Courtesy of Olivier Brajon ©
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Grand Prix Junior Courchevel

21 août 2019 - Programme Court Dames


Comme des grandes...

 

Ou presque. Kamila Valieva est LA favorite de ce Grand Prix. Elle a fait sensation l'an dernier en Russie, son pays natal. Née à Kazan, à sept-cent kilomètres de Moscou où elle s'entraîne depuis l'âge de trois ans, la voici étiquetée nouveau grand cru "AOET" : "Appelation d'Origine Eteri Tutberidze". On sait qu'elle passe sans souci quadruple boucle piqué, triple Lutz/triple boucle piqué et triple flip/triple boucle piqué. A treize ans... Un classique quand on est élève de la belle dame aux cheveux bouclés,  et de ses deux inséparables accolytes : Sergei Dudakov et Daniil Gleikhengauz. Météorite de passage,, comme bon nombre de ses congénères, ou appelée à durer au-delà de la puberté, on ne le sait pas encore. Du haut de son mètre quarante-neuf, elle arrive à paraître grande tant ses membres sont fins et déliés. Elle est rapide, et dotée d'une technique impeccable. Cette (petite) fille est une centrale nucléaire à elle toute seule, elle exsude l'énergie de la pointe des lames à la racine des cheveux. Elle est aussi très gracieuse. L'école de Sambo 70 s'est grandement améliorée dans le registre artistique, même s'il reste du chemin à parcourir. A Courchevel, pas  de pois sauteurs qui enchaînent les difficultés avec une régularité de métronome, mais sans l'âme, que pourtant, on dit russe. Ce Grand Prix est pour Kamila une première compétition internationale à l'étranger. Nous sommes à 1850 mètres d'altitude, l'effort cisaille les gens de la plaine en moins de deux. Elle n'a que treize ans, j'insiste... Dès le début de son programme sur "Spiegel im Spiegel" de Arvo Pärt, elle se montre très nerveuse. Son triple boucle (en sortie d'Ina Bauer) et son double Axel sont de toute beauté. Sa pirouette sautée assise est exécutée à une vitesse vertigineuse. Mais elle chute sur son triple Lutz, sacrifiant au passage sa combinaison. Neuf fois - 5. Ca fait mal au score, même si ses deux pirouettes suivantes et sa suite de pas sont parfaites. Dans le Kiss & Cry, elle se retient vaillamment de pleurer. La chute a coûté cher,  mais rien n'est perdu. Un programme libre propre,  agrémenté d'un quad,  peut lui permettre de gagner. Elle a tout : la supériorité technique, l'élégance, des sauts d'une grande facilité - je dirais presque d'une grande douceur - mais, à son âge,  a-t-elle le mental de guerrière nécessaire à remonter deux places demain ? Car, avec un total provisoire de 62.31, elle n'est pour l'instant "que" 3ème. Au "Royaume d'Eteri", on apprend aussi à serrer les dents, à ne pas regarder en arrière et  à se battre. Nous aurons notre réponse demain.

 

Sa compatriote, Maiia Khromykh (RUS) a le même âge, mais paraît facilement trois ou quatre de plus, non seulement par sa grande taille (1m60), mais aussi par sa prestance et son aisance d'interprétation. Sur "Fantasy for Violin and Orchestra" de Joshua Bell, une musique aussi belle que triste,  elle patine avec la finesse d'une (presque) adulte. Issue elle aussi de l'écurie Tutberidze, son programme pêche par une chorégraphie assez pauvre, défaut récurrent des créations de Daniil Gleikhengauz. Trop classique, presque désuète. Un seul accrochage dans sa prestation : une main posée sur la glace à la réception du triple boucle, qui lui vaut une ligne de grades d'exécution négatifs. Tout le reste, double Axel en sortie de Grand Aigle, combinaison triple Lutz/triple boucle piqué, séquence de pas, pirouettes, est impeccable. Enfin, pas pour tout le monde puisque les GOEs de sa pirouette cambrées ratissent de -1 à +4... Maiia prend néanmoins la tête avec un très bon score de 67.72. 

 

Qui s'intercale entre les deux demoiselles de Moscou ? La Coréenne Seoyeong Wi avec 65.75 points. De loin ma préférée aujourd'hui. Au son de "Crouching Tiger, Hidden Dragon" de Tan Dun et Yoyo Ma, utilisé l'an dernier par Vincent Zhou, (et pas mal d'autres avant lui dont Stolbova/Klikmov dans un magnifique programme court), suivi de "Love" extrait du Banquet par les mêmes artistes, elle présente un petit bijou de programme,  ciselé par l'ancien patineur devenu chorégraphe Scott Brown. Seule des trente-cinq concurrentes de la journée à ne commettre aucune erreur, elle égrène double Axel, triple boucle, combinaison triple Lutz/triple boucle piqué, le tout net et sans bavure. Elle bat Khromykh de quelques dixièmes de points sur les éléments (38.60 contre 38.22) mais Valieva les dépasse toutes les deux en composantes (avec 30.92). Seoyeong Wi devra encore travailler dans ce registre, mais elle nous gratifie aujourd'hui d'un vrai programme "à la Coréenne", tout en délicatesse. 

Courtesy of Olivier Brajon ©
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Sur une très douce chanson du compositeur sud-coréen Lee Ji Yong, "Destino", la Japonaise Nara Araki réalise un triple Lutz énorme, mais, à l'instar de sa compatriote Tomoe Kawabata passée dans le deuxième groupe, rate sa combinaison avec un double boucle piqué qu'elle retourne. Heureusement, ses pirouettes, toutes bien réalisées et de niveau 4,  la sauvent. Elle termine 4ème avec un total de 58.83, battant  Lara-Naki Gutmann en PCS, qui lui est pourtant largement supérieure dans ce domaine.  L'Italienne est 5ème avec 58.24.

 

Très bonne prestation des deux Françaises en lice ! La première sur la glace est Sophie Sprung. Treize ans, patineuse de poche culminant à 1m42, elle réveille l'assistance avec son "Bei Mir bist Du Schön"  des Puppini Sisters. Première impression : ça dépote ! Elle commet des erreurs [une main à la réception du triple Salchow et pas de combinaison, manque de netteté sur les pirouettes, réception du double Axel en déséquilibre], mais ne se déconcentre pas. Ses sauts ont une belle amplitude pour une patineuse d'un aussi petit gabarit,  mais c'est aussi ce gabarit qui lui permet de rester légère comme une plume. Son programme est homogène, bien construit, sur une chorégraphie de Benoît Richaud, et sa tenue remporte la palme de l'originalité dans l'océan de classicisme de l'après-midi. Pour une première apparition dans le grand bain international, c'est une réussite (23ème - 42.81).

 

Un grand coup de chapeau à Lorine Schild qui passe sur la glace en dernière position, après trente-quatre autres concurrentes et plus de deux heures trente d'attente. D'autres auraient perdu leurs moyens pour moins que ça. La demoiselle prouve d'entrée qu'elle est mentalement solide. Entraînée à Reims par l'ancienne patineuse Malika Tahir, Lorine, grande pour ses treize ans (1m60),  illustre à merveille ce que les pays étrangers admirent voire envient au patinage français : l'originalité. Les efforts chorégraphiques conjugués de Laurie May, Barbara Piton et Malika Tahir, déjà citée comme coach ; la tenue en trois tons de gris ;   le choix musical, "Coward" de Yael Naïm  ; la construction du programme [seule patineuse de toute la compétition à ne pas pas commencer sa prestation par un saut mais par une pirouette] : tout sort du lot. Bravo. Sa 19ème place provisoire avec 44.88 points, pour une seconde sortie internationale, est très encourageante, tout comme l'a été la première au Dragon Trophy de Ljubljana en février, qu'elle a terminé deuxième et 7.8 points devant son aînée beaucoup plus expérimentée Léa Serna. Elle n'est pas sans me rappeler une autre Laurine au même âge... Les deux tricolores patineront demain dans le 3ème groupe, Sophie à 19h17 et Lorine à 19h32. 

 

 

Sur place : Kate Royan

 

Résultats provisoires

 

Scores détaillés

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