Trophée Bompard 2014 - 2ème jour (suite)

Danse Libre - Concerto pour libre d'exception


Comment décrire l'aérien, l'indicible ? Ce soir, il fallait être là, à la patinoire Mériadeck. Il fallait voir. Et ressentir.

 

D'abord il y a le programme...

 

Dès la première seconde, Papadakis/Cizeron vous envoûtent par leur simple façon de bouger, totalement habités par leur musique. Elle semble émaner de leurs corps, y pénétrer, les modeler, les caresser, les blesser, recommencer. Chaque mouvement, chaque plein, chaque délié,  épousent la mélodie avec une précision captivante. Une véritable aura d'émotion les berce et les enveloppe. Depuis combien de temps n'avons-nous pas vu une danse sur glace de cette qualité, ainsi façonnée, véritable travail d'orfèvre ! Et exécutée avec une telle sensibilité, un tel talent. Certains danseurs patinent avec leur sang, avec leurs tripes, Gabriella et Guillaume patinent avant tout avec leur âme. S'approprier Mozart, à 19 et 20 ans, en faire un tel moment de grâce... Elle, les cheveux dénoués, tour à tour, sensuelle, vulnérable, blessée ou joyeuse, fière et forte, a la silhouette éthérée d'une elfe, et le regard sombre et brillant d'une héroïne romantique. Lui, est tout simplement magnifique, symbole d'élégance et de distinction masculine, totalement en synergie avec sa partenaire et très certainement l'un des meilleurs danseurs sur glace de tout les temps. Profondeur des carres, fluidité incroyable, légèreté exemplaire, toutes les facettes de leur talent sont exploitées à fond et renouent enfin avec la véritable nature de la danse sur glace. La douceur et l'émotion qui émanent d'eux vous prend aux tripes, papillons dans l'estomac, jambes en coton, les yeux qui piquent... C'est d'une tendresse extrême et aussi  très violent. C'est à la fois impalpable et physique, animal. Puis le chrono s'arrête...

 

Et il y a la réaction du public...

 

Mais avant, il y a ce tout petit instant, une poussière de seconde, où le public tout entier, connaisseurs comme néophytes, loupe un battement de coeur et une inspiration. Un blanc infinitésimal entre la dernière note de musique, le dernier geste des patineurs et l'élan irrépressible qui pousse d'un coup tout le monde debout. Bouche bée devant ce qu'on vient de vivre, ce qu'on n'a pas encore tout à fait digéré ni compris, minuscule intervalle pendant lequel on assimile enfin la claque qu'on vient de prendre. De celles qui font tellement de bien qu'on ne va plus cesser d'en redemander ! On se lève pour dire merci, parce qu'on vient de voir quelque chose de grand, la clameur monte dans la patinoire, et là aussi c'est violent, prenant. C'est un moment rare, grâce à un programme rare, une danse libre qui mériterait d'aller aux Jeux Olympiques chercher l'ultime consécration. On parle d'éclosion de Papadakis/Cizeron, pas attendus si tôt, c'est vrai. Je préfère le terme d'explosion, parce que c'est ce qui s'est passé ce soir, explosion de talent, celui des patineurs mais aussi de leurs entraîneurs et chorégraphe, explosion des applaudissements, explosion des sentiments, explosion du carcan dans lequel la danse sur glace moisissait depuis trop longtemps.

 

Derrière Papadakis/Cizeron, dont le score sera amputé de deux points pour portés trop longs, on retrouve la classement de la danse courte, à savoir les Canadiens Gilles/Poirier, avec un libre techniquement bon mais sans grande personnalité ; et les Américains Hubbel/Donohue, plus inventifs mais aussi très brouillons. Mention bien aux Espagnols Hurtado/Diaz, dont le programme libre bien construit, manque néanmoins d'intensité.




Libre hommes : celui que l'on n'attendait pas.


Sixième du court, après une prestation franchement loupée, Kovtun aligne un quad salchow, un quad boucle piquée, six triples dont une combinaison 3/3 et deux triples axels. De quoi monter dans les tours comme dans les points. Mais Exogenesis de Muse mérite sans doute une meilleure interprétation et une chorégraphie plus soignée. Le patineur est figé, peu expressif, tout à sa technique. Son potentiel est néanmoins évident, il a (presque) tout pour devenir un grand. 


On pensait que la victoire se jouerait entre Machida et Ten, mais le premier commet de nombreuses erreurs (entre autres, chute sur le quad, seconde tentative passée en triple ; et le second offre une prestation de la même facture : chute sur le deuxième quad, 2 triples axels avortés. Son avance prise lors du court lui offre quand même la troisième marche du podium. 


Menshov et sa musique au violon acide, véritable supplice pour les oreilles, terminent quatrième, après un libre pas plus réussi que celui de ses concurrents. Jolie combinaison quad-triple, mais de gros problèmes sur l'axel et un programme décousu. Le premier Français, Chafik Besseghier est 9ème après un programme pourtant démarré en trombe : quadruple boucle piquée et combinaison quad-triple. Une chute sur le triple axel, un triple lutz avorté viennent rapidement assombrir l'horizon. Point très positif : le  programme est techniquement ambitieux. Mais il est physiquement très exigeant et difficile à "tenir" sur 4 minutes 30. Florent Amodio termine 10ème et dernier. Entrée de programme magnifique avec un quadruple salchow. Puis... le néant sidéral. Erreur à chaque difficulté technique, le sentiment qu'il perd toute concentration et cesse immédiatement de se battre. Il y a beaucoup de travail en perspective, aussi bien physique que moral, avant de retrouver le Florent, talentueux et flamboyant, d'il y a quelques saisons.

Photos © Benjamin Noël