© S.I.G. - Myriam Cawston
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Championnats d'Europe Minsk 2019

24 janvier 2019

Libre Couples - James/Ciprès écrivent l'histoire...


Cliquer sur le nom des patineurs vous permet d'accéder à la vidéo de leur programme. 


Je vous parle d'un temps que les moins de... 87 ans ne peuvent pas connaître ! Paris 1932 : Andrée Joly et Pierre Brunet remportent, à Paris, le seul et unique titre français de champions d'Europe de la discipline. Minsk 2019 : Vanessa James et Morgan Ciprès prennent la relève. On a failli attendre...

 

Oui, ils sont champions d'Europe. Et quels champions ! Car ils y mettent la manière.  Triple twist et  cinq fois la note maximum. Triple boucle piqué/double boucle piqué/double boucle piqué, soit neuf rotations à synchroniser parfaitement entre une jeune femme d'un mètre soixante-et-un, et un homme qui mesure vingt centimètres de plus, avec la différence de poids que cela implique, et des sauts qu'il faut impérativement réceptionner pile en même temps. Une petite erreur de Vanessa en cours de route n'aura aucune incidence. Le triple Salchow parallèle tangue un tout petit peu, ce qui n'échappe pas l'oeil acéré de deux juges (quatre si l'on compte les deux GOEs à 0) mais  n'est pas véritablement pénalisant. A partir de là, c'est un véritable festival ! Porté groupe 3 de niveau 4 : quatre fois la note maximum. Pirouette combinée niveau 4 :  six fois +4. Triple flip lancé à couper le souffle. Le nôtre, parce que le leur, aucune inquiétude, tout va bien ! Porté Axel lasso groupe 5 : niveau 4 et quatre fois la note maximum. Triple Salchow lancé : cinq fois +5 sur neuf notes. Spirale dedans avant de niveau 3 "seulement". On ne va tout de même pas se plaindre, d'autant plus qu'il pleut encore et toujours des +5. Et pour finir, le fabuleux porté que Morgan termine sur un genou. Dans les tribunes, c'est l'explosion nucléaire. Tout le monde est debout. Et nous sommes en Biélorussie, dans une patinoire pleine de leurs voisins russes, conscients que les leurs viennent virtuellement de perdre la médaille d'or ! Qu'on ne me dise jamais que les Slaves sont chauvins. Quel superbe esprit sportif et quel formidable enthousiasme. Yagudin, qui,  lors du court hurlait en levant les bras, est aujourd'hui debout sur sa chaise pour chanter "bravo" et "je vous aime" à tue-tête (en français !). Mes voisins allemands me félicitent à grands renforts de poignées de mains, comme si j'y étais pour qu'elle chose. Je ravale avec peine quelques larmes émues. Mon collègue de Passion Patinage a, lui aussi,  les yeux un peu rouges... Les commentateurs de la TV suisse, un mètre sur ma gauche, entrechoquent leurs bouteilles de soda pour trinquer,  tandis que la dame, dans son plus bel accent vaudois, s'exclame "mais que c'est beau". Je ne le lui fais pas dire ! Voilà, c'est l'effet Vanessa et Morgan : ils mettent tout le monde d'accord. Ils nous projettent en apnée pendant quatre minutes trente, puis nous font rire et pleurer,  tandis qu'on se casse la voix pour les féliciter. Pour en revenir au score, côté PCS, un 10 a fleuri au milieu des 9.00, 9.25, 9.50, 9.75. et de trois petits 8.75 égarés là au milieu. La musique - "Wicked Games" et "The Last Feeling" - chorégraphiée par Charlie White, et l'interprétation de Morgan et Vanessa,  ont une façon de vous prendre par les sentiments et les tripes absolument irrésistible. Ils vous font vibrer de la plante des pieds à la racine des cheveux. Attention, ils rendent accro, ils sont dangereux ! Deux magnifiques champions d'Europe, aussi aux anges que leur public. Allez, à les voir se sourire, s'embrasser, tellement fous de joie, se regarder avec une telle complicité, je verse de nouveau ma petite larme. Avec 149.11 points dans ce libre,  et un total de 225.66, ils battent leurs deux propres records. Faut-il parler de cette énième déduction pour "time violation" dont ils écopent encore ? Non. Un bouton doit se bloquer quelque part dans les ordinateurs de l'I.S.U... Neuf années pavées d'efforts, de blessures, de sacrifices, parfois de déceptions,  mais aussi de patience, de détermination et de ténacité,  leur ont fait gagner, cette saison, chacune des compétitions auxquelles ils ont participé : Autumn Classic, Skate Canada, Grand Prix de France, Finale du Grand Prix, championnat National et championnat d'Europe. Rendez-vous à Saitama au Japon en mars, pour le seul or qui leur manque, le plus beau et le plus convoité : celui des championnats du Monde ! 

 

Le public prend à peine le temps de se rasseoir puisque les patineurs suivants (et derniers sur la glace) sont Evgenia Tarasova et Vladimir Morozov. Si Biélorusses et Russes ont plus que largement acclamé nos Français, il en ont tout de même gardé sous le pied, drapeaux à l'appui, pour encourager les leurs. Un tonnerre d'applaudissements salue ceux qui, avec un programme sans le dixième du quart d'une demi-faute,  et avec des difficultés cosmiques, pourraient encore être sacrés champions d'Europe. Je ne voudrais pas être à leur place... Ils ont moins de trois points de retard après le programme court, mais Vanessa et Morgan viennent de leur mettre une pression digne d'un char d'assaut équipé d'un moteur Audi SQ7. N'importe quels patineurs aussi expérimentés et solides qu'ils soient, seraient moralement aplatis après le passage d'un tel rouleau compresseur. A ma propre surprise, et peut-être pour me faire payer les propos acerbes que j'ai tenus à leur égard hier, les deux Moscovites se montrent, aujourd'hui,  beaucoup moins ternes que la veille. Evgenia et Vladimir ont le triple twist le plus exceptionnel du circuit depuis la retraite de Savchenko/Massot. Trois mètres zéro cinq entre la hanche d'Aljona et le sol les jours fastes.  Evgenia ne doit pas en être loin. Encore faut-il que le partenaire réceptionne la voltigeuse sans le moindre heurt,  et sans que le "flow" du programme en pâtisse. Vladimir est peut-être aussi démonstratif qu'une tranche de pain, mais à cet exercice,  il égale sans problème le génialissime Bruno,  et dépasse même peut-être un tout petit peu notre grand Morgan (j'ai dit "un tout petit peu", une nano-miette, une poussière !) Le triple Salchow parallèle passe sans problème, avec des GOEs de 2 à 5. Vraiment ? Saut parfait pour le juge N° 7, moyen pour le N° 5. Ceux qui choisi les +3/+4 sont dans le vrai. Les choses se gâtent avec la combinaison triple boucle piqué/double/double. Premier saut invalide, pas de combinaison, -0.56 sur une Base Value de 1.30, une valise de -4 et -5. La pression a été trop forte, l'or s'envole, les doubles champions d'Europe et tenants du titre le savent. Ils trouvent tout de même le cran de  nous offrir un tripe Salchow et un triple boucle lancés magnifiques. Leurs portés sont de toute beauté, tous leurs éléments sont de niveau 4. N'empêche... Les Français les devancent de près de cinq points en TES. Le post-rock instrumental du groupe texan Balmorhea, et "The Winter",  leur vont, pour une fois, très bien, puisqu'ils  n'évoquent rien d'autre qu'un minimalisme acoustique reposant, agréable et sans signification particulière. Une bénédiction pour des patineurs qui sont tous sauf des interprètes. Qu'on puisse les gratifier encore une fois de 8.75 à 9.50 en interprétation de la musique, et que leurs PCS soient supérieurs à leur note technique me laissent perplexe. Peu importe. Le patinage de couples, comme la danse, ont été des fiefs russes pendant plusieurs générations. Depuis que des Chinois, Allemands et à présent Français,  ont mis fin à cette hégémonie, il faut bien trouver consolation quelque part... Tarasova/Morozov empochent une médaille d'argent à 218.82 points (144.92 pour le libre), loin derrière James/Ciprès, et sans un sourire. Sous les bravos de Morgan qui se lève pour les applaudir.  Joli geste et bel esprit sportif. Le classement est, de toute façon, justifié et indiscutable. 

 

Comme le sont la troisième place et la médaille de bronze de Boïkova/Kozlovskii. Même si le "Casse-Noisette" de Tchaïkowski finit par bien porter son nom,  vu l'usage abusif qui en a été fait depuis la nuit des temps dans les patinoires, les deux Saint-Pétersbourgeois sont tout le contraire de leurs compatriotes : pétillants, pétulants, enthousiastes, éclatants de vie et d'envie. Après un très bon triple Salchow parallèle, eux aussi rencontrent un problème sur la combinaison de sauts. Tandis que sa partenaire effectue toutes les rotations prévues, Dmitrii retourne son premier triple boucle piqué et ne peut enchaîner qu'un seul double au lieu de deux. Le triple twist est parfait pour le juge N° 4 mais noté cinq fois + 3, deux fois +4 et une fois +2 par ses collègues. L'aisance avec laquelle Evgenia réceptionne ses sauts lancés (Salchow et boucle) est spectaculaire. Portés et autres éléments sont tous de niveau 4 (sauf la spirale dedans avant) et ils obtiennent leur moins bon score sur leur pirouette combinée assez lente. Avec 132.70 points, ils améliorent leur Season Best. Il leur faudra attendre le passage des Italiens Della-Monica/Guarise, James/Ciprès et Tarasova/Morozov pour connaître leur classement final : 205.28 et une très belle médaille de bronze à dix-sept et dix-neuf ans. Ils ont tout pour devenir de très grands patineurs de couple. Cerise sur le gâteau, hors glace, si Vanessa et Morgan n'engendrent pas la mélancolie en conférence de presse, Evgenia et Dmitrii, tout sauf timides malgré leur jeunesse, sont de vrais clowns, grands spécialistes de l'auto-dérision,  qui font rire aux éclats toute l'assistance. 

 

0.14 points au classement général. C'est ce qui sépare Della-Monica/Guarise de Boïkova/Kozlovskii et du podium. De quoi se mordre les patins pour les Italiens qui étaient de si beaux troisièmes après le programme court. Avec "Tristan et Iseut", même revu et corrigé par Maxime Rodriguez, on en revient à un registre plus classique et plus gymnique, sauvé par une chorégraphie très contemporaine. Ils sont beaucoup plus rapides que les jeunes Russes qui les ont précédés, mais plus tendus aussi. L'enjeu est grand, la première médaille continentale de leur carrière est à portée de lames. Deux fois second en Grand Prix cette saison (Moscou et Helsinki), ils sont très attendus et farouchement déterminés. Triple Salchow sans accroc, mais leur triple twist manque de hauteur. Nicole laisse traîner un pied à la réception du triple boucle lancé et écope d'une vague de GOEs négatifs (à l'exception d'un +2). Leur triple boucle piqué/double boucle piqué est chahuté et désynchronisé, de plus,  les partenaires sont très loin l'un de l'autre. Le triple Salchow lancé part un peu de travers et Nicole effleure la glace de la main à l'atterrissage. Les notes d'échelonnent de -2 à +3. Portés et pirouettes sont, comme toujours, de grande qualité. Les voici 4èmes du libre. A l'annonce du score, 131.44, la présentatrice italienne s'exclame "Aïuto" - au secours ! La médaille de bronze leur échappe de très peu avec un total de 205.14. 

 

L'écart de points se creusent avec les 5èmes, Pavliuchenko/Khodykin (185.92). Leur montage musical, sur la bande original du "Great Gatsby" n'est pas très heureux, trop de changements de rythmes, et les morceaux choisis ne vont pas ensemble. Désormais blonde, la toute petite demoiselle d'un mètre quarante-huit, dans sa joie robe rose bonbon, semble déclencher ses sauts parallèles avec une fraction de seconde de retard sur son partenaire. Illusion d'optique ? Les notes sur triple flip et triple boucle piqué/double boucle piqué/double boucle piqué plafonnent à +3. Le triple twist, de niveau trois, fait monter le curseur. Cinq fois 0 et +1, +2, +3 et même +4 pour un triple lancé à la réception pourtant hésitante, et en légère sous-rotation. Le triple boucle lancé se solde par une longue chute glissée sur les fesses et le couple perd 2.50 points. Les portés sont élaborés et élégants, mais les pirouettes peu rapides [ils disent les trouver difficiles à exécuter, de même que les spirales], au contraire de leur patinage. Associé en 2016 et déjà champion du Monde Junior à Sofia, pour leur première participation l'an dernier le couple semble encore se chercher dans le nouvel univers des rangs seniors. Leur 5ème place, avec  d'autant plus méritoire, après avoir pris la 6ème du libre (120.03). A noter que les Autrichiens Ziegler/Kiefer, 7èmes la veille et très affectés par l'absence de leur coach décédé en décembre, ont choisi de déclarer forfait. Seuls neuf couples se sont donc classés dans cette épreuve. 

 

© S.I.G. - Sur place : Kate Royan



© S.I.G. - Myriam Cawston
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Ils ont dit...

 

Vanessa James et Morgan Ciprès : [Morgan] C'est un sentiment incroyable pour nous ce soir. Pas seulement parce que c'est une victoire historique [pour la France] mais parce qu'on va pouvoir l'apprécier pendant tout le reste de notre vie. Nous étions nerveux aujourd'hui, avant et pendant le programme. Nous connaissons Vlad [Morozov] et Evgenia [Taravsova] et de quoi ils sont capables, nous savions donc que nous allions devoir nous battre. Je suis fier de ces jeunes aussi [Boïkova/Kozlovskii] qui sont devenus un grand couple. Je me souviens leur avoir dit, au Skate Canada, qu'ils seraient sur le podium et voilà, ils y sont, félicitations ! [Au sujet de ce qui les a fait changer d'avis sur leur retraite annoncée] Nous ne regrettons vraiment pas notre décision ! Nous avons vraiment fait un début de saison formidable. Aujourd'hui est une réussite, mais ce n'est pas encore fini. En vrais athlètes, nous voulons encore plus, toujours plus. On va continuer. [Cf avoir entamé la compétition comme favoris et ce qu'ils ont appris par rapport à l'an dernier - où ils avaient finis 4ème après avoir été 1ers du court] Je ne m'en souviens même plus. Mais j'ai, en effet, beaucoup appris. Ce n'était pas facile aujourd'hui. J'ai mal dormi à cause du décalage horaire, ce qui m'a laissé encore plus de temps pour réfléchir. Nous avons vraiment beaucoup appris, avec les victoires mais aussi avec les défaites. Aujourd'hui on est montés sur la glace et on le voulait ce titre. L'an dernier, être premiers du court a été une vraie surprise. Ici nous étions parfaitement bien préparés.

 

[Vanessa] [Cf leurs portés créatifs] Nous avons beaucoup travaillé pendant l'été. En fait, j'ai travaillé pendant mon temps libre ! Je réfléchis beaucoup et je prends des notes sur tout ce qui me vient à l'esprit et qui est réalisable. Puis nous travaillons là-dessus avec nos coaches. Nous avons modifié un peu certains de ces portés au fil de la saison. On essaie de ne pas rester dans notre zone de confort. C'est un véritable travail d'équipe, nous avons d'excellents entraîneurs. C'est un travail en continu. 

 

Evgenia Tarasova et Vladimir Morozov : [Vladimir]  Nous avons fait aujourd'hui la même erreur que dans le programme court. Dans l'ensemble nous avons bien travaillé et nous avons passé notre premier saut d'excellente manière, de même que les sauts lancés et nous sommes très contents de notre prestation d'aujourd'hui. Seule ces deux erreurs, d'hier et aujourd'hui, ont été sanctionnées. Nous allons mieux nous préparer pour les championnats du monde afin d'éviter de les commettre de nouveau. On va travailler plus dur. Ne pas avoir eu la première place aujourd'hui ne nous fait pas perdre le titre que nous avons gagné l'an dernier. Il fait partie de notre histoire. Après tout, nous sommes plutôt contents de notre programme aujourd'hui malgré les erreurs. Nos portés étaient bons et nous étions rapides. On va poursuivre dans la même optique pour les championnats du Monde. 

 

Alexandra Boïkova et Dmitri Kozlovksi : [Dmitri] Nous sommes épuisés ! Physiquement et émotionnellement. C'est très étrange de participer à ses premiers championnats d'Europe et de se retrouver sur le podium. C'est génial. Nous nous sentions une responsabilité spéciale ici, les Russes sont toujours sur le podium ! Un de nos couples, Natalia Zabijako et Alexander Enbert n'ont pas pu participer à cause d'une blessure. Nous avons voulu être sur le podium pour eux. Et on est ravis d'avoir réussi. [Cf leur programme court] "Dark Eyes" (les Yeux Noirs) est évidemment un hit international et éternel. De nombreux patineurs se sont déjà produits sur cette musique, mais cette version jazzy, c'était la première fois que je l'entendais. Natalia Bestemianova [ancienne championne olympique de danse sur glace] nous l'a faite écoutée et avec son mari, Igor Bobrin [lui aussi ancien champion olympique] a monté le programme pour nous. C'était un processus créatif très intéressant, car le personnage est un peu différent du Gypsy d'origine. Je joue plutôt le rôle d'un aristocrate. J'ai une vie sympa et pas franchement de souci et je peux me permettre toutes sortes de plaisirs. Lors d'une soirée, je m'amuse et une jeune gitane s'intéresse à moi. Au contraire de l'histoire originale, c'est Sasha [Boïkoa] qui me séduit, et je n'offre pas trop de résistance !

 

[Alexandra] [Cf leur programme libre sur "Casse Noisette"] Il a été chorégraphié par Peter Tchernyshev [ancien danseur sur glace] et nous l'avons déjà patiné l'an dernier mais nous n'avions pas utilisé tout son potentiel. A présent il a mûri et je pense que Peter sera content de nous. C'est une interprétation classique. J'ai le rôle de Maria et Dmitri est le Prince. Nous interprétons la partie à la fin du ballet, lorsque Dmitri est devenu Pince et que tout va bien dans le meilleur des mondes, un conte de fées. 

 

© I.S.U. - Propos compilés par Tatjana Flade / Traduits de l'anglais par Kate Royan