Championnats d'Europe - Programme court messieurs


Adam Siao Him Fa


 

Si Adam Siao Him Fa s'est montré fébrile lors des entraînements officiels, il semble plus solide aujourd'hui. Le programme démarre pourtant sous de moyens auspices, pour ne pas dire mauvais, avec les deux mains posées sur la glace à la réception du quadruple Lutz. Il perd un bon bol de points en route, mais Adam assure parfaitement la suite : triple Axel, combinaison quad boucle piqué atterri trop bas pour l'enchaîner avec un triple, ce sera donc un double ; niveaux 4 pour les pirouettes et la séquence de pas. Avec 94,13 points, il prend la tête sans problème, même s'il est assez loin de son Season Best (101,07 mais avec l'inflation géographique du Grand Prix de France). Il est plus facile de devenir champion d'Europe que de le rester, la pression est toute autre. Compte tenu de ce paramètre, c'est un très bon programme qu'il a réalisé aujourd'hui.

 

Lukas Britschgi

 

Entraîné par l'ancien patineur est-allemand Michael Huth, le Suisse Lukas Britschgi n'a sans doute pas fini de nous étonner. Médaillé de bronze en outsider l'an dernier à Espoo, le voici de nouveau en lice pour le podium. Et en seconde place s'il vous plaît (91.17). Ce n'est plus une surprise, on le connaît à présent, il est de nouveau attendu dans le trio de tête et il précise en conférence de presse qu'il compte bien y figurer !  Son programme court, sur "I'm in the Mood for Love" de John Lee Hooker et "Superstition" de Stevie Wonder est l'un des plus agréables à regarder de la soirée, entraînant, pétillant, et exécuté par un patineur enthousiaste. L'impression qui s'en dégage n'en reste pas moins plus "show" que compétition. Le côté technique est pourtant assuré et propre : quadruple boucle piqué/triple boucle piqué ; un triple Axel d'une aisance déconcertante ; triple Lutz ; pirouettes et séquence de pas de niveau 4. Il suffirait d'y ajouter une vraie chorégraphie et des transitions pour en faire une petite bombe.

 

Aleksandr Selevko - © I.S.U.

 

La surprise du jour, la voici : Aleksandr Selevko, venu en voisin depuis Tallinn en Estonie, est provisoirement 3ème avec 90.05 et une prestation nette et sans bavure. Absent de ces championnats l'an dernier car battu aux sélections par son propre frère cadet Mikhail (qui échoue au 30ème rang aujourd'hui), on ne l'avait pas revu aux Europe depuis 2020 (16ème). Mais Aleksandr a réussi un très bon début de saison : 3ème en Challenger Serie en Finlande et à Zagreb, 5ème à Budapest. Sur "Egyptian Track Mix" de Badass et Dandy, il égrène quad boucle piqué, triple Axel, triple Lutz/triple boucle piqué avec bonus,  deux pirouettes de niveau 3 et une très jolie séquence de pas niveau 4. Ses GOEs sont très proches de celles de Britschgi : 49,61 contre 49,79, ce qui promet un beau duel vendredi. 

 

On attend Matteo Rizzo (bien qu'il soit blessé à la hanche et en attente de chirurgie) et c'est son compatriote Gabriele Frangipani qui s'empare du 4ème score de la soirée (83.51). Il entame son programme sur "Keeping Me Alive" de Jonathan Roy par un quad boucle piqué/triple boucle piqué assorti d'une spectaculaire entrée en grand aigle. Il rattrape de justesse un triple Salchow au ras de la chute, puis passe sans souci son triple Axel. Ses pirouettes sont extrêmement rapides et très originales. Gabriele a une excellente présence sur la glace et une vraie personnalité. Toutefois, il manque encore de fiabilité technique. 

 

J'ai toujours eu un faible pour la sensibilité artistique de Deniss Vasiljevs, mais la technique semble lui faire défaut de plus en plus souvent. Déjà qu'elle n'a jamais été au top... C'est dommage car Deniss avait tout au départ pour devenir un patineur d'exception. Je dis "avait" car il est clairement en stagnation et depuis beaucoup trop longtemps. Si Deniss est presque toujours dans le top 10 européen depuis des lustres, et même médaillé de bronze en 2022, il flirte régulièrement avec le plus haut niveau sans conclure. Si j'ose dire... Il a choisi pour thème une très belle version du célèbre "Hallelujah" de Leonard Cohen interprété par la voix remarquable de Thomas Feiner, un thème qui lui sied. Son quad Salchow est encore et toujours en sous rotation (il me semble même l'avoir vu l'atterrir sur deux pieds). Même chose pour un triple boucle piqué combiné à un triple Lutz. Seul le triple Axel est solide. Il perd des points précieux et se retrouve logiquement (et comme très souvent) avec des composantes supérieures à ses GOEs. Il est pour l'instant 5ème.

 

Matteo Rizzo a recyclé un de ses anciens programmes longs en version courte au son de "Two Men in Love" de The Irrepressibles. La chanson est superbe et Matteo a suffisamment de fibre artistique pour l'interpréter. Certainement à cause de sa blessure, il est aujourd'hui plus pâle au niveau de l'exécution et il souffre sur son premier élément technique : double boucle piqué d'entrée de programme en lieu et place d'un quadruple = saut invalidé. Il se reprend très vite avec triple Lutz/triple boucle piqué et triple Axel. Le tenant de la médaille d'argent de l'an dernier est 6ème avec 80.43. Il se risque à dire tout haut que "dix points, ça se rattrape sans problème". Non seulement cela reste à prouver, surtout avec une hanche qui s'effrite, mais il n'est peut-être pas nécessaire d'entrer au bloc opératoire dans quelques jours avec de la poussière à la place des ligaments et des os. 

 

Luc Economidès fait une entrée fracassante dans les rangs européens avec une superbe 7ème place (78.59). Son triple Axel est assuré, sont triple flip l'est encore plus. Il récupère un triple Lutz dangereusement incliné vers l'avant à la force des muscles et avec un sang froid parfait pour le combiner à un triple boucle piqué nickel. Pirouettes de niveau 3, séquence de pas de niveau 4, c'est du très bon travail. Le thème choisi, "Selah" de Kanye West, chorégraphié par son coach Florent Amodio, dépoussière carrément les habitudes du patinage et lui convient parfaitement. Après avoir longtemps été une sorte de Florent cloné, Luc a trouvé sa personnalité et rayonne sur la glace. Ma pensée à la fin de sa prestation est prosaïque mais spontanée même si le vocabulaire n'est plus de mon âge: woaw, il gère !! Je suis impatiente de le voir vendredi dans le programme libre.

 

Je n'épiloguerai pas sur la prestation de Kevin Aymoz, perdu sur la glace et à la 31ème place du classement. Mais... Il semble clair qu'il n'était pas en état psychologique de participer. Pourquoi l'avoir sélectionné ? L'opération était mentalement dangereuse et il ne peut que s'être enfoncé dans son mal-être. Après tout ce qu'il a apporté au patinage mondial, où il laissera une trace indélébile, depuis ces choix musicaux audacieux et novateurs, à de nouvelles figures inédites copiées par le monde entier - et on ne copie que l'excellence - en passant par son extraordinaire aptitude à transmettre l'émotion et sa sensibilité d'écorché vif, il mérite mieux que le calvaire qu'il vit sur la glace depuis la Finale du Grand Prix. Il serait peut-être temps que le sport français en général se penche sur la santé mentale de ses athlètes avec un peu plus d'empathie et agisse afin de la préserver. 

 


Kate Royan - Skate Info Glace