© Alice Alvarez - S.I.G.
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CHAMPIONNATS DU MONDE 2022

Montpellier - 25 mars

Danse Libre


Les copains d'abord !

 

 

Etait-il déjà arrivé qu'un même club classe trois de ces couples sur un podium à des championnat du monde ? Oui, une seule fois ! Davis/White, Virtue/Moir, et la fratrie Shibutani en 2011, tous entraînés à l'époque par Marina Zueva et Igor Shpilband à Canton dans le Michigan. C'était aussi la première (et unique) fois que trois couples nord-américains trustaient le podium. Aujourd'hui, les Français Papadakis/Cizeron mènent le jeu sans surprise devant deux couples américains Hubbell/Donohue, dont c'est la dernière compétition, et Chock/Bates. Mais l'ambiance est très différente. Nous avons ici à faire à ce qu'il est convenu d'appeler "une bande de potes". De vrais amis, qui remercient leurs coaches pour savoir su, au sein de l'Ice Academy de Montréal, créer une véritable harmonie, une atmosphère familiale dans laquelle tout le monde a pu s'entendre, s'apprécier, s'entraider, s'encourager mutuellement, au point d'en être devenus de véritables amis hors glace. Leur lien affectif saute aux yeux lorsqu'ils se tiennent tous par la main sur le podium, ou plaisantent entre eux en conférence de presse comme dans une réunion de famille. "Nous sommes les seuls à vraiment pouvoir comprendre ce qui se passe dans la tête des quatre autres lorsque nous sommes sur la glace" déclare Gabriella. Leur chaleureuse amitié, leur complicité, est un énorme rayon de soleil qui clôture des championnats qui ont vu couler plus d'une larme d'émotion. Sur la glace après la remise des médailles, les trois couples sont rejoints par les Ukrainiens Nazarova/Nikitin que l'on voit sourire pour la première fois de la semaine. Ils auront eu non seulement le soutien de tout le public mais aussi celui plein et entier de tous les patineurs, sans exception. Les Autrichiens Ziegler/Kiefer aidés d'Olga Mikutina et du couple Jones/Boyadji ont confectionné des centaines de petits coeurs jaune et bleu que tous les participants, et aussi pas mal de gens des media, ont arboré sur leur tenue pendant toute la compétition. De la supériorité des valeurs humaines dans le sport sur la bêtise et l'aveuglement des dictateurs de ce monde... 

 

 

Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron concluent leur saison olympique (et peut-être leur carrière ?) avec une nouvelle médaille d'or mondiale, la 5ème et un record de points : 137.09 pour la danse libre et 229.82 au total. Totalement libérés devant un salle pleine à craquer (100% des billets vendus, un autre record), ils nous offrent une Elegie de Fauré absolument magique. Saisissante de beauté, de fluidité. Après toutes ces années à les voir évoluer au plus haut niveau, on finit par manquer d'adjectifs et de superlatifs. Les voir patiner procure un sentiment indescriptible. Il faut impérativement les voir en "live" pour s'imprégner de leurs extraordinaires capacités. Personne n'a jamais fait mieux, il y a fort à parier que personne ne pourra jamais les égaler. Ils resteront LA référence absolue dans l'histoire de la danse sur glace. 36 fois la note maximale de 10 en composantes ! 9 fois 9.75 presque égarés au milieu. 57 fois 5 en grades d'exécution, 27 fois 4, et 3 insignifiants petits 3 donnés par les juges 6 et 8 qui ne devaient pas avoir les yeux correctement calés dans les orbites. Tout n'est pas parfait puisque certains niveaux n'atteignent que 3 (séquence sur un pied pour Guillaume, diagonale, porté rotationnel), mais ils laissent Hubbell/Donohue à près de 5 points derrière eux sur la seule danse libre,  alors que les Américains ont une Base Value un poil supérieure (vraiment un poil : 1 point !) Madison n'a t'elle pas dit récemment, avec une pointe de regret, mais aucune espèce d'amertume, dans un épisode de la série "On Edge", qu'elle et son partenaire savaient pertinemment que jamais ils ne battraient Papadakis/Cizeron,. Parce qu'ils sont restés imbattables toute la saison, et l'absence des Russes Sinitsina/Katslapov, seuls danseurs à les avoir devancés aux championnats d'Europe de Graz il y a deux ans, n'y est pour rien. Jamais ils n'auraient pu faire mieux que les Français, ou même que les Américains Hubbell/Donohue. La Russie, mise au ban de tous les sports internationaux, a eu la "bonne" idée d'organiser sa propre compétition interne, sponsorisée par une chaîne à la solde du pouvoir, aux mêmes dates que les championnats du Monde, tel un enfant capricieux qui tape du pied et crie "na !". La Mère Patrie a fièrement annoncé dans ses propres media, Sinitsina/Katslapov comme étant les "vrais champions du Monde", dénonçant la compétition de Montpellier comme une mascarade (l'hôpital qui se moque de la charité) et finissant de se ridiculiser dans le monde sportif. Si, si, le monde du patinage peut se passer de la Russie et de ses indéniables talents pour organiser des championnats du monde officiels parfaitement réussis, avec des prestations de très haute qualité et beaucoup d'émotions. Oui, je sais, c'est vexant pour une nation qui se veut la meilleure du monde en tout. Prenez ça dans les dents, Messieurs Putin et Gorshkov (président de la fédération russe). 

 

© Alice Alvarez - S.I.G.
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Jusque là, je n'étais pas réellement emballée par le libre de Madison Hubbell et Zach Donohue sur la chanson "Drowning" de la Française Anne Sila. Et ce soir, je me suis levée pour les acclamer, les larmes aux yeux à la fin de leur prestation. Ils ont vraiment donné tout ce qu'ils avaient à donner pour cette dernière danse libre de leur carrière, avec autant de coeur et de vécu que les Français, ce qui est loin d'être une spécialité US. Les patineurs américains en général sont d'excellent acteurs, mais il ne vivent pas réellement leurs programmes, ce n'est pas dans la mentalité US. On ne met pas ses émotions à cru et à nu ainsi, devant 9000 personnes. C'est pourtant ce qu'ont fait Madison et Zachary ce soir, donnant une toute autre dimension à cette danse que je trouvais, avant ces championnats, un brin mièvre pour des patineurs aussi athlétiques et puissants. Ils ont réussi à communiquer douceur, passion et émotion sans déroger à la démonstration de leurs formidables capacités physiques, ce qui est un exploit. Eux aussi battent leurs propres records avec 132.67 et 222.39 au total. Les Américains récoltent 8 fois 10.00 en composantes et une majorité de 4 et de 5 en grades d'exécution, terminant leur carrière en véritable apothéose. Madison nous offre une séquence aussi émouvante que drôle après la remise des médailles, en soulevant son futur mari Adrian Diaz (danseur espagnol) à pleins bras pour l'étreindre, alors qu'elle est encore patins aux pieds et par conséquent, beaucoup plus grande que lui ! Adrian, hilare, dira plus tard : "comment fait elle pour avoir une force pareille alors qu'elle vient de patiner un programme exténuant et que je suis 10 cm plus bas qu'elle dans mes baskets ?!"

 

© Alice Alvarez - S.I.G. ©
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Quand une superbe extra-terrestre rencontre un très bel astronaute... cela donne la magnifique danse libre très inspirée de Madison Chock et Evan Bates sur trois morceaux de Daft Punk. A noter que les trois couples médaillés patinaient tous sur des musiques françaises cette saison. Choix diplomatique en vue d'une fin de saison à Montpellier ? Même pas. "C'est vraiment un hasard" explique Madison Hubbell. Miss Bates poursuit : "Quand nous avons soumis le thème de notre libre à nos entraîneurs, nous étions hésitants. Une extra-terrestre amoureuse l'année des Jeux Olympiques ?... Et ils ont unanimement répondu : mais bien sûr, pourquoi pas ?". Elle rit, fière de leur idée et de leur inspiration. Le programme est une réussite en tous points, de la chorégraphie aux costumes en passant par le maquillage et les expressions des deux exécutants. A Montréal décidément, on apprend à vivre plutôt qu'interpréter. Légèrement en retrait niveau points (129.32/216.82), leur technique étant moins fiable et pointue que celle des médaillés d'or et d'argent, si Gabriella et Guillaume prennent leur retraite, l'avenir leur appartient. 

 

Comme il appartient au couple italien Charlène Guignard et Marco Fabbri. Deux partitions musicales romantiques, la B.O. du film "Atonement" et la "Petite Hirondelle" d'Abel Korzeniowski (désormais très prisé dans les patinoires pour la bande originale d'un autre film : W./E.), ils sont légers tout en restant hyper-techniques. Ils  sont 4èmes avec respectivement 125.70 pour le libre et 209.92 au total. On dit que la 4ème place d'une compétition est la pire à décrocher car elle vous éjecte du podium, mais le couple s'en satisfait pleinement. "Nous sommes ravis de terminer derrière trois couples dotés d'un immense talent", déclare Marco en Mixed Zone. "Nous aurions sans doute pu mieux patiner et obtenir de meilleures notes mais nous avons vécu une très belle saison". 

 

Piper Gilles et Paul Poirier sont 5èmes du libre et du classement final (121.91/202.70). Leur "Long and Winding Road" de Paul Mc Cartney arrangé par Jack Govardo avec qui ils se sont liés d'amitié depuis leur danse sur "Starry Night" orchestrée par le même artiste, n'a pas l'éclat de cette dernière ni son vecteur d'émotion. Il s'en faudrait d'un rien pour qu'ils renouvellent cette tendresse et cette brillance,  mais dix ans de carrière commune les ont peut-être un peu usés. Ils finissent néanmoins leur carrière internationale sur une belle performance, même sans médaille (ils avaient gagné celle de bronze l'an dernier) et sont toujours aussi agréables à regarder. 

 

Lilah Fear, Lewis Gibson et leur "Roi Lion" sont ce soir un des grands succès remportés auprès du public qui les accompagne du début à la fin d'une danse menée tambour battant. Le thème leur va bien, ils sont heureux de patiner et leur joie est hyper-communicative. Techniquement parlant, on redescend d'un cran, Lilah patinant souvent à plat sur les carres. 119.18 et un total de 198.17 les classent 6èmes. 

 

Je leur préfère le couple Smart/Diaz dont le "Masque de Zorro" est un délice visuel (7èmes : 115.23/194.63). Le thème pourrait sembler bateau mais ils en font un vrai grand moment, extrêmement bien dans la glace, inspirés, avec une gestuelle précise, un talent évident et une interprétation plus que convaincante. C'est le second grand succès public ce soir, le thème, comme celui de Fear/Gibson, étant abordable pour tous. Ils sont un peu au-dessus des Britanniques en composantes (52.44 contre 52.24) mais des erreurs sur la séquence sur un pied tombée au niveau 1, et la séquence chorégraphique, les pénalisent à juste titre. 

 

Les Américains Hawayek/Baker sur "Prélude" et "Nocturne" de Chopin terminent 8èmes (115.05/191.61) avec de meilleures notes techniques que Smart/Diaz mais de moins bonnes composantes. J'aurais mis le contraire, mais je ne suis pas juge ! Comme tous les patineurs du club de Montréal (qui aligne 11 couples sur les 19 participants et chacun dans un registre différent !), ils savent être vecteur d'émotion et vivre leurs programmes. 

 

Le "Gladiator" de leurs camarades d'entraînement les "Danadiens" (il est d'origine danoise, elle est canadienne) Laurence Fournier-Beaudry et Nikolaj Sorensen n'est pas tout à fait à la hauteur du talent de ses interprètes. Un peu de lourdeur, un peu de maladresse, quelques erreurs techniques et des composantes assez basses les relèguent en 9ème position (110.25/188.54). On descend encore de presque 8 points avec un autre couple de Montréal, Reed/Ambrulevicius et un bizarre mélange musical de Hooverphonic, Karl Hugo et Lacrimosa. Marjorie Lajoie et Zachary Lagha les battent dans la danse libre (108.45 contre 106.15) mais pas au classement final (178.84 contre 180.21) grâce à l'avance prise par les Lituaniens dans la danse rythmique. J'ai un faible pour les Finlandais Turkkila/Versluis, auteurs de deux bons programmes dans ces championnats. Leur toucher de glace et la délicatesse de leur patinage sur les deux jolis morceaux, bien qu'un peu "radio friendly"  "Wilde Side" de R. Cacciapaglia et "Bruises" de Lewis Capaldi, en font d'excellents candidats pour des places de choix dans le futur. Ils sont 12èmes (104.07/175.95).

 

Sur place : Kate Royan - S.I.G. ©



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