© Alice Alvarez - S.I.G.
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INTERNATIONAUX DE FRANCE

Grenoble - 20 novembre 2021

Danse Libre : Papadakis/Cizeron dans leur bulle


Cliquez sur le nom des patineurs pour voir la vidéo correspondante.


Je ne parle pas de la fameuse bulle sanitaire,  inviolable ici à Grenoble, pour la sécurité des patineurs. On le dit depuis des années, ils sont dans un autre monde. Malgré les erreurs de Guillaume aujourd'hui (ce qui arrive aux meilleurs), ils sont si largement au-dessus du lot que leurs concurrents semblent pratiquer une autre discipline. Personne d'autre qu'eux ne peut livrer une prestation vecteur d'une telle émotion. A l'image de certains acteurs qui crèvent l'écran, Papadakis/Cizeron crèvent la glace. En la survolant, comble de paradoxe. Ils ne touchent quasiment plus terre et nous non plus, totalement embarqués dans leur voyage intérieur. Peut-être auraient-ils pu choisir un thème moins sombre pour une année olympique.  L'Elégie de Fauré, symbolise la tristesse et le désespoir amoureux de manière de plus en plus intense au fil de la construction musicale, parfaitement retranscrite par leur chorégraphie et interprétation. Le morceau est sublime, mais dépressifs, s'abstenir. L'antithèse intégrale de leur danse rythmique,  et la preuve, s'il en est encore besoin,  qu'ils sont capables de s'exprimer de manière personnelle et unique dans tous les registres possibles et imaginables. Ils remportent aisément la danse libre avec 132.17 points, et la compétition avec un total de 221.25. 

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Derrière eux, sans renier leur évident talent, les Canadiens Gilles/Poirier font un peu pâle figure. Pourtant, leur danse libre a un potentiel évident. Les costumes bleu nuit discrètement pailletés sont splendides. Les danseurs  sont fluides et rapides. La musique de Paul McCartney "Long et Winding Road" (Une Route longue et tortueuse) arrangée par Govardo, est le résumé parfait d'une carrière à laquelle ils vont mettre fin cette saison. Mais j'aurais aimé les voir la terminer sur des programmes plus brillants, plus fidèles à ce qu'ils ont été par le passé : créatifs, originaux, anticonformistes. Cette danse libre est étrangement stéréotypée, elle a même un petit air factice qui ne leur sied pas du tout. Mais elle passe bien auprès des juges qui les gratifient de niveaux, GOEs et composantes élevés. Seconds de la danse libre (121.81), ils sont aussi seconds du classement général (203.16). Il me semblent davantage notés sur leur notoriété et leur authenticité passées,  que sur la qualité réelle de leur prestation. 

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Ce n'est pas un secret, je n'ai jamais été grand fan de Stepanova/Bukin. Je trouve la demoiselle très jolie mais souvent un peu vulgaire,  et lui est un grand spécialiste du surjeu et de la poudre aux yeux. Me voici donc agréablement surprise. Débarrassée de son maquillage exagéré et dans une sobre robe d'un délicat beige orangé, Alexandra ressemble enfin à une vraie danseuse,  et non à une entraîneuse de cabaret. Ivan est nettement plus sobre dans ses expressions et ses gestes. La musique de la première partie est belle, "We have a Map of the Piano".  Les choses se gâtent avec l'extrait de Roméo et Juliette glapit,  puis carrément hurlé par Sarah Alainn. Mais le programme reste prenant et agréable, même si la seconde partie est assez vide. Il est, en tout cas, très différent de ce qu'ils présentent d'habitude, et ne tombe pas, pour une fois,  dans le drame à outrance typiquement russe. Je leur reproche néanmoins, comme à beaucoup de danseurs, cette tendance pénible (mais lucrative niveau points) aux portés "pizza", portés pendant lequel le danseur fait tourner sa partenaire dans tous les sens façon pizzaiolo préparant sa pâte avant de la garnir. Qu'ils soient techniquement moins bien notés que Gilles/Poirier n'est pas surprenant. Que leurs composantes ne dépassent pas celles des Canadiens, l'est, à mon avis, beaucoup plus. Une danse libre à 120.40 points et un total de 200.29, les classent 3èmes.

 

Evgeniia Lopareva et Geoffrey Brissaud sont 4èmes ! Eux-mêmes n'en reviennent pas ! Ce sont tous les deux des travailleurs acharnés et cela paie. Leur libre est un régal : une première partie toute en douceur, très "ballet" sur l'Adagio d'Albinoni revisité par le violoncelliste croate Stjepan Hauser et arrangé par Cédric Tour. La seconde, sur le Palladio de Carl Jenkins, sur laquelle ils se montrent rapides et légers. Seuls quelques portés restent un peu brouillons du fait de leur complexité, mais ils vont se bonifier en cours de saison. Ils sont dotés tous les deux d'un excellent toucher de glace et capables de s'exprimer avec aisance dans des registres très différents. Ce sont les futurs grands de la danse sur glace française. 106.71 et un total de 175.94 leur offre une quatrième place méritée, alors qu'ils n'en sont qu'à leur seconde participation en Grand Prix Senior. A noter qu'Evgeniia et Geoffrey ont la Base Value la plus élevée de la compétition, juste derrière Guillaume et Gabriella. Certains entraîneurs étudient mieux le CoP que d'autres ! 

 

Tout comme Ivan Bukin, Anthony Ponomarenko a, pour les gens de ma génération, un nom lourd à porter. Et, hélas, pas la moitié du talent de son père. Comme dans tous les domaines, il est difficile d'être "le fils de". Disons, que le "Wicked Game" chanté par Daisy Gray de Carreira/Ponomarenko est joli, très "américain" et plus mou que réellement romantique. Le final, en accéléré, se résume à une sorte de mélange "je te tire et je te pousse". Ils ont néanmoins progressé sur tous les plans depuis le début de saison. Mais s'ils ne sont, au classement final,  qu'à trois petits dixièmes de Lopareva/Brissaud, c'est certainement dû à leur notoriété déjà établie (au contraire d'Evgeniia et Geoffrey qui en sont seulement à se faire connaître) plutôt qu'à de remarquables qualités. Et la 7ème place du libre (105.17), contre la 4ème de la RD,  avec une déduction pour porté trop long, n'a pas contribué à les aider. 

 

Les Finlandais Turkkila/Versluis sont 5èmes du libre (106.40) et 7èmes au final (171.02) sur "Wild Side " de Roberto Cacciapaglia et "Bruises" de Lewis Capaldi. Les deux morceaux ne vont pas très bien ensemble, le second étant trop "radio friendly". Mais le thème est joli, tendre, même si un peu sirupeux,  et ils l'interprètent avec beaucoup de finesse. Juulia a le physique de la Reine des Neige dans un film de Noël et sait jouer de sa morphologie longiligne et gracieuqe. Tous les deux anciens patineurs individuels, ils arrivent néanmoins à créer une unité. J'ai un faible certain pour leur magnifique porté d'entrée de programme. 

 

Les élèves de Maurizio Margaglio sont précédés, au classement, général, par les Russes Morozov/Bagin. Morozov, comme Nicolaj Morozov puisqu'il s'agit de sa fille. Il est d'ailleurs le coach du couple. On reconnaît sa patte, un peu lourde, dans les costumes des Mille et Une Nuits trop chargés et une chorégraphie qui a du mal à correspondre au "Shéhérazade" de Rimski-Korsakov. La musique accélère quand les patineurs,  eux, ralentissent. Annabelle semble vouloir ressembler,  ou peut-être même égaler,  Elena Ilinykh, mais elle n'en a pas (encore ?) le talent et le charisme. Andreï est grand et un peu pataud, comme encombré de lui-même et de son physique trop puissant. Il ferait peut-être un meilleur patineur de couple qu'un danseur. L'ensemble se laisse regarder mais ne va pas révolutionner la spécialité. 8èmes du libre (103.87), ils remontent de deux places au final (172.32). 

 

L'autre couple français engagé, Loïcia Demougeot et Théo Le Mercier, évolue sur une version du Bolero de Ravel interprétée par Angélique Kidjo et Brandon Marsalis, le tout arrangé par le célèbre Hugo Chouinard. Le genre de composition que seul le staff de Villard de Lans est capable de dénicher ! Le programme est génial de bout en bout, avec un chorégraphie millimétrée, une mise en valeur des meilleures qualités des deux danseurs et des défauts intelligemment dissimulés. Du sur mesure fait par un/e grand/e couturier/e pour une sculpturale blonde et un brun ténébreux. Comparés à leurs concurrents, l'exécution est un peu lente et, ne le répétez à personne, mais il me semble avoir vu plusieurs fautes de carres. Un porté trop long, quelques niveaux 1 et des composantes peu élevées les relèguent à la 10ème place de la danse libre et à la 9ème du classement final. Ce qui n'est pas si mal compte-tenu du plateau présent à Grenoble, composé de danseurs ayant beaucoup plus d'expérience qu'eux (hormis Lopareva/Brissaud). 

 

 Sur place : Kate Royan - S.I.G. ®