© Kate Royan - S.I.G.
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CHAMPIONNATS DU MONDE 2022

Montpellier - 26 mars

Programme libre Messieurs


Shoma, enfin !

  

Après tant de médailles d'argent et de quatrièmes places, Shoma Uno gagne son premier titre de champion du monde. Quel beau duo avec Kaori Sakamoto ! C'est la troisième fois que le Japon rafle les deux titres individuels. Mao Asada s'en était chargée en 2010 et 2014, d'abord avec Daisuke Takahashi puis avec Yuzuru Hanyu. Le contenu technique est hallucinant : cinq quadruples dont un flip et un boucle piqué en deuxième partie de programme. 

 

Il s'exprime en conférence de presse : "Je suis très heureux, mais je n'ai pas pleuré car gagner cette compétition ou les Jeux Olympiques n'était pas mon but ultime. Je ne sais pas bien quel est mon but, mais je le découvrirai sans doute. Je suis heureux de partager ce podium avec Yuma qui est un ami et dont la concurrence me stimule beaucoup. Stéphane (Lambiel) m'a soutenu dans les hauts et dans les bas et nous allons continuer à travailler ensemble. Je vais participer à plusieurs galas au Japon, puis retourner en Suisse pour travailler sur mes nouveaux programmes. Contrairement à mon programme court qui avait un rythme lent assez facile à apprivoiser, le programme long avait un arrangement musical unique et une chorégraphie complexe, en plus des sauts. Je le travaillais beaucoup plus que le programme court. Il s'agit de la dernière compétition de la saison et j'ai enfin réussi ce que je voulais faire. C'était vraiment un programme difficile et je pense que mon prochain programme long me semblera plus simple". Stéphane Lambiel qui est dans la salle intervient avec un large sourire : "Ah non Shoma, on va encore monter le niveau !".

 

© Alice Alvarez - S.I.G.
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Yuma Kagiyama remporte pour la deuxième année consécutive la médaille d'argent. Le contenu technique est moins ambitieux que celui de Shoma aujourd'hui, et quelques erreurs sont commises. Cela reste un programme de très haut vol, avec trois quadruples validés. Son interprétation de Gladiator et l'émotion qui en émane sont loin d'un de celles d'un Alexei Yagudin il y a 20 ans, mais la composition aidée par l'intensité de la musique en fait un excellent programme.

 

Aux côtés de Shoma en conférence de presse, Yuma raconte : "L'année dernière, je n'avais pas tellement réfléchi à mes objectifs et j'étais surpris d'être sur le podium. Cette année est un peu différente. Nous avons eu une saison très longue, qui a mal débuté pour moi, avec des problèmes sur les sauts. Je me sentais un peu perdu. Je n'ai pas vu la performance de Shoma mais je ne l'ai jamais vu si heureux. Je sais qu'il a surmonté beaucoup d'obstacles pour devenir champion du monde aujourd'hui."

Alice Alvarez lui demande s'il a des objectifs spécifiques concernant les sauts, pour marcher dans les pas de Shoma qui a été le premier à réussir un quadruple flip ou Yuzuru Hanyu qui aspire à réussir le premier quadruple Axel. Yuma lui répond : "J'essaie toujours d'aller au-delà des limites. Pour le moment, je souhaite me concentrer sur le quadruple boucle que je dois améliorer et stabiliser. Je travaillerai peut être le quadruple flip et le Lutz également".

 

© Alice Alvarez - S.I.G.
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Vincent Zhou, malheureux patineur positif au COVID19 pendant les Jeux Olympiques réalise un contenu technique de haut niveau avec quatre quadruples (Lutz, deux Salchow et un boucle piqué) ainsi que deux triples Axel (dont un toutefois chuté). Plusieurs sous-rotations, comme souvent chez Vincent, sont sanctionnées mais l'ensemble lui permet de décrocher la médaille de bronze.

 

La tristesse dans le regard de Vincent est déchirante. La médaille de bronze à Montpellier ne semble aucunement le consoler de l'opportunité manquée aux Jeux Olympiques : "À Pékin, j'ai vécu l'enfer mentalement, bien pire que les symptômes du COVID19. Ce sont un deuil et un traumatisme qu'il me faudra des mois ou des années pour surmonter. Cela s'ajoute à la finale du Grand Prix qui nous avait été retirée (NB : prévue en décembre 2021 mais annulée). La médaille d'aujourd'hui va aider à remonter la pente. Il y a une dizaine de jours, j'ai contacté mes proches en leur disant que ma carrière était un échec. J'étais au plus bas, mais je ne voulais pas vivre avec des regrets pour le reste de ma vie, donc je me suis décidé à monter dans l'avion pour la France. Maintenant, je vais retourner à l'université et j'ai un programme chargé avec de nombreux galas avec Stars On Ice".

 

Morisi Kvitelashvili réalise trois quadruples Salchow même s'il essaie habillement de nous faire croire qu'un boucle piqué se cache là dessous. Sa technique fait hurler les entraîneurs dans le monde entier, mais le panel technique continue de les valider. Il est en quatrième place.

 

Camden Pulkinen a visiblement décidé que ces championnats du monde seraient enfin sa compétition. Après avoir peiné à convaincre dans la catégorie senior, il réalise une performance parfaite avec deux quadruples (boucles piqués) et deux triples Axel. Enfin ! En espérant que ce soit le début d'un renouveau et que nous le retrouvions à ce niveau l'année prochaine. Il est troisième du programme court et cinquième au classement général.

 

Kazuki Tomono ne parvient pas à se maintenir sur le podium avec Shoma et Yuma. Son programme sur "La La Land" est un plaisir, mais les erreurs sont trop nombreuses. Il finit en sixième position.

 

Daniel Grassl propose un contenu technique dense dont une combinaison quadruple boucle Euler triple Salchow complètement folle, mais je n'accroche pas vraiment à ce programme, qui est loin d'être la meilleure création de Benoit Richaud à mes yeux, en comparaison à des programmes comme ceux de Kaori Sakamoto ou Adam Siao Him Fa.

 

Adam, justement, nous a fait vivre quatre minutes de bonheur, de joie, de surprise et de peur. Devant un public en folie, il réussit trois quadruples (un Salchow et deux boucles piqués) pour la première fois de sa carrière. Le triple Axel est aussi maîtrisé. Cette réussite enthousiasme tant le public et Adam, qu'il en perd sa concentration et enchaîne des erreurs vraiment bêtes : une pirouette non contrôlée, puis une chute dans la prise d'élan du Lutz, qui se transforme en double. Adam parvient à se reconcentrer pour finir en beauté. Un grand bravo pour cette performance et à très vite pour tutoyer les podiums.

 

Ilia Malinin réalise un programme de haut niveau, mais le monde du patinage attend tellement de ce patineur qu'on ne peut s'empêcher d'être déçus. On compte deux beaux quadruples, dont le Lutz, mais aussi un quadruple Salchow complètement ouvert et potentiellement dangereux. D'autres erreurs s'ajoutent malheureusement et Ilia se retrouve en neuvième position finale, loin de ses objectifs initiaux. Revanche à prendre dans quelques semaines aux championnats du monde juniors où il sera favori pour le titre.

 

Keegan Messing ne réalise probablement pas le programme espéré, avec trois chutes sur les trois quadruples (un Lutz et deux boucles piqués). Heureusement que les Axel sont tenus. Keegan avait annoncé sa retraite à la fin de cette saison, mais la décision est visiblement remise en question et il pourrait rempiler pour une année supplémentaire.

 

Kevin Aymoz, sous les acclamations du public français, ne parvient pas à réaliser le quadruple boucle piqué, qu'il tente à deux reprises. Ce début de programme nous laisse craindre le pire, mais Kevin se relance de belle manière en seconde partie de programme, parfaite techniquement.

 

En zone d'interview, il nous parle de sa performance : "Je suis très content d'avoir participé aux championnats du monde en France. J'ai entendu les cris et applaudissements, cela fait chaud au cœur. Je suis fier malgré les erreurs. Je ne finis pas la saison avec la meilleure prestation mais j'ai fait une saison remarquable vu d'où je suis parti l'été dernier : je ne pouvais pas m'asseoir sur une chaise sans pleurer tellement j'avais mal et j'ai subi le début de saison. Je n'ai plus envie de me prendre la tête sur la technique, j'ai envie de vivre les choses et d'apporter au patinage. Enchaîner après les Jeux Olympiques a été la chose la plus facile de la saison. Je suis reparti à l'entraînement sans blessure. J'ai vécu quatre semaines de rêve avec des programmes presque sans faute. Je faisais 30 à 40 sauts par heure contre 15 avant."

 

Son absence au gala de dimanche, non invité par les organisateurs alors que le public français l'adore, est incompréhensible à nos yeux. 

 

Deniss Vasiljevs ne parvient pas aujourd'hui à réussir le quadruple Salchow, qu'il ouvre à 3,5 tours. Il réceptionne ses deux triples Axel mais avec des sous-rotations à chaque fois. Une chute est à déplorer sur une des combinaisons de fin de programme. Sans réussite sur les sauts, la chorégraphie est bien moins convaincante qu'aux championnats d'Europe de Tallinn, et retombe malheureusement dans des travers un peu caricaturaux. 

 

Ivan Shmuratko, patineur ukrainien, présente son programme long avec un courage immense du haut de ses 20 ans. Le public a reçu pour l'occasion des centaines de drapeaux ukrainiens pour le soutenir. Les applaudissements sont les plus intenses, les plus nourris mais aussi les plus sobres de la soirée. Les larmes coulent sur de nombreuses joues dans les tribunes.

Ivan devrait pouvoir rester en France, hébergé et accueilli par un patineur et son club. Merci à eux.

 

Sur place : Solène MATHIEU - © S.I.G.