© Olivier Brajon
© Olivier Brajon

Rencontre avec Annick Dumont


Le soleil qui inondait la Vanoise depuis plusieurs semaines a fait place à une pluie diluvienne et un brouillard épais. Par les vitres de la patinoire du Forum de Courchevel, on ne voit plus qu'un ruissellement continu. Mais à l'intérieur, personne ne s'inquiète de la météo. Après deux mois de confinement, les affaires ont repris dès juin. Petits et grands, athlètes élite ou débutants, tout le monde essaie de rattraper le temps perdu. On ne présente plus Annick Dumont. Elle a entraîné un grand nombre de noms connus : Frédéric Dambier, Marie-Pierre Leray, Eric Millot, Laurent Tobel Gabriel Monnier, Vincent Restencourt, Chafik Besseghier, Stanick Jeannette, Laetitia Hubert... Ou plus récemment, Alban Préaubert, Florent Amodio et Romain Ponsart. Comme chaque été, elle a pris ses quartiers d'été dans la station savoyarde, cette année épaulée par Mehdi Bouzzine. Skate Info Glace a pu la rencontrer au milieu d'une de ses journées, toujours très chargées. 

 

***

 

Skate Info Glace : Depuis combien de temps officies-tu à Courchevel l'été ?

 

Annick Dumont : Je crois que cela fait maintenant dix-sept ans... Au début, nous ne venions pas deux mois entiers. A présent nous restons huit semaines, sauf les années où se déroule le Grand Prix Junior, la patinoire étant occupée lors de la dernière semaine d'août. 

 

 

SIG : Combien y a t'il d'élèves en moyenne ?

 

A.D. : C'est très variable. En fait les structures organisatrices calculent  plutôt en semaines de stage, car elles ne veulent pas dépasser une certaine durée. En règle générale, elles ne dépassent pas trente à trente-cinq  stagiaires par semaine. Ces structures organisatrices, c'est à dire les clubs, et la commune de Courchevel me permettent de profiter d'heures de glace dédiées à l'entraînement, mais aussi à la détection, à la planification et la formation, notamment de couples, ce qui est l'un des projets de notre fédération. Cela nous a permis d'accueillir, cet été,  des patineurs en quête de glace en raison des restrictions sanitaires. Là, je dois dire une grand merci à la commune de Courchevel pour nos patineurs préparant des compétitions internationales ! 

 

 

S.I.G. : D'où viennent-ils ? Quel est leur niveau ? 

 

A. D. : De partout ! Ils s'inscrivent eux-mêmes pour une, deux, ou trois semaines. Voire pour tout l'été. Quant à leur niveau, il y a de tout, du débutant à l'athlète international. Je m'occupe surtout de la préparation de ces derniers. 

 

 

S.I.G. : Comment s'est passé le confinement pour tes élèves et toi-même ?

 

A.D. : Très bien,  car ils ont été très sérieux. Ils ont suivi leur préparation physique à la lettre. C'était évidemment compliqué, mais nous avons toujours gardé le contact. Nous ne pouvions pas nous voir pour travailler, mais nous communiquions par téléphone, par SMS et visioconférence. Dès qu'il a été possible de sortir, tout en respectant distances et gestes barrières, nous nous sommes tous retrouvés pour des séances au Bois de Vincennes. Nous y allions à vélo, en trottinette ! 

 

 

S.I.G. : En tant que coach, que préfères-tu ? Entraîner quelqu'un qui est déjà au niveau élite, ou accompagner quelqu'un depuis ses débuts jusqu'au haut niveau ?

 

A.D. : Il n'y a pas de règle, tout dépend de la personnalité de chacun. J'aime ce métier, pas seulement parce que ce sport est sublime, parce qu'il fait appel à touts les aspects sportifs et artistiques réunis. C'est un sport complet et un tel spectacle ! Je l'aime aussi parce qu'amener quelqu'un, avec sa personnalité, au niveau supérieur, voire au plus haut, est une expérience différente et singulière avec chaque athlète. Tout est vraiment lié aux particularités de l'individu. Je n'aime pas beaucoup travailler seule, je m'épanouis plutôt au sein d'une équipe. Autres entraîneurs, chorégraphe(s), préparateur(s) physique(s)... Mais aussi les juges, les officiels de la fédération qui viennent voir ce que nous faisons. Et les journalistes ! (rires) C'est un monde composé de gens tous différents, enrichissants. 

 

 

S.I.G. : Tu as fait toute ta carrière à Champigny je crois ?

 

A.D. : Oui ! C'est incroyable... A Champigny,  mais ici à Courchevel aussi. C'est une double famille et c'est vraiment très rare ! Nous avons, sur ces deux centres, des conditions d'entraînement exceptionnelles. Nous avons la chance d'avoir beaucoup d'heures de glace à notre disposition. Ces deux communes sont avant tout très sportives, et connaissent le haut niveau dans tous les sports. 

 

 

S.I.G. : Tu aurais aimé partir à l'étranger comme nombre de tes homologues ?

 

A.D. : On me l'a proposé très souvent, j'ai reçu des offres intéressantes, aux Etats-Unis, en Espagne, en Italie, en Suisse, ce qui est toujours très tentant (rires). Mais au final, je suis très attachée à la France. Ce que j'aime c'est la confiance réciproque qui existe entre nous et les dirigeants, de Champigny comme de Courchevel, la fidélité qui nous lie depuis des années. Ces communes nous ont toujours suivis et appuyés dans notre projet sportif vers le haut niveau, ce qui nous a permis d'avoir toujours de la glace à disposition. Nous avons, ici comme à Champigny, de très nombreuses heures de glace, ce qui est précieux pour notre travail. Pouvoir faire deux entraînements par jour, c'est rarissime,  et moi justement, j'y tiens ! Je pense que pour faire du haut niveau, il faut pouvoir s'entraîner deux fois par jour. Une seule session, c'est trop long, trop pesant physiquement pour les athlètes, de même qu'au au niveau de la concentration. 

 

S.I.G. : Que préfères-tu dans ton métier et qu'est-ce qui est le plus difficile ? 

 

 

A.D. : La première chose que j'aime, c'est la diversité.  A l'entraînement comme en compétition, on ne tombe jamais dans la routine. Ensuite, j'adore les défis, la compétition. Je suis vraiment une compétitrice dans l'âme. S'il n'y avait pas ces deux éléments, je m'ennuierais très vite (rires). En ce moment, en raison de la situation sanitaire mondiale, la fédération internationale n'est pas en mesure de valider des dates de compétitions de façon certaine et  de nous donner un planning pour la saison à venir.  Cela induit une sorte d'incertitude. On ne sait pas où l'on va. Ce n'est, bien sûr, pas un reproche, il n'y a pas moyen de faire autrement. Je planifie au crayon de papier,  munie d'une gomme,  que j'utilise beaucoup trop souvent en ce moment ! (rires) On apprend à être patients, on se motive autrement. Ca, c'est le côté difficile que personne n'aime en ce moment,  mais qui nous permet de développer d'autres capacités. On apprend de toutes les expériences. 

 

 

S.I.G. : Comment es tu devenue commentatrice TV ?

 

A.D. : Vraiment pas hasard... J'ai remplacé Isabelle Duchesnay auprès de Nelson Monfort comme consultante lorsqu'elle est repartie au Canada. La chaîne n'avait plus personne et Nelson m'a contactée. Je ne me souviens même pas quand j'ai commencé exactement. Six ou sept mois avant les Jeux Olympiques de Nagano [1998] je crois. 

 

 

S.I.G. : Comment fais-tu quand tu dois commenter le programme d'un de tes élèves ?

 

A.D. : Si la retransmission est en direct, je suis d'abord entraîneur auprès de mon athlète en bord de piste et dans le Kiss and Cry, donc ce n'est quasiment jamais moi qui commente. Si je devais commenter leurs programmes, je serais capable d'être trop sévère. Cependant mon rôle de consultante étant purement technique, c'est la performance, et non son auteur,  qui fait mon commentaire.  La seule exception est lors des galas. Et j'évite de trop en dire. 

 

 

S.I.G. : Si demain matin on te propose d'entraîner un des meilleurs patineurs mondiaux ou une des meilleures patineuses mondiales, qui choisis-tu ? 

 

A.D. : (elle hésite) Hm... Pour moi, Nathan Chen est exceptionnel. Je le trouve très créatif. 

 

 

S.I.G. : Et chez les dames ? 

 

A.D. : (Grand silence... puis elle éclate de rire) Le patinage féminin est si particulier aujourd'hui. Quand je vois toutes ces très jeunes filles... De vrais prodiges. Mais qu'adviendra t'il d'elles après ? Elles ont des carrières si courtes. Plus j'avance dans ma propre carrière, plus je suis humble. Je me dis que c'est absolument  extraordinaire de faire exécuter des quadruples sauts à des gamines de treize ou quatorze ans. Mais je me pose des questions. Combien d'heures de travail cela représente t'il ? Leur technique est sublime, mais quelle genre de vie ont-elles ? Cela m'interpelle... De tels schémas seraient difficiles à appliquer en France.  Nous n'avons pas la même logique d'entraînement, ni les mêmes facilités d'organisation de la carrière de très très jeunes filles. Je serais plus intéressée par une Japonaise, comme Rika Kihira. Je trouve qu'elle est une patineuse magnifique, son patinage est plus mûr, plus féminin. Ou l'élève d'Alexeï Mishin, Elizaveta Tuktamysheva. Il y a une dimension différente dans ce qu'elles font, une vraie recherche chorégraphique. Franchement, les petites Russes, je ne sais pas par quel bout je les prendrais (rires). 

 

 

S.I.G. : Dans ton métier, être une femme t'a t-il déjà posé problème ?

 

A.D. : Non, parce qu'on m'a toujours dit que j'avais un caractère de mec. Mais c'est quoi un caractère de mec ?! (rires)

 

 

S.I.G. : A contrario, penses-tu qu'un homme puisse rencontrer des obstacles de type sexisme dans le patinage ? Ce n'est pas à proprement parler un monde de femmes, mais elles y ont une grande place, dans le coaching, la chorégraphie, chez les juges...

 

A.D. : En fait, il faudrait demander à un homme. Peut-être que nous les martyrisons sans nous en rendre compte ! (rires) Non, je plaisante.  La question est intéressante. On ne se la pose quasiment jamais, pourtant le sexisme peut fonctionner dans les deux sens. 

 

 

Propos recueillis par Kate Royan

Courchevel - 17/08/2020