Sonja HENIE, la mégastar

Sonja Henie, c'est un nom que les moins de... 75 ans risquent de ne pas connaître. S'ils s'intéressent au patinage, il leur évoquera au mieux celui d'une patinoire, comme celle, publique, du Palais Omnisports de Bercy. Pourtant Sonja Henie a été la seule vraie mégastar de l'histoire du patinage international. Et pas seulement à cause de son palmarès faramineux (* voir annexe)...

 

Elle naît à Oslo, en plein blizzard,  un 8 avril 1912, d'une mère artiste au tempérament réservé et d'un père businessman et sportif de haut niveau (cyclisme et patinage de vitesse). Elle va hériter de son goût de la compétition et de son sens des affaires. Toute petite déjà, elle veut patiner. Ses parents, qui la trouvent trop jeune, refusent et préfèrent la mettre sur les skis. La famille est fortunée, Sonja prend des cours de danse avec la ballerine russe Anna Pavlova. Le ballet sera son premier amour,  mais seulement par défaut. Dotée d'un caractère affirmé et d'un grand sens de la persuasion, elle continue de vouloir patiner, elle insiste. Elle finit par "emprunter" les patins de son frère et, à la surprise générale, gagne une compétition pour enfants. Elle a six ans. Elle ne quittera plus jamais la glace.

 

Nous sommes dans les années 20 et dès le départ, la carrière de Sonja est gérée comme une véritable entreprise par sa famille. C'est du jamais vu dans le sport, en particulier pour une fille ! Qui quitte l'école pour s'entraîner cinq heures par jour, suivre un régime très spécial (à base de viande crue et d'oeufs tout aussi crus, par lequel elle jurera toute sa vie) et étudier la danse classique lors de stages à Londres avec Tamara Karsavina, une autre ballerine russe. 

© CIO Musée Olympique
© CIO Musée Olympique

1924, premiers Jeux Olympiques d'hiver à Chamonix. Sonja n'a que 11 ans (photo ci-dessus), mais elle est là. Elle finit 8ème et dernière.  Coubertin l'a dit et répété, l'essentiel est de participer. Il n'a pas précisé qu'il fallait aussi se faire remarquer, mais la petite fille et sa famille l'ont bien compris. Autour d'elle, on raisonne en terme "d'image". C'est un concept tout à fait inédit pour l'époque. En 1927, trois ans plus tard, elle gagne son premier titre mondial chez elle à Oslo. Et fait scandale en portant une jupe qui s'arrête au genou... et qui révèle ses cuisses et ses dessous quand elle saute ou pirouette. Elle explique, avec un naturel désarmant, que les longues tenues en vigueur jusque là l'empêchent d'exécuter certaines figures, en particulier l'axel... normalement réservé aux hommes ! Elle lance en même temps la mode des patins blancs pour les femmes. Jusque là, ils étaient noirs pour tout le monde mais elle a décidé qu'ils n'allaient pas avec ses tenues. Elle ose tout. Pour une très jeune fille, et pour l'époque, c'est exceptionnel. C'est qu'elle est gonflée la petite Sonja. Elle n'a peur de rien. Elle aime la vitesse, le froid, le risque dont elle dira plus tard qu'ils la rendent winter drunk, ce qui peut se traduire par "ivre de froid/ d'hiver". Avide de sensations fortes, elle va cultiver toute sa vie ces goûts considérés alors comme peu féminins. 

 

On dirait d'elle aujourd'hui que c'est une hyperactive, dans le sens non pathologique du mot. C'est l'athlète de toutes les "premières" dans son sport. Elle gagne les championnats de son pays en individuel, mais aussi en couple avec Arne Lie. Dès son plus jeune âge, elle se produit en spectacle lors des compétitions de patinage de vitesse. Elle s'expatrie. Après les JO de 1924, elle séjourne un temps à Chamonix, effectue des stages de danse au Royaume Uni, puis, après son titre mondial de 1930 à New York, se lance à la conquête du public nord-américain. Pour la première fois, à 17 ans, elle se produit dans un grand show, avec tout une troupe, des lumières. Enorme succès. Elle est le petit prodige norvégien aux joues roses et rondes, aux boucles d'or, adorée du public, bien avant Shirley Temple. Dans un reportage de 1928, juste après les Jeux Olympiques de St Moritz, elle apparaît en plein air, comme un symbole de joie de vivre mais aussi de classe, de grâce et de technicité. Les puristes d'aujourd'hui frémiront devant la-dite technique mais la vitesse d'exécution et sa puissance physique sont remarquables. Elle a 15 ans. 

 

Sonja gagne ses premiers championnats d'Europe en 1931, après avoir fait l'impasse sur les précédents pour cause de... tournée professionnelle. A l'époque on gagne de l'argent avec le patinage. Beaucoup d'argent. Elle prend pour entraîneur Howard Nicholson, à Londres, et ne le quittera plus de toute sa carrière compétitive. Dans les années qui suivent, elle va absolument tout gagner, y compris les Jeux Olympiques, avec une régularité de métronome. Et une notoriété grandissante en passe de devenir énorme.

Son palmarès sportif ne cesse de s'étoffer, mais en 1936, elle fait grincer des dents pour être allée spontanément serrer la main d'Hitler pendant les championnats d'Europe. Non contente de lui serrer la main, elle lui offre aussi le salut nazi et le Heil Hitler qui va avec. Son pays natal et pas mal de pays d'Europe, voire du monde, auront du mal à lui pardonner ce qui n'était sans doute qu'une bévue de jeune fille apolitique mais avide de notoriété. Hitler était célèbre, il avait du pouvoir, il était susceptible de l'aider à avancer. L'incident n'entachera pas sa réputation mais lui apprendra à avoir un peu plus de discernement quant à sa conduite en public. Il l'éloignera quand même de Norvège pour un certain temps. (On lui reproche également de ne pas avoir mis sa fortune grandissante au service de la Résistance). Mais Sonja a des projets, de plus en plus grands, et un appétit toujours aussi vif de victoires et de gloire. Sa façon de courir sur la pointe de ses patins à travers la glace enthousiasme les foules. Depuis des années déjà, les hautes instances du patinage s'interrogent sur son statut qui n'a clairement rien d'amateur. Il est souvent question de l'évincer des compétitions. Mais c'est aussi elle qui y draine un public toujours plus grand et donc de l'argent. 

 

Comme d'habitude, c'est elle qui va décider. La compétition ? C'est fini. Sonja veut faire du cinéma. L'idée en elle-même fait sourire. Mais Sonja a son idée en tête et a bien calculé son coup. Il n'y a pas de patineur/patineuse à Hollywood n'est-ce pas ? C'est un manque qu'elle se propose de combler. Enfin non, qu'elle est décider à combler coûte que coûte. Et elle va y arriver.

"Vous voyez ce que fait Fred Astaire avec la dance et le cinéma ? Je veux faire la même chose avec le patinage" déclare-t'elle à la presse. Elle a 24 ans et un des plus beaux palmarès sportifs existants. Les mauvaises langues disent qu'elle va droit dans le mur. Mais les producteurs ont repéré le filon et se battent pour obtenir son numéro de téléphone. Le propriétaire de plusieurs grands stades à travers les Etats-Unis lui offre un contrat pour une tournée dont elle sera tête d'affiche, "Sonja Henie Night". Et les stades se remplissent. L'année suivante, en 1937, elle a carte blanche pour organiser sa tournée elle-même. Après la mort de son père la même année, elle va prendre l'habitude de tout gérer, chorégraphies, costumes, les patineurs qui l'accompagnent, les lumières, les déplacements. Elle créé une ligne de vêtements de ski et de pull-overs, donne son nom à une marque de patins. Sonja Henie, un personnage, et maintenant une industrie. Elle gère tout de main de maître, en particulier sa fortune personnelle qui  atteint rapidement des sommets. 

 

Côté cinéma, elle a tout naturellement décidé qu'elle travaillerait avec Darryl Zanuck, alors à la tête d'un des plus grands studios d'Hollywood (Fox, qui deviendra plus tard 20th Century Fox). Zanuck,  lui, hausse les épaules devant la petite patineuse qui n'a rien de la femme fatale alors en vogue. Il l'envoie carrément promener. Mais, nullement impressionnée et encore moins découragée,  elle revient à la charge, fait le siège de son bureau, le harcéle. Il finit par la recevoir histoire de lui signifier, justement, une fin de non-recevoir. Elle ressort avec un contrat... Du Sonja tout craché. Zanuck lui offre des seconds rôles, mais elle lui rit au nez, elle ne veut que les premiers. Elle les aura. Soyons clairs, on ne parle pas là de chef d'oeuvres du cinéma, mais de bluettes romantiques, d'histoires légères, à l'eau de rose sur fond de montagnes à la Heidi, sans réel intérêt autre que de la voir patiner. Mais ça marche. Du tonnerre. Sonja Henie devient une superstar (mot qui ne sera créé que bien plus tard !)  

Avec Ray Milland © 20th Century Fox
Avec Ray Milland © 20th Century Fox

La championne d'Europe, du Monde et Olympique est devenue l'une des stars les mieux payées d'Hollywood, une reconversion qui ne sera jamais égalée. Celle que l'on surnomme "Le Cygne Blanc", "la Reine de la Glace", "la Princesse des Neiges" déborde d'activités et d'énergie. Elle tourne 11 films qui lui rapportent gros mais ce sont surtout ces shows qui la rendent multi-millionaire. En matière de relations amoureuses, elle est également très en avance pour son époque ! Elle séduit les hommes avec l'appétit vorace qu'elle a pour toute chose. La légende veut que tous ses partenaires de cinéma et tous les patineurs de ses tournées soient passés dans son lit. Elle avoue, en termes choisis, aimer "s'envoyer en l'air" et le faire le plus souvent possible. Aveu non public bien sûr, nous sommes avant-guerre et les femmes adeptes du one night stand ("aventure sans lendemain") ! ne sont pas légion vu le nom qu'on leur donne. Il commence par pu et finit par tain... Mais dans le vase clos d'Hollywood ou des tournées sur glace, le secret est bien gardé. Et Sonja continue de s'éclater, en privé, comme en public dans ses différents métiers. Elle va, au passage, tomber éperduement amoureuse du très charmant Tyrone Power avec qui elle tourne Thin Ice. Il lui brise le coeur lorsqu'il épouse l'actrice française Annabella. La vie amoureuse de Sonja ne sera jamais au diapason de sa fantastique carrière. Elle se marie deux fois, en 1940 avec Dan Topping et en 1949 avec Winnie Gardiner, deux fils à papa oisifs, eux-mêmes très riches, mais qui vivront quand même à ses crochets. Deux mariages qui se soldent par deux échecs. 

 

Alors que la guerre fait rage en Europe, Sonja est assise sur un coussin d'or, une fortune colossale. L'Europe en général et la Norvège en particulier ne donnent pas, pour l'instant, écho à sa célébrité d'Outre-Atlantique. La patineuse/actrice couverte de bijoux et de fourrures, qui vit dans une villa californienne de rêve où elle donne des fêtes extravagantes en compagnie de tout le gratin hollywoodien, semble bien loin des drames qui se jouent sur son continent d'origine. Elle  collectionne les voitures de sport,  possède son propre train pour circuler pendant ses tournées. Femme d'affaires avisée, elle est aussi considérée par beaucoup comme une véritable grippe-sou. Réclamant systématiquement la part du lion, elle se fâche avec ses partenaires en business. Epicurienne, elle aime les bons restaurants, les bons vins, le champagne, les palaces. Qu'elle se débrouille toujours pour se faire offrir, ce qui finit par lasser les plus généreux. Elle se brouille avec son frère aîné et unique, Leif, pour des questions d'héritage. Elle se permet quelques caprices : aucune autre blonde ne doit participer à ses shows ou tourner avec elle dans un film. En gros, de jeune femme enjouée, pleine de vie et de culot, elle est passée à chiante...

© AP
© AP

A cela, une raison : le temps passe et Sonja s'en accommode mal. Si avancer en âge ne freine pas sa carrière d'actrice, sur la glace, par contre, son corps fatigue. Elle est, bien sûr, la star ultime de ses shows et exécute jusqu'à huit ou neuf numéros en solo. De quoi user les plus solides. La guerre est finie, nous sommes arrivés aux années 50, le patinage a toujours la même aura Outre-Atlantique, mais d'autres figures célèbres, d'autres troupes sont apparues. Sonja approche la quarantaine et s'est livrée à quelques excès. Elle aime le Whisky qui lui donne "un petit coup de fouet". Et qui n'arrange pas son caractère. A partir de 1952, elle a du mal à recruter d'autres patineurs pour ses shows. Sa façon de tout régenter et son omniprésence sur la glace agacent et découragent ses partenaires potentiels. La voici obligée de revoir la grandeur de ses spectacles à la baisse. En mars 1952 à Baltimore, une tribune construite à la va-vite quelques heures seulement avant le show, s'écroule, faisant plusieurs blessés sérieux. Sonja perd peu à peu son audience et la saison se révèle financièrement catastrophique. Pour la première fois, elle est obligée d'emprunter pour payer ses factures. Pour cela, elle doit s'adresser à l'un de ses anciens partenaire en affaire, ce qui met son orgueuil à mal. 

 

A la fin de la saison, la superstar Sonja Henie ne réussit à vendre que 600 billets pour son show au Nouveau-Brunswick (Canada), et se produit dans une patinoire de seconde zone sans chauffage. Elle doit porter un gros pull norvégien au lieu de ses tenues légères, perles et sequins. La presse annonce son déclin. On commence à penser que la carrière extraordinaire de la Norvégienne la plus célèbre de la planète touche à sa fin.

 

C'est sans compter sur un phénomène qui a toujours joué un grand rôle dans la vie de Sonja : la chance. Le propriétaire de la tournée Holiday on Ice (née en 1943) a toujours admiré Sonja. Mis au courant de ses déboires, il l'invite à participer aux shows qu'il organise en Europe à l'été 1953 : Berlin, Londres, Paris et Oslo. Sonja refuse tout d'abord de se produire dans sa ville natale. Elle craint qu'on ne lui ait pas pardonné son salut à Hitler et son absence de soutien à la Résistance (elle a néanmoins participé financièrement à l'effort de guerre US après avoir obtenu la nationalité américaine par mariage). Morris Chalfen, le propriétaire de H.O.I. finit par la convaincre et 33 spectacles sont programmés d'Août à Septembre dans le pays de la patineuse. Les billets... se vendent comme des petits pains et à la première représentation à Oslo, Sonja est accueillie par la standing ovation de 7000 personnes. Ils ont pardonné à l'enfant prodigue. 

Sonja Henie et son mari Niels Onstad
Sonja Henie et son mari Niels Onstad

Mais ce nouveau succès ne fait pas long feu.  A partir de 1955, Sonja tente de conquérir l'Amérique du Sud. La réponse du public n'est pas à la hauteur de ses attentes. La glace et le patinage, là-bas,  n'intéressent pas grand monde. Sonja vit mal ce nouvel échec, aussi mal qu'elle vit la régression de ses possibilités physiques. La championne est fatiguée. Elle boit trop. Elle ne s'amuse plus. En mai 1956, elle annonce sa retraite. Un mois plus tard, elle se marie pour la troisième fois. Et c'est la bonne. Niels Onstad est un armateur norvégien, ami de sa famille. Il a sa propre fortune. Ensemble, ils voyagent et à partir des années 60, amassent une collection d'oeuvres d'art moderne phénoménale. Sonja fait toujours partie du beau monde hollywoodien et leurs amis s'appellent Cary Grant, Joan Crawford, Cyd Charisse. En 1966, s'ouvre à Oslo le "Henie-Onstad Center", bâtiment  d'architecture ultra-moderne où le couple expose sa collection de plus de 100 oeuvres. Tout semble aller de nouveau pour le mieux.

 

Mais Sonja a attrapé un rhume dont elle ne parvient pas à se débarrasser. Elle passe des examens, rencontre plusieurs médecins. Le verdict tombe : leucémie. On l'annonce à son mari qui préfère ne pas la mettre au courant. La version officielle donnée à la patineuse et à son entourage est anémie. Ce qui justifie les transfusions régulières qu'elle doit subir. Beaucoup pensent qu'elle a deviné la vérité, mais elle n'en dira jamais rien. Les traitements lui rendent de l'énergie, elle a de nouveaux projets. Elle prépare un show pour la télévision, basé sur le film Docteur Jivago et son thème principal, la Chanson de Lara. Elle passe l'été en Europe avec son mari. Ils sont à Paris quand Sonja s'affaiblit brusquement. Avant de rentrer en Californie, où ils habitent, le couple décide de faire un crochet par Oslo où Sonja recevra une nouvelle transfusion. Elle a 57 ans. Dans l'avion, elle s'endort. Elle ne se réveillera jamais. 

 

Ainsi s'en va une légende. A ce jour, aucune autre patineuse n'a connu une telle carrière, un tel succès. Imaginez le palmarès de Plushenko avec la carrière et la célébrité de Lady Gaga. Sonja Henie, c'était encore un peu plus que ça.

 

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Annexe


* PALMARES SPORTIF

- Championne du Monde en 1927, 1928, 1929, 1930, 1931, 1932, 1933, 1934, 1935, 1936 (oui, 10 fois de suite...)

- Championne d'Europe en 1931, 1932, 1933, 1934, 1935, 1936.

- Or Olympique en 1928, 1932, 1936.

 

 


* FILMOGRAPHIE