© Kate Royan - S.I.G.
© Kate Royan - S.I.G.

INTERVIEW KEVIN AYMOZ

Grenoble - 2 avril 2022


 

La tournée de l'Equipe de France a débuté à Annecy il y a trois jours, avant de passer par Courchevel sous cinquante centimètres de neige fraîche. Elle fait aujourd'hui étape à Grenoble, autrement dit chez Kevin, sous la neige aussi, mais qui ne tient pas au sol. Quasiment toutes les places ont été vendues pour le show de ce soir. Des fans sont même venues de Suède et d'Italie pour le voir !  Kevin me reçoit dans les vestiaires, ce qui empêche ses camarades de se déshabiller... Sauf Adam Siao Him Fa qui arbore un magnifique boxer-short à fleurs, exhibant des jambes à la musculature impressionnante !

 

Kate : Kevin, je vais te poser la question bateau par excellence. Quel bilan tires-tu de ta saison ? (Ma question est assortie d'un bruit sourd et d'un magnifique juron car ma chaise a basculé vers l'avant et j'ai failli tomber). 

 

Kevin Aymoz (qui éclate de rire) : Ca ne se verra pas à l'écrit !

 

Kate : Oh mais je vais en parler, j'aime l'auto-dérision !

 

Kevin : Ca ne m'étonne pas de toi ! Ecoute j'en tire un bilan positif. C'était une saison en dents de scie mais avec beaucoup de positif quand même. Il y a du négatif c'est sûr, mais on va essayer de ne retenir que le reste. Ca m'a fait grandir, mûrir, j'ai appris beaucoup de choses. 

 

Kate : Tu as pu enfin retourner aux Etats-Unis, ça t'a fait du bien ?

 

Kevin : Ah oui, ça m'a fait un bien fou ! J'étais très bien en France hein, j'avais ma famille, mes amis, j'étais avec Françoise [Bonnard], dans ma patinoire "de naissance", j'étais bien loti, loin d'être à plaindre. Mais malheureusement, ce n'est pas ici que je devais être. Je vais y retourner après avoir pris des vacances. J'ai besoin de couper un petit peu on va dire (il fait le geste d'un petit écart entre le pouce et l'index). Ca fait quatre ans, cinq ans même, que je bosse dur pour aller aux Jeux Olympiques. Il y a un moment où il faut une vraie coupure sinon je vais exploser en vol et ce n'est pas le but.

 

Kate : As-tu déjà fait des choix pour tes programmes de la saison prochaine ? 

 

Kevin : Oui et non. On sait à peu près où on veut aller. Mais on n'a pas encore trouvé de musique et d'idée bien conçue. On vient juste de finir la saison, je n'ai pas vraiment eu le temps d'y penser pour le moment. 

 

Kate : Raconte-nous un peu ta saison.

 

Kevin : Il s'est passé des millions de choses. Après le World Team Trophy, le documentaire de Canal Plus est sorti [dans lequel des athlètes parlent de leur homosexualité]. Ca m'a fait beaucoup de bien, ça m'a libéré. J'ai pu dîner et déjeuner avec des ministres, j'ai intégré la commission des athlètes au CNOSF. Que ce soit sur le plan personnel ou professionnel, j'ai vécu des choses intenses et passionnantes. Après, il y a eu les blessures... Ce n'est pas le meilleur moyen d'entamer une saison mais on ne choisit pas. Une, puis, deux, puis trois, etc... 

 

Kate : La loi de Murphy, de l'emmerdement maximum.

 

Kevin : Voilà. Dix, vingt, trente quarante... Non, j'exagère. J'ai commencé par une pubalgie et c'est une vraie saleté, douloureuse et difficile à guérir. Ensuite ce sont mes hanches et mes genoux qui ont pris, sans doute parce que j'ai compensé pour éviter certains mouvements qui me faisaient mal. Je me suis fait une entorse à la cheville, puis j'ai eu un doigt de pied en miettes, le gros orteil, à cause d'une fracture de fatigue, avec une contusion autour de l'os impossible à faire partir. Je l'ai toujours, le médecin dit que ça peut prendre trois mois, six mois, un an, deux ans. Tant que je pose le pied parterre, et il est difficile de faire autrement, la contusion va rester. Ensuite j'ai commencé à souffrir du dos. Effet dominos, la totale... Toutes les deux semaines, j'ai écopé d'une nouvelle saleté donc ça a vraiment été compliqué. Finalement je n'ai pas été si mauvais vu le peu de condition physique que j'avais et avec un tel manque d'entraînement. Aux championnats de France, j'ai vraiment sorti le max de ce que je pouvais faire. J'avais besoin de prendre ma revanche contre quelque chose de très personnel. Ensuite les championnats d'Europe... J'ai vraiment fait une saison de championnats internationaux pas ouf. Je n'ai pas non plus fait des Jeux Olympiques super...

 

Kate : Compte tenu de ton état physique, ce n'était pas si mal !

 

Kevin : On peut dire ça comme ça. En fait, avec le peu de préparation que j'ai eu, j'étais très content d'aller à Pékin, même si entre ça et les Europe, ce ne sont clairement pas les meilleurs résultats de ma carrière. J'ai réussi à garder une bonne attitude, j'ai eu une bonne expérience, j'ai appris plein de choses, j'ai grandi. Et ça récompense quand même mes quatre ans d'efforts pour aller là-bas. 

 

Kate : Montpellier ?

 

Kevin : J'étais prêt, mais alors super prêt Kate ! Alors que pour beaucoup de sportifs, après les Jeux, c'est le moment le plus dur. Je n'ai pas eu de coup de barre ou de chute de motivation. Pas du tout. Je suis revenu en France pour une mini semaine de vacances. Tous les soirs j'allais au resto avec ma famille, mes amis, je vivais normalement. Je n'ai même pas eu cette mélancolie des Jeux où on se dit, "ça y est, c'est déjà passé". Et quand je suis retourné à l'entraînement, j'étais remonté à bloc, c'était un truc de ouf. En fait j'ai eu peur de tomber dans le creux de la vague, de ne pas réussir à me remobiliser. Et c'est tout le contraire qui s'est passé. J'étais vraiment très très prêt. A l'entraînement tout passait. Trop bien. C'est sans doute pour ça que je me suis loupé aux Mondes. Je n'avais jamais fait autant de programmes entiers à l'entraînement. D'habitude c'est très dur pour moi et là, j'arrivais, je mettais les patins et plus rien ne pouvait m'arrêter. Pendant les deux semaines avant les championnats, j'ai bossé comme un malade. il y avait des erreurs, mais après un long, je me reposais dix minutes, je pouvais repartir et recommencer. Je me suis dit : enfin, je suis au top, je suis hyper prêt.

 

Kate : As-tu eu une pression particulière parce que ces championnats du Monde avaient lieu en France ? 

 

Kevin : Oui et non. Oui parce que c'est dans mon pays, donc il y a toujours un petit bout de truc qu'on ne voit pas et qui pèse un peu sur les épaules. Et non parce que j'étais prêt et que j'avais envie de montrer que je pouvais revenir sur le devant de la scène. En fait, je me suis collé la pression tout seul ! En même temps, c'était la fin de la saison, un an s'était écoulé depuis le début de mes pépins physiques, donc ça a été long, très long. Mais looong ! (rires) Inconsciemment, je devais être plus fatigué que je ne le pensais. Mais il y a quand même eu du positif, parce que 88 points avec 15 de perdus dans un programme court... 

 

Kate : Il y a combien de temps que tu n'avais pas raté un tripe Axel ?

 

Kevin : Oh ça devait bien faire trois ans. Je crois que le dernier 3A que j'ai vraiment foiré de chez foiré, c'était aux Mondes de Saitama en 2019. J'en ai sûrement retourné d'autres après, mais éclaté comme ça, non. L'Axel n'est pas mon saut le plus fort.

 

Kate : Pourtant tu en passes de magnifiques les doigts dans le nez !

 

Kevin : Oui, mais là, comme les chevaux en compétition : refus d'obstacle ! Aaah non, je ne saute pas ! Même moi ça m'a surpris ! Et je me suis aussi payé trois grosses erreurs dans le libre qui m'ont coûté très cher en points, mais je me suis plutôt bien repris sur la fin. Elle a été plutôt clean cette fin de programme, même si j'étais fatigué et assez déçu. Mais je me suis remobilisé et je me suis battu. 

 

Kate : La tournée se passe bien ? Elle ne fait que commencer...

 

Kevin : Elle se passe très bien. Je suis super content d'être de nouveau avec les copains de l'équipe. On s'entend bien, on rigole bien. Ca faisait longtemps qu'on n'avait pas eu de regroupement aussi long. On n'avait pas tourné du tout depuis quatre ans. La dernière c'était après les Jeux de 2018. L'année suivante, je pense que la fédération n'a pas eu les moyens financiers nécessaires, puis il y a eu le Covid et une année à blanc. Mais je serai toujours content d'être en tournée. 

 

Kate : Même dans la neige de Courchevel ?

 

Kevin : Naaaah ! Ce n'est pas ce que je préfère ! Mais il y en a partout, même à Paris, même ici. J'ai quand même aperçu un rayon de soleil cet après-midi. J'espère que la suite de notre périple bénéficiera d'une météo plus clémente !

 

Propos recueillis par Kate Royan - © S.I.G.