© Unknown (Wikipedia)
© Unknown (Wikipedia)

INTERVIEW

Silvia Fontana (et John Zimmerman)


Championnats de France 2022, Arena'Ice de Cergy-Pontoise - 18 décembre 2021

 

 

Je ne savais pas qu'ils seraient présents, je n'ai donc rien préparé. Silvia Fontana est en bord de piste avec son élève, Kevin Aymoz. (Elle est dorénavant seule listée comme entraîneur du Grenoblois). John Zimmerman est dans les tribunes avec leurs enfants. Je croise le couple, par hasard, dans le hall du premier étage, en grande conversation avec une coach française. Très impoliment, qu'elle me pardonne, je les interromps pour demander à Silvia et John s'ils ont quelques minutes à m'accorder. Il faut saisir sa chance quand elle se présente ! Ils répondent tout de suite oui, après avoir jeté un simple coup d'oeil à mon badge de presse. Nous nous installons dans une alcôve à l'abri du bruit, dans de très confortables fauteuils rouges. 

 

Kate : Dites-moi si je me trompe mais voici comment je vois les choses. Kevin a besoin à la fois d'être materné mais aussi qu'on lui botte  les fesses. Silvia a le rôle de la maman et vous, John, celui du père fouettard. (Ils éclatent de rire)

 

John Zimmerman : En plein dans le mille ! Mais Silvia lui botte les fesses aussi de temps en temps, elle ne se contente pas de le materner !

 

Kate : Depuis qu'il est repassé par la Floride, Kevin est en grande forme. Vous avez une baguette magique ?

 

Silvia Fontana : Nous tenons beaucoup à lui et nous voulons être là pour lui. Nous avons été présents à ses côtés dès ses débuts dans la catégorie élite. Nous avons trouvé une formule qui fonctionne avec lui et sa sensibilité. Mais le fond de la chose, c'est que nous l'aimons vraiment beaucoup. Nous n'avons pas peur de le pousser dans ses retranchements, mais nous sommes aussi là pour lui quand ça ne va pas. Et il le sait. Il sait qu'il peut compter sur nous. Il est également très attaché à nous. Nous avons participé à son ascension dans les rangs internationaux. Françoise Bonnard s'est très bien occupée de lui pendant la pandémie qui l'empêchait de revenir aux Etats-Unis. Mais il avait besoin de retrouver sa "seconde famille". Enfin, sa troisième, car Françoise est aussi sa famille. Kevin a besoin de se sentir très entouré. Il fonctionne au feeling. 

 

John : On le regarde à travers notre propre expérience de patineurs. Il a un talent monumental mais il est comme une pile électrique. Il faut parvenir à canaliser son énergie, et surtout ses émotions. Il reconnaît lui-même que c'est difficile. Mais c'est notre job de coaches. 

 

Kate : Est-il compliqué de lui faire garder le cap ? Il bouillonne d'idées en permanence, il tient rarement en place. Ou quand il tient, en place, c'est mauvais signe... (rires)

 

John : Vous le connaissez bien ! Cette foison permanente d'idées, c'est ce qui le rend si artiste. Mais lorsqu'on travaille une session sur la glace, s'il parvient à passer ses difficultés techniques, il se sent plus fort, plus confiant, et peut trouver un équilibre entre ses émotions et les éléments à réaliser. Avoir du talent et une sensibilité à fleur de peau ne suffit pas. Il faut réussir ses sauts, tenir un programme entier. Il est très émotif. C'est ce qui fait sa différence et son talent inné. 

 

Kate : Il dit lui-même que c'est sa plus grande qualité et en même temps sa pire faiblesse.

 

John : Exactement. Trouver un équilibre est comme le faire marcher sur un fil. C'est quelqu'un qui étudie et commente le moindre détail. On essaie de se servir de sa passion pour le rendre plus fort. Un garçon comme lui ne déçoit jamais un entraîneur. Il a toujours assez de feu en lui pour continuer, même après des heures de travail. 

 

Silvia :  Cet été, il a souffert d'une blessure importante et à peine était-elle guérie, qu'il a subi une fracture de fatigue au gros  orteil. Au droit, bien sûr, son pied de réception. C'est pour ça qu'il a renoncé au triple Lutz dans son programme pour l'instant. On a décidé de lui laisser du temps avec ce saut, le temps de guérir. Mais ça comportait un risque. Il s'est senti moins confiant. On va essayer de reprendre doucement ce Lutz après Noël, car il va en avoir besoin aux Jeux Olympiques. Je sais que ça va paraître un peu discutable, polémique, mais je pense qu'il faut qu'il fasse les championnats d'Europe. 

 

Kate : Il a un très mauvais souvenir de Graz... [Il ne s'était pas qualifié au programme libre]

 

Silvia : Oui, en effet, il a une revanche à prendre. Et on n'envoie pas un athlète aux Jeux Olympiques s'il n'a pas au moins une compétition importante dans les jambes. [Il finira 7ème à Tallin et 12ème à Pékin, ce qui est plus qu'honorable pour un patineur qui a subi des blessures toute la saison] Il y a évidemment un risque que sa blessure s'aggrave ou qu'il en contracte une autre. Mais il a besoin de compétitions pour retrouver sa confiance et sa forme. Ce sera dur pour lui mentalement mais je pense que c'est vraiment nécessaire. 

 

John : Il prend très à coeur cette participation à Tallinn. Pas seulement pour se venger de son échec de 2020 mais aussi pour récupérer un second quota, voire un troisième, pour son pays. Le fait que sa sensibilité puisse lui jouer des tours ne l'a jamais empêché d'être combatif. Regardez ici à ces championnats de France. Il se fait battre de presque 10 points par Adam [Siao Him Fa] dans le programme court, et au final il conserve son titre avec 20 points d'avance et une seule erreur dans le libre. C'est un écorché vif mais un battant. C'est ce qui le rend si particulier. Il est rare de trouver autant de sensibilité chez quelqu'un qui sait aussi se battre quand il faut. Kevin n'est jamais aussi bon que lorsqu'il est au pied du mur. 

 

Propos recueillis et traduits de l'anglais par Kate Royan - © S.I.G.