Anne-Marie raconte...

Un homme, un programme...

"L'Homme au Masque de Fer" 2002 restera inoubliable pour sa charge émotionnelle et pour ce que cela représentait pour la carrière d'Alexei Yagudin. Parce que c'était la seule issue concevable à un destin unique et pour ce qu'en espéraient ses fans. Les larmes du Kiss and Cry ne me semblaient pas feintes, je les ai partagées et j'ai regardé Tarassova l'étouffer dans son manteau de fourrure avec une tendresse amusée.

 

Overcome, l'exhibition des JO qui a suivi, était émouvante par sa sobriété et j'y ai bien reçu le message fort du champion qui arrêtait sa carrière amateur. Mais il y a un programme qui m'a marquée particulièrement parce qu'il venait à un moment de doute.. .Les Championnats du Monde 2001 après la défaite aux Europe et avant les Jo de 2002.

 

CE PROGRAMME COURT définit la rage de vaincre. Alexeï n'avait pas des sauts dont la propreté était à montrer dans les écoles de patinage, mais sa puissance éclipsait tout et traversait l'écran de télé. Yagudin a été celui qui m'a transmis le plus d'énergie. Elle était palpable, il la transpirait par toutes les pores de son corps et je ressortais du visionnage de ses programmes, comme survitaminée.

 

Dans ce programme court (et surtout dans la dernière minute), il se bat sur tous les sauts, sur tous les pas, on le sent peiner et vaincre. On sent sa rage et sa fierté et en le regardant, j'étais vainqueur avec lui.  Il n'y avait rien du patinage aseptisé que l'on connaît aujourd'hui, il y avait sa passion, tout son engagement et son orgueil. J'y ai puisé des forces et lorsque je le regarde à nouveau, j'ai toujours les mêmes sensations.

 

Il était court, ce programme court, il n'est pas le plus connu , ni le plus parfait, ni celui auquel on pense quand on dit "Yag", mais d'une intensité telle qu'il fait partie de ceux que je n'oublierai pas de si tôt ! 



Avril 2014

 

LE couple russe parmi les couples russes...

 

On ne présente plus Ekaterina Gordeeva et Sergueï Grinkov. Doubles Champions d'Europe, quadruples Champions du Monde et doubles champions olympiques. Ces deux-là ont été le couple le plus acclamé de leur époque. Partenaires sur la glace comme dans la vie, ils resteront dans ma mémoire pour ce patinage tellement synchronisé (d'ailleurs, je n'imaginais pas qu'ils puissent ne pas l'être, çà aurait été un non-sens), cette complicité et ces regards empreints de tendresse, attitude certes, peut-être volontairement appuyée, car bien qu'en admiration, je ne suis pas totalement naïve ; mais tous ces détails me touchaient par leur romantisme. Les voir évoluer était magique ; leurs programmes n'étaient que grâce, élégance, harmonie et émotion.


Pour la saison 1993/1994, qui verra leur retour sur la glace en vue des Jeux de Lillehammer, ils choisissent pour leur programme libre la «Sonate au clair de lune » de Beethoven. Leurs tuniques identiques bleu marine ornées d'un liseret blanc qui descend le long de leur poitrine, ces tenues assorties semblent là comme pour souligner que l'un est le prolongement de l'autre.

Certes, ils furent à nouveau champions olympiques, mais je retiens plutôt leur libre des Championnats d'Europe

Aux JO, Sergueï fera un retourné qu'il se reprochera longtemps et il ne fut pas satisfait de ne pas être un champion olympique irréprochable. Dans ce libre plein de vitesse, de merveilleux sauts, de pirouettes toujours aussi synchros, chaque geste est en duo parfait.  Le passage lent met Ekaterina en valeur, un bijou juste entaché d'une réception d'un double axel sur deux pieds qu'on lui pardonnera vite. Les portés étaient, bien sûr, plus simples qu'aujourd'hui, mais nets et légers, elle volait dans ses bras. La dernière minute me scotche sur la musique qui se fait plus prenante, plus forte, sur une série de 3 sauts copiés-collés. Délicatesse, synchronisation (encore), ils ne font qu'un.


Le piano leur va si bien.. La fin brutale sur la dernière note qui les fait se rapprocher dans une sorte de communion tombe à pic. Cette «Sonate au Clair de Lune» est émouvante, d'autant plus lorsque l'on sait qu'ils étaient presque au crépuscule de leur vie à deux. Kurt Browning a dit d'eux que le seul défaut de leur programme libre fut qu'il soit trop court.


Ils étaient beaux, heureux et le temps qui leur a été accordé ne fait que renforcer la fragilité de leur bonheur, comme celle apparente d'Ekaterina. Leur carrière sur la glace fut un roman digne des grands auteurs russes. J'ai appris la mort de Sergueï un vilain matin, au lever...et je suis restée incrédule, tant ils me paraissaient éternels. Ils le restent.

Photo © Gordeeva/Grinkov - Lillehammer 1996
Photo © Gordeeva/Grinkov - Lillehammer 1996