Rions un peu... avec les coaches !


© Reuters- Lucy Nicholson
© Reuters- Lucy Nicholson


Les coaches... Ils sont derrière les barrières pendant les compétitions, sur les patins pendant les entraînements. Impassibles ou exubérants, discrets ou flamboyants, leur présence est souvent déterminante dans la carrière de leur élève. En grossissant un peu (beaucoup !) le trait, petit tour d'horizon non-exhaustif des différentes catégories de ces chers, et parfois redoutés, entraîneurs. Il se pourrait que toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé ne soit pas totalement fortuite...



 

© Jonathan Ferrey - Getty Images
© Jonathan Ferrey - Getty Images

1 - L'ancienne gloire recyclée

Il (ou elle) a un jour croulé sous les médailles. Ses étagères luisent de l'éclat de centaines de coupes, véritable magasin d'orfèvrerie. Tout ce métal a légèrement pris la poussière, son propriétaire a pris quelques rides, du ventre et perdu pas mal de cheveux. Il ou elle est indéboulonnable, son palmarès lui assurant le plein emploi bien au-delà de l'âge de la retraite. Sans trop s'avancer, on peut dire qu'il est souvent russe ; resté ou retourné au pays après quelques obligatoires incursions américaines ; divorcé plusieurs fois, de ses deux ou trois partenaires de glace ; régulièrement décoré d'un ordre important par quelque ministre qui l'est tout autant, avec qui il séjourne dans la datcha du président, chasse le cerf, joue au poker, taquine le goujon. Il concocte pour ses élèves des programmes solides, performants, dans lesquels on reconnaît instantanément la patte du maître. Il les construit exactement comme son propre entraîneur l'a fait pour lui,  du copier-coller, à vingt/vingt-cinq/trente ans d'intervalle. Mais ces créations-là ont la faveur des juges,  à qui elles rappellent une jeunesse dorée, et leur propre carrière quand ils en ont eu une. Avec l'ancienne gloire recyclée, on ne prend pas de risque, il a des appuis politiques dans tous les milieux importants, on sera raisonnablement classé. Il annonce sa retraite tous les ans, disparaît de temps en temps, puis refait surface tranquillement, flanqué d'un nouveau talent à exploiter. On l'aime pour son patriotisme acharné, son côté pince-sans-rire, son abominable mauvaise foi, et son incroyable longévité. 

 

2 - La nounou

Il ou elle (plus souvent elle, fibre maternelle oblige) est tout à la fois : entraîneur, secrétaire, infirmière, lingère, chorégraphe, confidente, mère de substitution, agent de voyage, couturière, chauffeur. Ses journées ont 30 heures, elle dort un oeil ouvert au cas où l'élève aurait soudain besoin de quelque chose en plein creux de la nuit. Le  fer à repasser d'une main, un manuel de Psychologie de l'autre, elle analyse les costumes, les faux plis, et aplatit les problèmes de ses protégés à la jeannette et la patte-mouille. Normal qu'elle mélange un peu tout à force de ne rien vouloir lâcher. Un coach n'est normalement ni nurse ni gourou. Elle s'en fout. Le petit, la petite, a, ont,  besoin d'elle. Tout le temps. D'ailleurs, elle a tout fait pour ça, assumer tous les rôles,  c'est s'assurer de leur dépendance. Elle les a repéré/es au berceau, elle est témoin à leur mariage, elle devient la marraine de leurs enfants. Elle confectionne ses programmes comme autant de petits plats,  de A à Z, avec des ingrédients bio maison, refusant toute aide extérieure.  Ce n'est pas Bocuse mais ça se laisse manger, c'est d'un classicisme de bon ton, beaucoup d'opéra (toujours les mêmes), des costumes velours et brillants, du pastel pour les filles, du noir pour les garçons. Ses élèves l'adorent, même s'ils manque d'air, ils sont moyens à bons et , à part quelques exceptions, plafonnent généralement entre le 15ème et le 10ème rang. Ce qui convient très bien à notre nounou, ses oisillons ayant ainsi moins de chance de s'envoler de son giron. 

 

© Steve Russell
© Steve Russell

 

3 - Le VRP multicartes

Il mange à tous les râteliers. Il entraîne dans toutes les disciplines, des patineurs de toutes les nationalités. Il s'exporte, s'importe, se porte toujours bien, s'installe, se désinstalle, entraînant son cheptel à sa suite. Les roulettes de sa valise sont à plat en trois mois, usées par les tapis d'hôtels et les couloirs d'aéroport. C'est simple, sa valise, il vit dedans. Obligés de faire de même, ses élèves se lassent rapidement de cette vie nomade, d'autant plus qu'elle nuit généralement très vite à leur état de forme. Mais notre  VRP vit pour son job, il est dedans à fond, le nez dans le guidon, rien qui dépasse, qui m'aime ou non me suive, poussez derrière, plus vite devant.  Pas de syndrome DSK pour lui, s'il couche avec ses élèves, c'est par esprit pratique, par logique, il ne voit aucune autre femme,  et,  pour être entraîneur, voyez,  on n'en est pas moins homme. De plus ces demoiselles et dames le trouvent tout à fait charmant. Ou se servent de lui pour avancer dans le classement. Il entraîne également des hommes, avec qui il échange de grandes accolades viriles, et des plaisanteries salaces entre deux twizzles, trois quadruples et d'assez bonnes places au niveau international. Mais, tellement pris par son truc, la tête dedans tout le temps, il monte les mêmes programmes à tout le monde, filles et garçons, danseurs et couples, tout du même moule, même saveur, VRP-food, Burger-on-Ice et Mac-Patin, on le reconnaît de loin. Ses élèves le quittent pour plus d'originalité, plus de calme,  et un brin de stabilité géographique. Ou pour un partenaire plus jeune et plus fun. Mais, chaque année,  un flot continu de petits nouveaux vient refourbir les rangs de sa chaîne de production. Le VRP multicartes n'a pas, pour l'instant,  de souci à se faire pour sa petite entreprise qui ne connaît pas (encore) la crise !

© Getty Images
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4 - Le bon copain

Il vient d'arrêter sa carrière de compétiteur, il est à peine plus âgé que ses poulains. Roi du selfie dans le Kiss & Cry, débarrassé de la pression, pas encore vraiment prêt à la revivre par procuration, il tente maladroitement de profiter de sa liberté nouvelle. Le soir, accroché au bar de la patinoire, il porte un t-shirt au dos duquel est brodé : "Si vous pouvez lire ce texte, remettez-moi à l'endroit sur mon tabouret". On le croise dans les ascenseurs, en pleine nuit, passablement alcoolisé, en train de chanter, encadré d'élèves embarrassés, qui se chargent d'aller le coucher. Pendant les heures de travail, complètement transformé, sobre comme un chameau, matheux à lunettes et apprenti-sorcier, il ne jure que par la très haute technologie : ces élèves sont équipés de centaines de capteurs reliés à 8 ordinateurs qui mesurent au nano-millimètre-poussière le moindre frémissement de leurs lames.  A fond dans le feng-shui, il a tenté de faire modifier la patinoire d'entraînement dont les flux visibles et invisibles se contrariaient impitoyablement. Surtout pas de coins ni d'angles saillants ! "Oui, euh, comment on fait pour les patins ?" Il ne se fâche jamais, n'élève jamais la voix. Dit : "s'il te plaît, peux-tu te concentrer un peu mieux sur ton triple axel" ; et non pas : "ça fait vingt fois que tu te croûtes, bordel !" Justement, quand, en compétition,  son élève se vautre, il en endosse la responsabilité avec avidité, se maudit, se fustige et c'est lui, l'entraîneur, qui s'excuse, devant le public, les juges, la presse, le monde entier. Ses programmes se patinent sur du rap, de la techno, du hardstyle, de la trance, de la house, de l'electro, nothing left, Goa, Dirth South, DJ Mix, new hip hop-RnB,  voire du Reggae-Fusion. Le tout truffé de difficultés techniques insurmontables mais qui rapporteraient tellement de points, calculette à la main. Ses élèves, généralement talentueux à fort potentiel, patinent plutôt bien, mais très souvent parterre, cf les difficultés pré-citées. Dépoussiérer le patinage, séduire un public jeune, assurer l'avenir de la discipline, créer de nouveaux concepts, ne pas se prendre la tête, être un entraîneur cool, le bon copain porte tout sur ses épaules et c'est d'un lourd si vous saviez, pas étonnant que le soir, il ait besoin de se défouler  !

 

5 - La Reine Mère

Nationaux, européens, du monde, olympiques, elle a élevé une armada énorme de champions,  à grands coups de pieds dans l'arrière-train et à grands bols de soupe aux champignons. Elle fait des médaillés comme d'autres font du dessin. On l'entend à des kilomètres, car elle ne parle pas, elle hurle. Elle détient, depuis plus de trente ans, le record mondial du plus grand nombre de jurons éructés au cours d'un même programme libre. Elle n'a pas d'âge, est couverte de fourrures et de châles chamarrés, le brushing au cordeau, la bouclette impeccable et sa silhouette replète tient debout par miracle sur des talons aiguilles de 15 cm. Elle insulte ses élèves, puis les étouffe de câlins. Ou l'inverse. Ou les deux en même temps. A chaque programme de ses recrues, hystérique et intenable,  elle rugit, fulmine, exulte, frise l'infarctus et la rupture d'anévrisme. Enfin non, c'est pour le fun, pour la galerie, cette formidable comédienne est en acier trempé, entretenue à grandes rasades d'alcools serrés et de clopes grillées en douce, loin des détecteurs de fumée. Elle est insupportable, adorée, terrorisante, redoutée, révérée. Quelques-uns de ses programmes ont été des chefs-d'oeuvre, parfaitement adaptés à la personnalité exceptionnelle de leurs exécutants. Car elle n'entraîne que les cracks, les surdoués, les pur-sangs. Elle crie bien fort que le monde du patinage ne serait rien sans elle et elle n'a a pas tout à fait tort. Sans elle, certaines grandes heures n'auraient jamais eu lieu, certains grands patineurs n'auraient jamais percé, certains programmes marquants n'auraient jamais vu le jour. Il faut le reconnaître, souvent copiée, jamais égalée, elle est géniale, incroyable, superlative, phénoménale. Une légende !

 

© Alexander Demianschuk - Reuters
© Alexander Demianschuk - Reuters

 

 

6 - L'iceberg

Sa posture, droite et figée le long des barrières, évoque irrésistiblement la présence d'un ustensile de ménage bien connu à l'endroit le plus privé de son anatomie. Il était moins rigide dans sa période avant-balai, du temps où il patinait, mais il n'était guère plus liant. La dernière fois qu'on l'a vu sourire, il avait environ 15 ans. C'était totalement involontaire, un accident. Quels que soient les résultats de ses élèves, il garde un masque de cire et le regard blasé du mort-vivant. C'est qu'il ne rigole pas l'iceberg. Jamais. De temps à autre, il lâche une ignoble vacherie, contre un de ses anciens élèves. Ou contre un des actuels, humilier, selon lui, ça motive. Ou encore contre un de ses homologues qu'il ne peut pas sentir. Animosité mutuelle, personne ne peut le voir non plus. Arrogant, imbuvable, il cultive à plaisir son image rébarbative, se comparant volontiers à un ours polaire, ce qui est très injuste pour ces animaux magnifiques. Ses poulains, élevés à la schlague, partagent un air de chien battu mais facilement méchant, le front bas, l'oeil torve, le rictus méprisant. En conférences de presse, derrière les barrières, dans les vestiaires, ils provoquent leurs adversaires, ricanent en les défiant, pendant que l'iceberg, bras croisés au fond de la salle, approuve, en bougeant imperceptiblement le menton, signe d'une intense jubilation. Dans le Kiss and Cry, il s'ennuie et soupire, son long nez en l'air. Quelles que soient les notes obtenues, ses élèves sont les meilleurs, dignes successeurs de Dieu-le-Père,  et les juges sont des cons. D'ailleurs il n'hésite pas à le leur dire. Aux juges. Pas à ses élèves. Ses élèves, il ne leur parle pas, il les fait patiner puis il les vire. Il a une réputation à tenir.

 

7 - La diva

Comme la Reine-Mère, elle porte animaux morts et Louboutin. Par contre, si elle n'est plus toute jeune,  elle est encore très loin de la notoriété et du palmarès faramineux de sa glorieuse aînée. De son sac Hermès ou Vuitton,  dépasse la tête d'un Yorkshire (vivant). Elle a le cheveu long et lisse, d'un beau rouge Tour Infernale. Ongles assortis et menaçants. Le teint est orange vif, les lèvres confiture de quetsches. Si, dans un moment de black-out total, on la ratait niveau visuel, olfactivement parlant, c'est une impossibilité majeure.  Parfum lourd et violent, qui vous attaque les sinus dès qu'on aborde son périmètre, même de très loin. On suffoque tandis qu'elle embaume, ses talons rouges plantés dans la moquette, la frange épaisse en rideau de fer juste au ras des faux-cils. Elle parle peu, sourit d'un air absent, toujours sur la réserve. Pas question de brasser de l'air, de faire du bruit comme la Reine-Mère, ce serait vulgaire. Là où son aînée flamboie, explose, s'amuse, la diva est sèche comme un coup de trique, autoritaire comme un général d'armée, sympa comme une porte de prison. Les programmes qu'elle fabrique, dans le plus grand secret de son antre de sorcière,  jamais révélés avant la première compétition de la saison, sont d'une sobriété inégalée. C'est à dire qu'ils sont lisses,  froids, sans recherche culturelle, et d'une grande indigence chorégraphique. Mais ardus techniquement, ils rapportent des points, aussi indigestes à l'oeil que vaguement soporifiques. Tant pis, la diva ne doute de rien, surtout pas de sa capacité à détrôner ses illustres aînés, ce que, pourtant, elle n'est toujours pas arrivée à faire, bien qu'essayant  depuis des années. 

 

© Cameron Spencer  - Getty Images
© Cameron Spencer - Getty Images

 

 

8 - Le bourreau des coeurs

Patineur, il était premier au nounourssimètre. C'est lui qui récoltait le plus de cadeaux sur la glace après ses performances, qu'il ait tout réussi ou tout raté. Son meilleur atout : son physique. Jeune premier, oeil de velours, la crinière ample, le sourire carnassier, des hordes de jeunes fans surexcitées cachées dans les couloirs d'hôtel et derrière les pots de fleurs de halls d'entrée lui ont fait une réputation de tombeur. Il aborde aujourd'hui une quarantaine élégante, pas un kilo de trop, pas un cheveu de manquant. Il a posé pour des photos, reste gratuitement habillé par les plus grands, fait un peu de publicité. Quand il n'entraîne pas, il commente en live pour une grande chaîne, le sourire toujours enjôleur, l'humour juste ce qu'il faut de cynique. Il participe à Danse avec les Stars, d'abord en tant que concurrent, et maintenant le voilà juge.  Il a joué un petit rôle dans un film d'aventure, puis dans un épisode de série policière où il faisait le méchant. Il gratte sa guitare dans les bars chics de sa ville et pousse la chansonnette avec un assez joli filet de voix ma foi. Marié à une chanteuse, actrice, présentatrice TV, bref à une très jolie femme en pleine vue médiatique, ils ont deux ou trois enfants magnifiques avec lesquels ils posent gracieusement dans des journaux people ou de décoration. Car ils habitent une maison de rêve réalisée sur mesure par un architecte réputé. Au bord d'un lac gelé l'hiver, où toute cette joyeuse famille peut, bien sûr,  patiner. Notre héros a amassé du fric sur sa jolie gueule plutôt que sur son palmarès ou son métier d'entraîneur qu'il exerce en dilettante, à la demande, en consultant, mais pas tout le temps. Car justement, il n'a pas le temps. Il se produit encore dans des shows à l'américaine, énormes et désormais rares productions, où ses fans l'attendent,  pantelantes et la main sur le coeur, frissonnantes devant des figures auxquelles il a donné son nom. Dans dix ans il sera toujours aussi beau, aussi présent et important, symbole de réussite, il fera peut-être une carrière politique, animera une émission sportive et/ou sera président de sa fédération. C'est le rêve américain ou russe devant lequel les Européens se marrent, tout en se disant qu'eux aussi, ils auraient bien aimé l'avoir cette carrière dorée, et tant pis pour les médailles qui ne sont jamais venues avec.

© AP - Bernat Armangue
© AP - Bernat Armangue


En conclusion, que personne ne se méprenne, il ne s'agit,  dans cet article, que de rire un peu dans un monde difficile, exigeant, où l'on n'en a pas toujours l'occasion. Aucun des personnages décrits n'existe réellement. Les photos d'illustration ne correspondent pas non plus aux descriptions.  Elles n'ont été choisies que parce qu'elles étaient drôles. J'ai voulu assembler des morceaux, faire une sorte de collage, un patchwork,  à partir de traits de personnalités partagés par des gens différents. J'ai et j'aurai toujours le plus grand respect pour tous les coaches et pour les difficultés évidentes de leur profession. Elles feront d'ailleurs l'objet d'un prochain article, sérieux celui-ci. Alors qu'ils ne m'en veuillent pas de m'être un peu amusée à leurs dépends, avec cette caricature qui n'a rien de méchant !


14.01.2015 © Kate Royan