Interview Maé-Bérénice Méité

28 Octobre 2023


 

Maé-Bérénice Méité s’est classée douzième du Skate Canada. Nous l’avons rencontrée pour évoquer son retour à la compétition et ses projets.

 

Solène : Comment avez-vous abordé ce Skate Canada ?

Maé : Ma participation n'était pas prévue initialement, j’ai été invitée en cours de saison à la suite du forfait de Nicole Schott, et c'est une opportunité que j'ai saisie. Je suis consciente de ne pas être encore au niveau où je souhaite être, en raison d'un début de saison assez complexe. Néanmoins, je voulais profiter pleinement de cette chance. J’étais ravie d’être invitée ! J'avais déjà participé au Skate America, aux Grands Prix de France et de Russie et au NHK Trophy, mais c’était mon tout premier Skate Canada.

 

Solène : Quel est votre bilan de la compétition ?

Maé : Lors du programme court, j'étais très déçue de ma performance. Mes entraînements et l'échauffement s'étaient plutôt bien passés pourtant. J'ai été déboussolée sur l'Axel. J'étais surprise de ma chute sur le boucle surtout que je me sentais bien dessus. Sur le Lutz, j'ai eu un moment d'hésitation qui m'a coûté cher mais j'ai essayé de vivre le programme jusqu'au bout. Le programme libre a été à nouveau un véritable défi mentalement. J'ai tenté la plupart des éléments mais il me reste encore beaucoup de travail à faire. Évidemment, c'est difficile, mais je savais que ça allait l’être. Je prends les choses étape par étape et je continue d'avancer.

 

Solène : Quels étaient vos objectifs pour cette compétition ?

Maé : En termes de points, je n’avais pas d'objectif spécifique pour le moment, car techniquement, je ne réalise pas tout ce que j'aimerais. Cependant, en ce qui concerne la performance, je voulais vivre mes programmes et mettre en avant le travail chorégraphique que nous avons effectué. Quand la technique n'est pas au rendez-vous, il est facile d'oublier l'importance de la chorégraphie et de l'interprétation. Je travaille quotidiennement sur cet aspect et je souhaitais pouvoir le montrer. Je souhaite éviter toute forme de retenue, partager du plaisir avec le public et surtout en prendre moi-même.

 

Solène : Vous avez eu plusieurs blessures ces derniers temps, comment allez-vous ?

Maé : La saison dernière se déroulait plutôt bien, surtout lors du Grand Prix de France avec une huitième place, mais j'ai développé ensuite un œdème osseux. J'ai tenu bon pour les Championnats de France, puis j'ai réalisé qu'il fallait que je prenne du temps pour me soigner. Nous avons tenté de guérir la blessure pour obtenir une qualification aux championnats du monde, mais le temps a manqué. Psychologiquement, c'était difficile. Je pensais revenir uniquement pour moi, mais je me suis rendu compte que je voulais aussi prouver quelque chose. Nombreux étaient ceux qui doutaient de mon retour, surtout après ma rupture du tendon d'Achille en mars 2021. Je suis une compétitrice et je veux prouver que je peux revenir. De mars 2023 jusqu'à juin, j'ai complètement arrêté l’entraînement. J'ai passé du temps chez mes parents et me suis ressourcée, tant physiquement qu'émotionnellement. Je me suis également concentrée sur d'autres projets qui ne nécessitaient pas d'activité physique. Cette pause était nécessaire pour mon bien-être psychologique et pour soigner ma blessure correctement. Après ces quatre mois sans entraînement, le retour a été difficile, mais cela m'a aussi donné l'opportunité de soigner ma blessure plus en profondeur. Maintenant, nous travaillons sur le renforcement musculaire et la réhabilitation du tendon. C'est un processus qui prendra du temps, mais qui ne m'empêche pas de patiner et de m'entraîner.

  

 

Solène : Avant les Masters, vous avez publié un message sur les réseaux sociaux en partageant votre ressenti. Pouvez-vous nous en parler ?

Maé : Je savais que je n'étais pas prête pour les Masters. Après quatre mois sans patinage, j'avais repris l'entraînement depuis à peine un mois. Sachant cela, j’étais relativement satisfaite de ma performance aux Masters, mais plus la compétition approchait, plus je me questionnais. Je sais comment notre sport fonctionne : consciemment ou inconsciemment, nous sommes jugés. Et à 29 ans, certains pourraient se dire que je devrais prendre ma retraite. Mais j'avais un message à faire passer : je sais que je ne suis pas à mon meilleur niveau, mais il y a une raison à cela. Je sais pourquoi je le fais et il y a un cheminement. Ne me trouvez pas d’excuse, mais sachez d’où je viens. Je voulais aussi créer une barrière de protection pour moi et me mettre dans ma bulle. En tant qu'athlète, nous avons tendance à être nos propres pires critiques. Je ne voulais pas laisser les pensées négatives ou destructrices m'atteindre. Souvent, nous gardons nos tempêtes intérieures pour nous-mêmes. Nous devons toujours projeter une image d'excellence. C’est dur de savoir que je ne suis pas prête et que je me présente sur la glace, dans un sport de jugement. Cette année, et dans les saisons à venir, je souhaite être plus vulnérable. Et pour cela, je dois accepter la situation telle qu'elle est. Je veux partager ce cheminement et montrer la réalité d’un sportif de haut niveau. Ce n'est pas toujours des victoires ou des moments de rédemption. Montrer ce cheminement, avec ses hauts et ses bas, peut être tout aussi beau. Je veux que le public voit ce à quoi ressemble le début d’une saison quand on n’est pas prêt, quand il y a des larmes, des doutes, et des remises en question.

 

Solène : Le public vous soutient également.

Maé : Oui, je vois et entends leur soutien. Je me fixe des objectifs tellement élevés que, quand je n'arrive pas à les atteindre, j’ai le sentiment d’avoir déçu tout le monde. Je dois me souvenir que le public est là pour me soutenir parce qu'ils m'apprécient et pas parce que j’ai réussi tel ou tel saut. Il y aura des jours moins bons, mais ils sont toujours là. Je lis les messages de soutien et je vois l'impact que je peux avoir, même quand je pense que ma performance était mauvaise. Les gens me disent que je les inspire parce que je continue, que je suis une battante, que j'ai de la résilience. Je ne m'en rends pas toujours compte. Je me dis parfois, 'Si tu ne gagnes pas, comment peux-tu inspirer?' Mais ce n'est pas le bon état d'esprit. On peut inspirer de plusieurs manières, pas seulement avec des médailles. Dans les moments difficiles, les mots de toutes ces personnes qui me soutiennent, m'encouragent, me suivent depuis des années, qui viennent aux compétitions, qui n'ont pas raté un seul événement, que ce soit à la télévision ou en vrai, me réchauffent le cœur. Quand des jeunes patineurs et patineuses viennent me demander une photo, c'est incroyable. 

 

 

Solène : Travaillez-vous toujours avec Lorenzo Magri en plus de John Zimmerman et Silvia Fontana ?

Maé : Oui, j'étais à un moment en Italie, mais je me suis toujours entraînée avec John et Silvia depuis 2018 et je continuerai à travailler avec Lorenzo également. Je n'ai pas eu l'occasion de le voir récemment, mais mon équipe est composée de John et Sylvia en Floride, où je passe la majorité de mon temps, et de Lorenzo pour la technique sur les sauts.

 

Solène : Vous avez pour objectif les Jeux Olympiques 2026. Pourquoi est-ce si important pour vous, après deux participations en 2014 et 2018 ? 

Maé : Parce que je sais que je n'ai pas encore tout donné. À Sotchi, j'avais la fougue de la jeunesse. J'avais dit que je ferais un top 10, et je l'ai fait. C'était mon pic en termes de performance. En 2018, c'était différent mais plus beau car personne ne m'y attendait. Mon objectif était simplement de me qualifier pour le programme libre, car aux championnats du monde 2016 à Boston, je n’avais pas patiné le programme libre. Pour les JO de Milan 2026, mes objectifs sont très ambitieux. Nous construisons les fondations pour que Milan soit quelque chose de grand. Mon approche de l'entraînement d'un sportif de haut niveau a changé. J'ai connu les sommets, mais aussi les bas-fonds. Comment revenir au top? C'est le chemin que je suis en train de prendre. Peut-être que cela aidera d'autres personnes et changera certains codes dans le sport de haut niveau. Participer à trois Jeux Olympiques, ce serait bien, on va rêver grand et fou ! Par ailleurs, Milan est proche de la France, donc mes parents pourraient venir, ce qui n’était pas le cas à Sotchi et Pyeongchang. Ça serait beau d'avoir ma famille sur place et aussi plusieurs patineuses françaises, car j'étais la seule patineuse française qualifiée depuis 2002 (NB : en 2002, Vanessa Gusmeroli et Laetitia Hubert avaient représenté la France). On pourrait avoir une grande équipe, et ce serait magnifique.

 

Solène : Vous pensez donc aussi à l’épreuve par équipe ?

Maé : Oui tout à fait.

 

Solène : Comment votre expérience vous a permis d'adapter vos méthodes d'entraînement?

Maé : Bien que certains puissent penser le contraire en me voyant, je sais que je n'ai pas encore atteint mes limites physiques. Beaucoup pensent que je suis sur le déclin, que j'ai été blessée pendant longtemps. Mais justement, j'ai beaucoup appris de ces périodes difficiles. J'ai ignoré les signaux de mon corps, et j'ai même adopté des schémas un peu toxiques. Maintenant, je ne pense pas juste à perdre du poids, ce qui n'a pas de sens. Je travaille à construire un corps de haute performance. Cela signifie que je connais précisément ma masse grasse, ma masse musculaire, mes allergies, mes sensibilités, etc. Je mets tout cela en place pour être prête à Milan. Cela implique d'être prête pour les championnats du monde en 2025, étape qualificative.

 

 

Solène : Vous avez poursuivi des études en parallèle du patinage et avez plusieurs projets. Pouvez-vous nous en parler ?

Maé : J'ai obtenu un master en Management et Marketing, spécialisé en Business Development, à l'Université de Montpellier. À l'origine, je voulais faire de la chimie, mais ce n'était pas compatible avec mon emploi du temps de patinage. Il est difficile d’emmener le laboratoire en compétition (rires). Après une année sabbatique pour préparer les Jeux Olympiques de Sotchi, j'ai repris des études en sciences de gestion. J’avais besoin de m’investir aussi dans quelque chose en parallèle du patinage. J'ai eu des difficultés au début, j’ai triplé ma première année. J’ai failli abandonner, surtout que c'était la première fois que j'échouais à quelque chose, que ce soit en patinage ou à l'école. J'ai obtenu mon master l'année où je me suis rompu le tendon d'Achille. Comme un signe de l’univers, le temps que j’ai eu hors de la glace m’a permis de finir mes études. J'ai écrit mon mémoire sur la dichotomie entre le management sportif et les attentes envers les athlètes. Je travaille actuellement sur une plateforme de management sportif. Un de mes buts est d'aider les athlètes à monétiser leur image. La plupart des athlètes de haut niveau sont amateurs, sans salaire fixe. Certains sont en situation de précarité. En patinage par exemple, en cas de blessure, on ne peut plus faire de gala et cela devient difficile financièrement. Au travers de mon parcours, je comprends cette situation et je veux apporter une réponse. Il est crucial de trouver des sources de revenus supplémentaires pour les athlètes. Un athlète doit être le PDG de sa propre carrière. 

 

Solène : Continuez-vous votre chaîne YouTube ?

Maé : C'est compliqué. Entre la rédaction du script, le tournage, le montage etc., cela nécessite beaucoup de temps et d'effort. J'aurais besoin d'une équipe, mais pour cela, il faut avoir les moyens financiers. Pour le moment, je mets ce projet en pause tout en cherchant des collaborations potentielles. D'autant plus que la plateforme de management sportif que je souhaite lancer pourrait bénéficier à de nombreux athlètes, en particulier ceux qui se préparent pour les Jeux de Paris et qui sont pour certains dans des situations financières délicates. 

 

Solène : Concernant Paris 2024, vous travaillez également sur un documentaire “Allo Champion”. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Maé : Nous suivons cinq athlètes dans leur parcours vers une qualification pour les Jeux de Paris 2024. Il y a Dimitri en athlétisme, Émilie en boxe, Marie-Divine en cyclisme, Cyrille en para-volley et Coralie en escrime. Ces athlètes partagent leur quotidien pour montrer ce qu'est réellement la vie d'un sportif de haut niveau. J'ai hâte de voir le résultat final et je suis ravie de les accompagner dans cette aventure. Tous semblent bien partis pour une qualification. Je suis directrice marketing, un rôle qui m'a sortie de ma zone de confort. Je suis naturellement timide et je déteste l'idée de déranger. Pourtant, ce poste m'a poussé à chercher des sponsors, à négocier des partenariats et à rebondir face aux refus, ce qui s'est avéré très formateur. En ce qui concerne la diffusion, nous sommes encore en discussion pour trouver une plateforme adaptée. Bien que la télévision soit souvent la première option à laquelle on pense, nous explorons aussi d'autres options.

 

 

Solène : Comment jonglez-vous entre tout cela ?

Maé : Trouver le bon équilibre est un défi. Récemment, nous avons augmenté ma charge d'entraînement, ce qui a nécessité une adaptation pour gérer la fatigue. Le défi est de déterminer quand s'entraîner et quand se reposer. Personnellement, je pourrais travailler toute la journée après l'entraînement, mais ce n'est pas idéal si je néglige le temps de repos. Je continue donc à ajuster et à trouver le juste milieu. Il y a des progrès, nous sommes sur la bonne voie.

 

Solène : A titre plus personnel, imaginez-vous votre avenir en France ou aux Etats-Unis ?

Maé : Je me sens très bien en Floride, mais la France reste mon ancrage avec ma famille et mes amis. Cependant, j'apprécie beaucoup la mentalité américaine en matière de business. J'ai aussi une curiosité pour l'Asie, et plus particulièrement Singapour, qui semble avoir un environnement business très dynamique. Donc, à l'avenir, je me vois bien adopter un mode de vie de globe-trotter. Vous pourrez probablement me trouver aux États-Unis, en France, en Asie…

 


Solène MATHIEU - Skate Info Glace