© S.I.G. Myriam Cawston
© S.I.G. Myriam Cawston

19 novembre

Gabriella et Guillaume au Clair de Lune

 

On peut donner une infinité de noms à la danse libre de Papadakis/Cizeron : tableau de maître, voyage initiatique, chef-d'oeuvre, moment d'éternité. On peut souligner qu'ils sont les premiers danseurs de l'histoire à passer la barrière des 120 points dans une danse libre, battant ainsi leur propre récent record. On peut ajouter qu'ils battent aussi,  et de nouveau,  le record du monde de points au classement général : 201.98. Que huit juges sur neuf leur ont accordé la note maximale de 10 en interprétation (et six sur neuf la même chose pour la performance). On peut dire et répéter que chaque note de musique semble sortir directement de leurs gestes, de leurs corps, des lames de leur patins, comme s'ils écrivaient leur propre partition directement sur la glace. Qu'ils marquent à tout jamais l'histoire de la danse sur glace. Parce que, depuis leur sortie des rangs juniors, c'est vrai. Mais le principal est de les voir. D'entendre. De ressentir. De réaliser, à posteriori, que pendant 4 minutes 30, votre coeur n'a battu qu'un coup sur deux et qu'au contraire d'être douloureux, c'était infiniment agréable. Régénérant. Addictif même.  Qu'il n'y avait plus besoin de respirer,  parce qu'eux et la musique l'ont fait à votre place. Avec une simplicité et une sérénité qui ne seront jamais égalées. Il y a, dans leur Sonate au Clair de Lune, d'extraordinaires contrastes, douceur et violence, tendresse et souffrance, le ciel et la terre,  le tout exprimé dans la sobriété la plus naturelle, et la limpidité la plus absolue. On parle d'émotion, il faut en parler bien sûr, elle est omniprésente, énorme, palpitante, saisissante. Mais c'est une émotion renouvelée à chacune de leurs créations, qui provoque chaque fois en nous, quelque chose de subtilement différent mais de toujours aussi profond. On oublie sans le vouloir que tout n'a pas été parfait, qu'un niveau peut être amélioré (3 pour la Midline Step Sequence), que plusieurs passages sont largement patinés sur deux pieds  (ce que d'ailleurs, on ne voit pas, hypnotisés que nous sommes par la perfection qui se dégage de tout le reste), autant de petites portes entrebâillées dont pourrait profiter la concurrence. Qui se résume à Virtue/Moir, mais il serait dangereux de vouloir ignorer qu'ils sont les autres "Dieux" de la danse sur glace. Les Jeux Olympiques, dans seulement deux mois, déjà,  seront un véritable combat de titans.

 

Difficile pour Madison Chock et Evan Bates de succéder aux Français dans l'ordre de passage, alors que le public est encore en pleine  standing ovation. J'ai un (petit) faible pour cette danse patinée sur "Imagine" de John Lennon, et pour le message qu'elle cherche à faire passer. Un peu d'espoir dans un monde (au sens large)  au mieux déprimant,  quand il ne marche pas carrément sur la tête. Vision idéaliste peut-être, mais néanmoins rassurante. Un déséquilibre d'Evan dans la deuxième série de twizzles va leur coûter un niveau, mais leurs séquences de pas sont très enlevées, très rapides, et leurs portés sont spectaculaires et élégants. Ils remportent la seconde place de la danse libre (108.30), et du classement général (181.85). Ce programme a encore une large marge de progression, il devrait arriver à maturité juste à temps pour la Finale du Grand Prix à laquelle ils sont dorénavant qualifiés. 

 

Deux versions de "Je suis Malade", les deux par Lara Fabian, et deux prestations totalement réussies et totalement différentes. A émotion égale, la douleur et la révolte pour Weaver/Poje, une mélancolie poignante et une subtile fragilité pour Abachkina/Thauron. Techniquement, les Canadiens ne sont que 3 points devant. Artistiquement les Français ne sont pas cher payés. Mais les premiers ont un nom, du métier, une réputation. Chaque chose viendra en son temps. La construction du programme de Kaitlyn et Andrew est d'une grande cohérence, la chorégraphie colle aux paroles de la chanson. Mais des niveaux inégaux (4 sur la circulaire, 2 sur la pirouette combinée, 3 sur la diagonale et le porté en ligne droite) ne leur permettent pas de doubler les Américains au classement. Et si on ajoute à cela les soucis rencontrés la veille... 3èmes de la danse libre pour quelques dixièmes de points (108.03) alors que je les imaginais battre assez largement Chock/Bates, Weaver/Poje échouent au pied du podium avec un total de 176.97. 

 

Ce sont les Russes Stepanova/Bukin qui repartent avec la médaille de bronze, une médaille en forme d'étoile,  à 177.24 points. S'il est intéressant et original de revisiter "Rêve d'Amour" de Franz Liszt, les deux parties chantées sont à la limite de la cruauté morale pour le public et les mélomanes. Heureusement, les deux danseurs sont bons, très bons même, et finissent 4èmes de la danse libre avec 107.22. Leur style n'est pas ma tasse de thé, mais je leur reconnais une grande aisance, de la fluidité, une technique sûre. Sur le plan purement chorégraphique, c'est une vraie réussite, l'ensemble est aérien, très proche du ballet classique. A noter la magnifique robe d'Alexandra, d'un beige rosé raffiné, ornée de perles discrètes et qui souligne sa plastique plus que parfaite.  

 

"Exogenesis Part III" de Muse serait-il la dernière scie à la mode ? Combien de fois l'avons-nous entendue depuis sa sortie,  et dans toutes les disciplines ? Le morceau symphonique est très beau et on devine la passion de son auteur pour des musiciens classico-romantiques comme Chopin ou Liszt. Mais il sera bientôt si usé dans les patinoires, au-delà de la trame, qu'on finira par voir le jour à travers. Guignard/Fabbri, qui ne cessent de progresser, à leur rythme, mais depuis des années, méritaient mieux. Les élèves de la flamboyante Barbara Fusar-Poli s'en tirent cependant bien grâce à une interprétation originale, une bonne couverture de la glace et une belle rapidité d'exécution. 101.28 les classent 5èmes du libre, et 171.01 leur donnent la même place au général. 

 

Angélique Abachkina et Louis Thauron les suivent au classement de la FD comme au classement final : 6èmes (95.74/155.55). Ils sont sans doute encore trop frais dans les rangs seniors pour que leurs notes s'envolent et les 15.51 points qui les séparent des Italiens semblent un brin sévères. Car leur interprétation de "Je suis Malade" (précédé de "Mariage d'Amour", excellent choix puisque les notes des deux mélodies se rejoignent) est, comme dit plus haut, extrêmement émouvante. Les deux patineurs ont dorénavant atteint un équilibre dans l'expression et la présence sur la glace. Angélique reste lumineuse, dans la tristesse comme dans la joie. Louis campe un danseur solide sur lequel elle peut s'appuyer. Le couple bénéficie encore d'une grande marge de progression technique (il faudra qu'Angélique pense à améliorer ses carres),  mais   les deux jeunes gens sont tout simplement bourrés de talent. Sensibles, ambitieux et intelligents, ils devraient très vite monter les échelons pour mener une longue et belle carrière. 

 

J'avoue avoir été très déçue par la prestation de Loboda/Drozd. Très prometteurs en catégorie junior, ils semblent soudain perdus au milieu de leurs aînés, comme s'ils avaient été lancés dans le grand bain trop tôt. Chorégraphie, quelle chorégraphie ? Pas un seul geste ne suit la bande originale de "Chicago". Les extraits choisis sont, de plus, beaucoup trop difficiles à patiner pour eux. Pavel est inexpressif, Alla au contraire en fait trop. Ils sont en permanence très loin l'un de l'autre, et dansent "à bout de bras" comme s'ils craignaient de se heurter ou de s'emmêler les jambes. Une prestation à 85.42 points, 9èmes du libre, et pas mieux au final avec 145.85.

 

Même si les Russes leur sont techniquement supérieurs, j'aurais aimé voir Lorenza Alessandrini et Pierre Souquet classés devant eux. Qu'on me passe l'expression mais artistiquement parlant, et niveau interprétation, entre les deux couples, il n'y a pas photo. Le thème, romantique et sensible, ( à commencer par la chanson de Aaron "Lili")  leur va comme un gant. Les portés sont techniques mais esthétiques. Déjà engagés dans plusieurs compétitions cette année, ils ont progressé rapidement et se sont joliment approprié le programme. Mais la technique pêche encore, en témoignent les GOE très bas, et les composantes restent faibles. Dommage car leur patinage est plaisant à voir et ce programme les met vraiment en valeur. Ils terminent 10ème des deux classements (80.21/134.28). 

 

Les Polonais Kaliszek/Spodyriev sont 8èmes (89.19/147.77) avec un "Great Gatsby" qui ne laissera pas un souvenir impérissable. Trop de changements musicaux, des patineurs un peu patauds, on ne les sent pas convaincus par ce qu'ils font et on peut les comprendre car l'ensemble n'a pas de liant ni de cohérence. Pogrebinski/Benoit sont un rang plus haut (93.50/154.14) dans un programme beaucoup mieux conçu sur "Desire". Igor Shpilband et Fabian Bourzat, aidés du chorégraphe Rohene Ward, ont su exploiter leur capacité à utiliser l'espace et leur grande taille (il mesure 1m88, et elle 1m74) qui donne une amplitude naturelle à tous leurs mouvements. 

 

© S.I.G., sur place : Kate Royan