du libre et du général avec 182.05. La danse libre, au contraire de la RD dans laquelle Smart/Diaz les avaient précédés, tourne à l'avantage de Hurtado/Khaliavin. Les musiques utilisées, "Great Gig in the Sky" de Pink Floyd, "Vladimir's Blues" de Max Richter et "Sign of the Times" de Harry Styles, prises séparément,  sont toutes les trois très belles. Le montage laisse pourtant à désirer. Les deux partenaires sont de très bons danseurs, mais Sara, malgré des efforts évidents pour injecter du sentiment dans son interprétation, reste froide, voire par instant glaciale. Trop concentrée sur les difficultés techniques ? Je suis gênée par sa façon de tenir les mains en permanence ouvertes, doit écartés, comme si elle allait griffer quelqu'un,  ainsi que par son rictus qui se veut passionné, dramatique, mais donne l'impression qu'elle va mordre quelqu'un. Il lui faudrait épurer un peu son "jeu de scène". On ne peut pas lui reprocher de manquer de personnalité, au point qu'elle en éclipse son partenaire, mais leur patinage gagnerait à être plus naturel et plus léger. Un porté trop long les pénalise, eux aussi, d'un point de déduction. Ils sont 7èmes des deux classements (111.39/180.67). 

 

Le troisième couple russe en lice, Evdokimova/Bazin, est très... russe. Tenue, glisse, chorégraphie, même sans entendre leur nom, on saurait d'où ils viennent dès les premières secondes. Et ce n'est pas péjoratif. Leur danse libre est ciselée, délicate, leur fluidité est exemplaire. Sans parler de leurs excellentes bases techniques. Les musiques choisies - "Nocturne", de Secret Garden, qui a remporté l'Eurovision en 1995,  et "Sarabande Suite" de Globus, groupe de studio spécialisé dans les bandes originales orchestrales épiques - ne vont pas révolutionner l'histoire du patinage.  Mais elles ont juste ce qu'il faut de  sucre romantico-lyrique pour que l'ensemble évoque un traditionnel conte de fées avec prince et princesse. Peut-être le couple de Togliatti (qui, comme son nom ne l'indique pas, est une ville sur la Volga dans la région de Samara) mériterait-il des notes plus élevées aussi bien en grades d'exécution qu'en PCS. Ils sont à Minsk, si j'ose dire, en lieu et place de Zahorski/Guerreiro qui ont massacré leur championnat national (7èmes...). Si l'on y perd en terme de personnalités et d'interprétation, il n'y a rien à jeter côté patinage. 108.97 points leur permettent d'être 8èmes aujourd'hui, et 9èmes (175.62) du classement final (ils étaient 11èmes de la danse rythmique). 

 

Adelina Galyavieva et Louis Thauron continuent leur bonhomme de chemin avec "Amélie Poulain" et toujours la même fraîcheur, le même enthousiasme. Ils s'offrent même le luxe de doubler Marie-Jade Lauriault et Romain Le Gac au classement de la danse libre avec 0.05 points d'avance et un score de 103.40. Ils terminent 12èmes du classement général ( 168.02), ce qui est un résultat brillant pour une première participation et un couple associé depuis aussi peu de temps. Marie-Jade et Romain sont donc 11èmes du libre (103.35) et 10èmes européens (172.33). 

 

© S.I.G. - Sur place : Kate Royan


© S.I.G. - Myriam Cawston
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