© S.I.G. - Myriam Cawston
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Championnats d'Europe Minsk 2019

24 janvier

Court Messieurs - Kolyada attaque de front...


Il lui arrive d'être inconstant. Il lui arrive d'être brillant. C'est le Mikhail Kolyada version mille feux qui patine aujourd'hui. Grande fan de Muse, j'aime sa musique, "I Belong to You", même si Matthew Bellamy nous abîme un peu "Mon Coeur s'ouvre à ta Voix", extrait de Samson et Dalila. Que Camille Saint-Saëns veuille bien le lui pardonner.  J'apprécie en tout cas que Mikhail s'aventure dans des registres différents, ce qui est une prise de risque en soi.  On attend un quadruple Lutz, il opte pour la prudence avec un quadruple boucle piqué (combiné à un triple) et c'est un chef d'oeuvre de hauteur, longueur et netteté d'exécution. Dire qu'il est explosif est un faible mot, le Russe a de la dynamite dans les jambes. Même impression sur le triple Lutz, au cordeau, parfaitement réceptionné. Le triple Axel est un peu moins bien noté, pourtant il me paraissait irréprochable (mais la tribune de presse est assez loin de la glace). Tous ses éléments sont de niveau 4, et lui rapportent essentiellement des +4 et +5. Ses composantes sont excellentes, nous avons là du grand Kolyada, qui passe les 100 points (100.49), et qui est d'ailleurs le seul de la journée. Battu par un surprenant Maxim Kovtun aux championnats russes, Mikhail a une revanche à prendre. Et un premier titre européen à décrocher ? 

 

Alexander Samarin aurait-il le sens de l'auto-dérision ? Choisir une chanson qui s'appelle "Cold Blood" quand on est à peu près aussi expressif que Vladimir Morozov dénote d'un certain humour. Peut-être pas volontaire... Et comme son camarade patineur de couple, Alexander est un sublime technicien. C'est tout, hélas. J'admets qu'interpréter une chanson qui parle d'un tueur de sang-froid ne demande pas d'exprimer une émotion particulière, on peut donc dire que le vice-champion de Russie est en plein dans le thème. Son quadruple Lutz/triple boucle piqué a la précision chirurgicale d'un légiste en pleine autopsie,  - la plus grosse note technique du court - et tout autant de romantisme. Il passe largement à côté de son triple flip avec une belle ligne de GOEs négatifs, puis réussit un joli triple Axel noté +3 et +4. Une séquence de pas de niveau 2, propre mais très académique, et des composantes largement inférieures à celles de Kolyada (de 7.00 à 9.00 contre 8.50 à 9.75) lui valent un score de 91.97 points et donc un retard important (8.52) sur son compatriote. Des deux Russes, qui va tenir le coup dans le programme libre ? Aucun des deux garçons n'est réputé pour sa constance. C'est précisément ce qui  entretient le suspens !

 

Javier Fernandez est là pour sa treizième participation européenne, ce qui le met à égalité avec Kevin Van Der Perren - le recordman étant le Bulgare Ivan Dinev avec quatorze ! Le multi-médaillé espagnol n'a participé à aucune autre compétition cette saison.  Le pari est donc aléatoire, d'autant plus que son but avoué est de gagner. Avec déjà six titres de champion d'Europe (consécutifs !), "Javi" veut repartir de Minsk avec une médaille d'or et ainsi clôturer sa carrière en beauté. Ceux qui doutaient de sa forme sont rassurés. Il est tonique, affûté. Et moi qui ai toujours admiré son patinage sans toutefois en être fan ultime, je le trouve aujourd'hui plus expressif et meilleur interprète que jamais. Mais le néo-outsider commet des erreurs. Si son quadruple boucle piqué/double boucle piqué d'entrée est d'une légèreté défiant la gravité,  le quadruple Salchow qui suit est en sous-rotation (ce qu'il va vivement contester) et il retourne son triple Axel. Je trouve ses composantes assez peu élevées, en particulier comparées à celles de Kolyada (0.20 de plus seulement pour Javier). Le tenant du titre est 3ème avec 91.84. On l'a déjà vu revenir de beaucoup plus loin pour mettre tout le monde d'accord...

 

Partisane à fond, mais tant pis. Je suis littéralement subjuguée par le patinage de Kevin Aymoz. Ce garçon est un monstre d'énergie et de sensibilité. Oui, je sais,  je l'ai déjà dit et je le répéterai sûrement encore ! Car,  des patineurs aussi incroyablement expressifs, talentueux, sincères jusqu'au bout des lames, et vivant leurs programmes avec chaque centimètre carré de peau, j'en ai rarement vus. Grand moment de félicité. Kevin est quatrième (88.02). Quatrième ! Je ne suis pas étonnée. Depuis le début de la saison, il est dans une dynamique perpétuellement ascendante. Ses programmes sont un régal. "Horns" met le feu à la salle, le public scande le rythme des pieds et des mains. Je ne comprends pas très bien comment le jury peut évaluer un même saut de 0 à 4,  mais peu importe. Il est superbe ce quadruple boucle piqué, tout comme la combinaison triple Lutz/triple boucle piqué. Je jure comme un charretier quand il retourne son triple Axel. Derrière la barrière, la sublime Sylvia Fontana, qui vit toujours à fond  le programme de ses poulains, gesticule dans tous les sens en bonne Mama italienne, au contraire de son imperturbable époux. Kevin, mais enfin !! C'était un saut à bonus  ! Tant pis. Tous les niveaux sont à 4 et l'erreur sur cette saleté d'Axel ne le déstabilise pas. Bravo. La séquence de pas est à tomber raide parterre (nous, pas toi Kevin !!) Cinq fois +4 en GOEs, trois fois +3 et un génial +5 de la part du juge N° 3. La musique lui sort par tous les pores de la peau, il est le rythme. Quoi ? Une seule composante à 9.00 ? Et un total en PCS inférieur à ceux de Kovtun et Samarin passés avant lui ? La bonne blague. Pas objective, moi ?... Non, je cesse de râler, Kevin a clairement la faveur des juges depuis le début de la saison, ce n'est pas trop tôt et c'est mérité ! A Minsk, comme à Grenoble et Vaujany, le diable s'est habillé en Aymoz !

 

Et le nouveau champion de Russie, où est-il ? 5ème. Capable du meilleur comme du pire, Maxim Kovtun, sur un mélange de Nat King Cole et Luis Prima qui lui va très bien,  aujourd'hui a trouvé, pour une fois, un juste milieu. On attendait quand même mieux. Rien qu'à son expression, avant même que la musique démarre, on sait qu'il est tout grignoté par le stress. Boum ! Quadruple Salchow réceptionné parterre et une barre de -5. Mais, contrairement à sa mauvaise habitude, Maxim ne lâche pas l'affaire. Son quadruple boucle piqué/triple boucle piqué est atterri en musique, sans à-coup. Son triple Axel (bonifié) est excellent. Une séquence de pas et une pirouette sautée allongée de niveau 3 plus tard, il remporte un score de 87.70. Le podium n'est pas totalement perdu,  mais il me paraît néanmoins s'éloigner. Surtout si d'ici samedi,  ses démons le rattrapent...

 

Michal Brezina, qui avait amorcé une ascension spectaculaire cette saison, connaît une vraie contre-performance. Ou plutôt, redevient le Brezina habituel. Je l'imaginais sans trop de peine sur le podium,  il y a, maintenant,  peu de chance qu'il y accède. 8ème avec 83.66, il entame pourtant son court avec brio grâce à un quadruple Salchow/double boucle piqué (triple prévu) net et sans bavure. Mieux vaut un tour de moins qu'une chute ou une réception hésitante. Ou qu'un retournement et une main, qu'il pose sur le triple flip. Ou encore qu'un triple Axel très chahuté en réception et noté en négatif. "Who Wants to Live (Skate ?) Forever" de Queen lui va très bien, aussi bien niveau style musical qu'au sens figuré,  puisqu'on a le sentiment qu'il est là depuis toujours. Ce très gentil et très affable jeune homme a débuté comme junior en 2005. Une longévité de quatorze ans de carrière et ce n'est sans doute pas terminé puisqu'il parle de nouveau cycle olympique ! Vu les difficultés et les sacrifices qu'impliquent une carrière de patineur international, chapeau bas Monsieur Brezina !

 

Denis Vasiljevs a toujours son pantalon de satin jaune poussin, des lignes, une profondeur de carres et une glisse de rêve. La chorégraphie que lui ont conjointement concocté Salomé Brunner et Stéphane Lambiel sur "Papa Was a Rolling Stone" par Phil Collins, est modelée à la perfection, avec des éléments posés sur les rythmes de la musique au battement près. Mais plus le temps passe,  et plus l'élève ressemble à un clone du maître. Il n'a que vingt ans, mais à cet âge, le pli sera déjà difficile à perdre. Evidemment, il y a pire que patiner comme Lambiel ! Mais de Lambiel, il n'y avait qu'un,  et Stéphane devrait plutôt aider son élève à développer une personnalité propre, comme le fait par exemple Brian Joubert avec les siens. Beau triple flip, triple Axel dégradé car parti en morceaux, bon triple Lutz/triple boucle piqué, et bien sûr, des pirouettes magnifiques. Impossible, sur ce plan, de reprocher à Stéphane d'avoir transmis son savoir et exploité le talent naturel de son élève pour ce genre d'exercice. Denis, très longiligne, paraît plus grand que son mètre soixante-douze et ses pirouettes n'en sont que plus spectaculaires. Deuxième patineur de la journée, après Brezina, à obtenir des composantes supérieures à son TES (41.28 contre 37.59), le point fort du jeune Letton est évident. Il lui faudra pourtant augmenter rapidement ses capacités techniques s'il ne veut pas stagner. Il est 12ème avec 78.87. 

 

Dans un monde idéal, Adam Siao Him Fa serait classé devant Vasiljevs. Rien à dire sur les difficultés techniques, elles passent de manière propre et sans effort apparent, à l'exception du coup de tête qu'Adam donne systématiquement au décollage comme si ce quasi-tic lui donnait de l'élan. Il passe d'abord un très joli triple Axel, avant de poursuivre avec quadruple boucle piqué/double boucle piqué (suffisamment ample pour ajouter un troisième tour). Le triple Lutz est plus heurté mais les notes restent positivent. Elles vont d'ailleurs toutes l'être,  tout au long du programme, ce qui fait d'Adam et Kolyada les seuls patineurs à réaliser, jusque là, un programme cent pour cent propre. Assez (très ?) mal payé en composantes (6.00 ? sérieusement ?) et 7.25 maximum, à l'exception d'un 8.00 en composition, Adam obtient quand même une 13ème place (76.70) tout à fait honorable pour sa première participation à des championnats d'Europe. Son montage musical, deux morceaux de Two Steps from Hell, et un de D&D Cullen, sert une chorégraphie soignée,  sur laquelle chaque geste et élément ont été étudiés pour coller à la mélodie. Le travail effectué autour de ses programmes est vraiment de toute beauté et correspond parfaitement à sa personnalité. Après avoir été un très grand patineur, et malgré son peu d'expérience, Brian Joubert, qui a su très bien s'entourer, est en train de devenir un coach de premier ordre !

 

Les deux patineurs italiens, Daniel Grassl et Matteo Rizzo, récemment issus des rangs juniors, ont tout, eux aussi, pour devenir des grands. Le premier évolue sur "Rain in your Blanck Eyes" avec beaucoup de sensibilité, le second sur "Volare" de Luca Longobardi, avec une maturité étonnante. Ils se suivent au classement, dans un mouchoir, 9ème et 10ème, avec respectivement 81.61 et 81.41. Comme se suivent les deux Israëliens, Daniel Samohin et Alexey Bychenko (86.48 et 84.19). Mention pas bien du tout à Alexander Majorov et à son atroce musique, cacophonique et perce-tympans. Je ne fais pas mes compliments à son auteur, Asaf Avidan, capable de beaucoup mieux, ni à Alexander aux choix d'habitude plus heureux. Dans le même monde idéal qui aurait vu Adam Siao Him Fa devancer Denis Vasiljevs, Majorov aurait été classé derrière les deux. Il est 11ème avec 79.88. Le Géorgien Morisi Kvitelashvili, très bon 6ème de ces mêmes championnats en 2017 pour sa première participation, plonge à la 15ème place (73.04), après deux grosses erreurs : chute sur triple Axel et double boucle piqué au lieu de triple, donc invalide.

 

© S.I.G. - Sur place : Kate Royan

 


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