© Courtesy of Olivier Brajon
© Courtesy of Olivier Brajon

Internationaux de France 2019

Grenoble 1er novembre

Danse Rythmique : Bain de Jouvence !

 

 

Nous sommes en mai 1980. Le film "Fame", d'Alan Parker,  vient de sortir, le succès est immédiat est immense. Toutes les radios américaines matraquent la chanson phare du film. Impossible d'y échapper. Pas qu'on le souhaite d'ailleurs, jeune ou moins jeune, tout le monde danse dessus. En boîte, dans la queue au supermarché, sous la douche ou dans son salon, au volant, à en faire exploser les vitres au feu rouge. Irene Cara est un modèle pour toutes les jeunes Américaines qui rêvent de faire carrière dans la danse ou la musique (elle va le rester avec "Flashdance" trois ans plus tard). Avance rapide. Patinoire de Grenoble, 1er novembre 2019. Gabriella Papadakis, justaucorps turquoise, guêtres assorties, collant pétale de rose, couleurs de bonbons, la crinière en semi-liberté ; et Guillaume Cizeron, pantalon noir, haut rose et bandeau sur le front. Dès les premières notes, je rajeunis de... hum, oui, quarante ans ! Ce sont la série TV et le remake de 2009 qui ont inspiré cette danse rythmique aux Français, plutôt que le film, mais l'esprit et l'effet sont exactement les mêmes. On se doutait bien que les multi-champions du Monde n'allaient pas se contenter d'une comédie musicale classique. Chacun de leurs programmes est un pari, et au fil des saison et des succès, un pari de plus en plus risqué. Non, les juges ne leur passeraient pas tout, ils pourraient aussi ne pas aimer et eux qu'on dit si vieux jeu, pourraient freiner des quatre fers devant ce qui est finalement destiné à bousculer la discipline. En douceur. Gabriella et Guillaume ne sont pas des bulldozers, ils n'écrasent pas. Mais, mine de rien, dans un clin d'oeil, ils jouent gros, avec humour et assurance,  et continuent d'imposer nouveauté, créativité. Là où ils pourraient se contenter de surfer sur leur notoriété, ils nous offrent une toute nouvelle facette de leur personnalité. 

 

Cette RD a été bien rodée depuis les Masters. Dire que les mouvements collent à la musique est un euphémisme. "One, two three, bend, one two three stretch", ils sont en plein exercice de gym, en répétition avant un spectacle,. A part que... Ils sont sur la glace. Ce n'était pas gagné d'avance. Comment adapter une succession de mouvements gymniques, saccadés, prévus à la verticale, à un déplacement au contraire horizontal, à leur style fluide, leur glisse sans accroc, la profondeur de leur carres ? Je n'ai pas de réponse à cette question mais un constat : ils y parviennent sans aucune apparente difficulté. Ca bouge, ils sont toniques, mais tout est parfaitement glissé et harmonieux. Seraient-ils un peu magiciens et/ou sorciers ? Ils méritent largement les deux 10.00 que les juges leur attribuent en interprétation de la musique, et les trois en composition. Mon passage préféré est la Finnstep, qui colle à la musique à la nano-seconde près, un petit chef d'oeuvre qui les fait "tricoter" des pieds et des lames à un rythme vertigineux. Tout n'est pas parfait puisqu'ils récoltent seulement des niveaux 2 et 3 sur certains éléments, mais ce n'est que leur premier Grand Prix et leur seconde compétition de la saison. Ils sont, très logiquement premiers, avec un total de 88.69.

 

Maddison Chock et Evan Bates sont récemment passés au sein de l'écurie montréalaise de Gadbois et ce, pour leur plus grand bien. Danseurs aguerris, ils y trouvent enfin de quoi affiner leur style et développer leurs qualités techniques. Si, par le passé,  on reprochait au team Dubreuil/Lauzon/Hagenauer, d'avoir instauré un "style Gadbois", le tir a été rectifié. Tous leurs teams ont à présent une propre identité, à commencer par Maddison et Evan. Maddison et sa plastique spectaculaire illustrent parfaitement le tire choisi "Too Darn Hot" de Cole Porter, en français, approximativement "Vraiment trop Sexy". Je ne suis pas une inconditionnelle de Cole Porter mais le programme est extrêmement bien construit. La danse étant la discipline la plus difficile à juger "à l'oeil nu", je serai surprise de découvrir dans les protocoles que leur Finnstep n'est que de niveau 1 et qu'ils n'ont validé qu'un seul key-point. Avec un total de 80.69, ils sont seconds.

 

Il y a encore une semaine, Marco Fabbri n'était pas sûr de pouvoir participer à ce Grand Prix, avec sa partenaire et compagne, Charlène Guignard. Victime d'une rupture du tendon du poignet droit, il patine avec une longue et large attelle qui immobilise doigts et articulation. Il a fallu remodeler les deux programmes en hâte pour s'adapter à la situation, et attendre le feu vert des médecins, qui l'ont donné, mais du bout des lèvres. Malgré ce handicap (et le danger que représenterait une chute avec le poignet immobilisé : c'est le bras qui peut casser...), nos amis italiens s'offrent le luxe, non seulement de valider tous leurs key-points et d'avoir une Finnstep de niveau 4, mais aussi d'être les seuls de la compétition à le faire ! Seule une erreur de Marco sur les twizzles leur fait perdre des points. Comme il le dira plus tard en conférence de presse, avec un clin d'oeil : "je suis blessé à la main, mais c'est avec mes pieds que je me suis débrouillé pour faire des bêtises !" On le savait déjà, ils sont depuis plusieurs années dans une dynamique ascendante et, seconds des championnats d'Europe l'an dernier, sont en train de devenir des incontournables des podiums. Avec leur performance d'aujourd'hui, sur "Paramour" du Cirque du Soleil, ils confirment devenir des concurrents dangereux, et pas seulement pour les seuls Européens. 3èmes avec 79.65, il n'est pas exclus qu'ils puissent même menacer Chock/Bates dans la danse libre.

 

Dans la catégorie des danseurs qui savent et aiment se renouveler, Olivia Smart et Adrian Diaz sont en bonne place. Sur un medley de "Grease", Olivia campe une Sandy parfaitement crédible. Leur technique devient de plus en plus fiable, même si les bases de la demoiselle ne sont pas exceptionnelles. Eux aussi sont élèves du team Dubreuil/Lauzon/Hagenauer (qui ici présentent cinq couples sur les dix engagés !) et ont largement amélioré leur présentation. Des twizzles de niveau 3, une Finnstep de niveau 2, des composantes de 7.75 minimum à 9.50 en interprétation, rien à dire sur la 4ème place qu'ils méritent avec 76.09.

 

Je suis moins convaincue par les notes accordées à Tiffany Zagorski et Jonathan Guerreiro. Eux, ont des bases techniques solides, d'ailleurs leur TES est supérieur à celui du couple espagnol. Mais au niveau des composantes, il ne devrait pas y avoir photo. Eléments qui restent en partie subjectifs bien sûr, donc difficiles à discuter. Des "Skating Skills" inférieurs à Olivia et Adrian ? Un peu difficile à avaler. Même chose pour les autres composantes, à part, peut-être les transitions. Le thème et la musique sont plus récents - "The Greatest Showman" - et je pense plus difficile à interpréter. Au chapitre des déboires, Tiffany est blessée aux genoux depuis longtemps, une blessure qui s'aggrave et la fait constamment souffrir. Lorsqu'elle n'a pas mal elle s'étonne, elle trouve cela... anormal ! C'est l'une des patineuses les plus tenaces et dures au mal que j'ai jamais rencontrées. Ca ne l'empêche pas de réaliser des twizzles de niveau 4, comme son partenaire, de valider trois key-points sur quatre et d'avoir une Finnstep de niveau 3. Leur score de 75.05 les range en 5ème position, devant les Polonais Kaliszek/Spodyriev (74.19) sur "Kinky Boots" de Cindy Lauper, et les Canadiens Soucisse/Firus (68.61) sur "Jersey Boys". 

 

La journée aurait pu être meilleure pour Julia Wagret et Pierre Souquet-Basiège et leur très sympathique "Singin' in the Rain". Pierre chute, quasiment à l'arrêt, dans la toute dernière seconde du programme. Mais leur danse rythmique a considérablement évolué depuis les Masters. La maîtrise des deux danseurs aussi. La collaboration avec Marina Zoueva porte clairement ses fruits. Twizzles de niveau 4 pour elle, 3 pour lui, trois key-points validés sur 4, même si l'exécution n'est pas très nette, pas plus que ne l'est celle du porté rotationnel. Avec 63.55, ils se classent devant Marie-Jade Lauriault et Romain Le Gac.

 

Marie-Jade est en larmes dans le Kiss & Cry car une chute dans la Finnstep invalide quasiment l'élément. Tout avait bien commencé pourtant, et leur danse rythmique sur "Demoiselles de Rochefort", toute en douceur et romantisme est très différente de ce qu'ils nous avaient proposé jusqu'à présent. Marie-Jade est très jolie en version châtain clair et robe bleu très pâle. Delphine ou Solange ? Catherine Deneuve ou Françoise Dorléac ? Romain, quant à lui, dans sa marinière, est un parfait Gene Kelly/Andy Miller. Mais leurs premières notes sont moyennes, comme le sont les composantes. Ce n'est pas un bon jour pour eux, une danse rythmique à 63.42 points et à très vite oublier. 

 

Sur place : Kate Royan