© Alice Alvarez - S.I.G.
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Ivan, Olexandra, Maksim, we stand with you and your country ♥

CHAMPIONNATS DU MONDE 2022

Montpellier - jeudi 25 mars

Danse rythmique

 

Des lames et des larmes 

 

Impossible de commencer cet article autrement que par l’apparition bouleversante des Ukrainiens Nazarova/Nikitin. J’ai déjà vécu des moments exceptionnels d’émotion dans une patinoire, la victoire de Sarah Meier aux championnats d’Europe de Berne, la première du « Mozart » de Papadakis/Cizeron en Grand Prix, la danse libre de Klimova/Ponomarenko aux J.O. d’Albertville, ce que l'on croyait être les adieux de James/Ciprès à Milan, la victoire d’Hanyu à Helsinki. Mais rien n’égalera jamais celui-ci. Une salle quasiment pleine et debout, des drapeaux ukrainiens partout, Olexandra en larmes dès sa montée sur la glace. Et un début de programme sur la chanson de Jamala « 1944 ». « When strangers are coming, they come to your house, they kill you all and say, we’re not guilty… humanity cries… but everyone dies”. Impossible de ne pas fondre en larmes, pourtant je ne suis pas une petite fleur bleue fragile. Nouvelle standing ovation et explosion de drapeaux à la fin de leur programme. Je m'en souviendrai toute ma vie. Peu importe les points et le résultat. Ils ne participeront de toute façon pas au libre, bien que qualifiés, car à court complète de forme faute d’avoir pu s’entraîner depuis des semaines. Mais ils sont venus, ils ont participé, ils ont bien patiné, en tenue d’entraînement aux couleurs de leur pays. Un courage et une volonté extraordinaires. Tout ceci va bien plus loin que le patinage, nous parle de guerre et de mort, une situation que jamais nous n'aurions imaginée. L'immense détresse qui voile leurs yeux nous frappe de plein fouet, tellement plus tangible et parlante que les images vues à la télé et qui restent semi-abstraites pour nous privilégiés en paix. Il faut absolument les aider et les protéger tout comme leur jeune compatriote Yvan Shmuratko. Mille merci à Gabriella Papadakis qui a oeuvré à leur venue avec le concours de la FFSG.

 

© Alice Alvarez - S.I.G.
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D'autres larmes vont couler demain puisque ce sera le dernier programme de leur carrière de compétiteurs. Mais cet après-midi tout est joie, bonheur et fascination. La RD de Papadakis/Cizeron est arrivée à maturité finale, jamais ils ne l'ont aussi bien patinée. Débarrassés de la pression ressentie aux Jeux Olympiques, ils sont totalement libérés. Leur toucher de glace, leur fluidité, leur vitesse, l'amplitude et la précision chirurgicale de leurs gestes alliée à l'élégance, tout est à son apogée. Si Nelson Montfort ne galvaudait pas l'expression à tout bout de champ pour tout et n'importe qui, je dirais que Gabriella et Guillaume sont au sommet de leur art. Parce que c'est vrai. Il est impossible de faire mieux. Enfin si, le niveau de la Pattern de Gabriella pourrait être de niveau 4 et non de 3. Mais franchement ? On s'en moque. C'est un détail comptable insignifiant dans une telle qualité de patinage et dans une si fabuleuse performance. Le couple français a révolutionné la danse sur glace et n'est pas prêt d'être égalé. Je pense même qu'ils ne seront jamais surpassés. Ils sont dans un univers à part, presque dans une autre discipline que leurs concurrents. La souplesse de Gabriella et la manière d'utiliser chaque fibre de son corps est exceptionnelle. Guillaume a des genoux venus d'un autre monde, qui lui offrent une profondeur de carres incomparable. Ils sont si habités par leur musique qu'ils survolent la glace au lieu de simplement glisser. Les voir en live est une expérience en soi, dont on ne ressort jamais totalement indemne au niveau émotionnel. L'angle formé entre leurs corps et la glace tout au long de leur évolution et quel que soit l'élément exécuté, défie les lois de la physique. La combinaison musicale "speed/mellow/speed" de leur thème est équilibrée au millimètre. Ils remportent sans surprise leur Season Best grâce à 92.73 points mais battent aussi un nouveau record du monde. 

 

© Kate Royan - S.I.G.
© Kate Royan - S.I.G.

 

Passer sur la glace après Papadakis/Cizeron est une épreuve en soi, Madison Hubbell et Zachary Donohue en font les frais aujourd'hui. Comparés à leurs camarades d'entraînements, ils m'ont semblés soudain plus lents et lourds que d'habitude. Pourtant ce programme est une réussite, le thème va parfaitement bien à leur patinage puissant. Très en carres, auteurs d'une RD nette et sans bavure, ils me laissent néanmoins un peu sur ma faim. Leur Blues est la partie la plus réussie du programme, la dernière partition musicale étant un peu pénible à l'oreille. Je déplore un excès de mouvements de bras qui me semble inutile. Je les trouve aujourd'hui moins en verve qu'aux Jeux Olympiques, même s'ils vont, eux aussi, remporter leur Season Best. C'est pourtant un couple de danse que j'affectionne la plupart du temps. Mais passer derrière le chef d'oeuvre qu'est la RD de Papadakis/Cizeron fausse certainement mon jugement. Ils sont seconds avec 89.72, soit un écart de seulement 3.01 ce qui n'est pas énorme.  

 

© Alice Alvarez - S.I.G.
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Madison Chock et Evan Bates font partie de mes danseurs préférés. Je trouve néanmoins le début de leur RD un peu hors thème et le costume de Madison serait plus adéquat pour un bal grand siècle que pour du blues et de la street dance. Mais la jeune femme pourrait patiner en serpillère qu'elle aurait encore l'air d'une reine ! Ce n'est pas qu'une question de beauté plastique, mais aussi et surtout, de charme, de piquant, de présence. Par contre, je suis lassée d'entendre et de lire que son partenaire n'est pas à sa hauteur. Pour moi, Evan Bates est l'un des meilleurs danseurs du circuit, comme l'ont été des Gwendal Peizerat, Povilas Vanagas, Andrew Poje. Il suffit de ne pas regarder QUE Madison pour s'en rendre compte. Hélas, la chorégraphie de cette danse, comme souvent, est montée de telle façon qu'Evan sert surtout de faire valoir à sa partenaire, qui ne serait pourtant pas moitié aussi bonne danseuse sans lui. Je trouve le couple plus imprégné de cette danse et plus inspiré que ne le sont leurs compatriotes Hubbell/Donohue, même s'ils leur sont techniquement inférieurs. Au contraire de la première partie, la seconde de cette danse, sur un hip hop de la même auteur que le blues (Billie Eilish) est très réussie, hyper-tonique. Au contraire des patineurs qui les devancent et de Guignard/Fabbri qui les suivent, Madison et Evan ne valident que trois de leur key-points. Leur séquence de pas n'obtient qu'un  niveau 2 pour Madison, ce qui me semble bas. Ils sont pour l'instant 3èmes avec un score de 87.51.

 

Guignard/Fabbri sont 4èmes avec 84.22, ce qui n'est pas cher payé, en particulier pour leur formidable technique. Funk, hip hop, disco, du Mickael Jackson du début à la fin, la chorégraphie est excellente et la danse très bien exécutée. Les Italiens ont prouvé au fil des années qu'ils savaient s'exprimer dans n'importe quel registre. Ils obtiennent une majorité de niveaux 4 mais un curieux 1 pour leur médiane. 

 

Derrière eux, avec 80.79, les Canadiens Gilles/Poirier et leur costume orange néon qui les fait ressembler à des cônes de Lubeck décorés pour Noël, font un peu pâle figure. Faire pâle figure quand on est accoutré de la sorte est un exploit en soi ! Depuis le début de la saison avec cette danse rythmique, ils ont une fâcheuse tendance à se caricaturer eux-mêmes. On ne sait plus s'il faut prendre cela au premier, au second ou à un quelconque autre degré. Dommage car ce sont deux patineurs talentueux, inventifs et originaux. Ils ne sont pas aussi rapides que leurs concurrents du même groupe ou qu'ils ont pu l'être par le passé. L'ensemble en paraît brouillon, peu inspiré et hybride entre le kitsch assumé et une parodie légèrement ratée. Leur séquence partiale de pas tombe au niveau 2 et fait rare, ils écopent d'un "S" pour ne pas être restés en contact ("separation of hold/contact/touch"), ce qui ne les empêche pas d'avoir 5 GOEs à 3, là où le juge n°1 descend à 1. 

 

J'aurais volontiers classé Smart/Diaz devant les Canadiens. Leur prestation sur Tina Turner est enlevée, pétillante, et remporte facilement l'adhésion du public. 6èmes avec 79.40, ils peuvent gagner une place dans la danse libre s'ils arrivent à doubler Gilles/Poirier. 

 

Sur place : Kate Royan - S.I.G. ©