© Courtesy of Olivier Brajon
© Courtesy of Olivier Brajon

Internationaux de France 2019

Grenoble 1er novembre

Programme Court Dames : A l'ère des bébés-requins...


Troisième Grand Prix Senior de la saison, troisième patineuse russe directement issue des rangs juniors, après Anna Shcherbakova, vainqueur du Skate America et Alexandra Trusova première du Skate Canada (15 ans toutes les deux), voici Alena Kostornaïa, plus âgée d'un an, autre bébé-requin navigant à plein régime et à pleines dents dans les eaux de l'aquarium Tutberidze. Elle est, à mes yeux, la plus artiste et la plus accomplie des trois. Le public grenoblois ne connaît pas encore la minuscule Alena (1m50), sa blondeur et ses immenses yeux bleus. Tout va peut-être changer à la fin de ce programme court. 

 

Sur "Prélude", suivi de "November" de Max Richter, Alena Kostornaïa entame son programme par un triple Axel ample mais en légère sous-rotation. Suit un triple Lutz à carre incertaine. Mais sa combinaison triple flip/triple boucle piqué Rippon, bonifiée,  est quasiment immatérielle. Elle vole. Patineuse d'une légèreté sans égale, Alena égrène les éléments de niveau 4 avec une fluidité déconcertante. Il y a, dans son patinage, du corps, de l'âme, de la foi, ainsi qu'une grande vitesse d'exécution, toute en finesse, qui évite la précipitation façon "j'ai un train à prendre",  commune à plusieurs de ses prédécesseurs,  Elena Radionova ou Evgenia Medvedeva à ses débuts. Elle s'installe en tête avec un score de 76.55, qui ne semble pas tout à fait la satisfaire...

 

Car elle n'est pas venue de Moscou seule, et Alina Zagitova, sa camarade d'entraînement, championne olympique en titre est, elle, venue pour gagner. 17 ans, 1m60, cheveux et regard aussi sombres que Kostornaïa les a clairs, elles n'ont rien de commun à part leur équipe d'encadrement. Eteri Tutberidze n'est pas là, mais Sergeï Dudakov et Daniil Gleikhengauz ne lâchent pas le bord de la barrière. Alina patine sur "Me Voy" de Yasmine Levy, et, dans son interprétation,  je ne retrouve hélas pas grand chose de l'émotion dégagée par la voix de la chanteuse israélienne, ni des paroles (en espagnol) de la chanson. Le si joli visage de mademoiselle Zagitova évoque une grande concentration et très peu de sentiment, au contraire de la sensibilité de sa compatriote. Si le triple Lutz de cette dernière était en carre douteuse, celui d'Alina est carrément réceptionné sur la mauvaise carre et suivi d'un triple boucle en sous-rotation. Mais la jeune fille a du métier et reste de marbre. Double Axel, triple flip Rippon lancé d'une longue arabesque sur le pied d'appel, elle obtient néanmoins ses meilleures notes sur les pirouettes. Le public fait honneur à ses titres olympique et mondial, des panneaux rouges avec l'inscription "Alina" en blanc fleurissent un peu partout dans les tribunes. Son sourire et son maquillage la font ressembler à petite cousine éloignée de Madison Chock. En infiniment moins expressive. Avec 74.24, et sanctionnée par une déduction pour dépassement de temps, elle n'est pas loin de sa jeune rivale. Les parieurs optimistes prédisent qu'elle la rattrapera facilement au programme libre. Attendons...

 

Tout le monde s'attend à voir une des deux meilleures Japonaises en lice, Wakaba Higuchi ou Kaori Sakamoto dans le trio de tête provisoire (voire même final). Erreur. C'est Mariah Bell, toujours aussi pétillante et mutine, qui joue les trouble-fêtes. Très sexy dans une robe noire semi-transparente qui dénude ses épaules, elle interprète deux morceaux de Britney Spears, "Radar" et "Work" avec conviction. Elle n'a pas la fluidité d'une Kostornaïa, ni la glisse d'une Zagitova, mais depuis deux ans, elle ne cesse de progresser et de gagner en confiance. Techniquement fiable, elle s'offre la luxe de n'obtenir aucune note négative malgré une carre suspecte sur le triple flip de sa combinaison. Elle est rapide, énergique, son patinage est d'une fraîcheur à toute épreuve et, même si je ne suis pas une grande adepte de Miss Spears, ce programme met parfaitement sa personnalité dynamique en valeur. Elle en sort à peine essoufflée alors que nous, spectateurs, sommes hors d'haleine,  et avons mal aux mains pour avoir scandé le rythme endiablé tout le long. Elle n'est qu'à quatre petits points de Zagitova, avec 70.25. 

 

Alors, une Japonaise quatrième ? Toujours pas... Starr Andrews, 66.59, seconde Américaine engagée, n'a pas, elle non plus,  le moindre signe négatif devant ses GOE. Il devient si rare de voir des programmes propres. Pour rendre justice à tout le monde, il est vrai  qu'il est plus aisé de patiner un programme sans faute quand les difficultés sont moindres. Comme les deux patineuses qui la précèdent au classement, Starr ne passe qu'un double Axel et sa combinaison triple/triple est composée de boucles piqués. Il me faut trente bonnes secondes pour reconnaître sa musique, "You Lost Me" de Cristina Aguileira, utilisée par le passé en gala par Laurine Lecavelier. Et il faut une minute entière à la Californienne avant de passer sa première difficulté technique, soit sa combinaison de triples. La première partie de son programme est donc assez vide. Starr est l'illustration même d'un patinage américain qui commence à dater : propre,  lisse, académique, une chorégraphie adaptée à la musique, un bon jeu d'actrice avec les bonnes mimiques au bon moment mais pas vraiment de vécu. Ceci n'enlève rien au talent de la jeune femme,  mais il reste comme une impression d'inachevé à la fin de son programme, même si celui-ci a été  limpide. 

 

La saison n'a pas débuté sous d'excellents auspices pour Wakaba Higuchi, 8ème du Lombardia Trophy (Challenger Series) et 6ème du Skate America.  "Bird set Free" de Sia est une musique difficile, au rythme haché et changeant. Mais la vice-championne du Monde 2018 est une battante, volontaire et déterminée. Elle a vécu, l'an dernier, une saison en demi-teinte, pour ne pas dire ratée, et cherche à se racheter. On sait qu'elle peut réussir un triple Axel,  elle se contentera ici d'un double. A première vue, tout va plutôt bien pour elle dans ce programme court et ce, jusqu'à la lecture des protocoles. Son triple boucle piqué, combiné à un triple Lutz, est en sous-rotation. Faute de carre à la réception du triple flip, pirouette cambrée de niveau 2. Il n'en faut pas plus pour que Wakaba échoue à la 5ème place provisoire, avec 64.78. Elle est déçue. Nous aussi. 

 

Sa camarade Kaori Sakamoto la talonne au score total (64.08), et la devance en composantes (33.20 contre 32.95). Elle a abandonné le néo-classique pour un gros hit radio : "No Roots" de la germano-britannique Alice Merton. Seconde du Nepela Memorial de Bratislava et 4ème du récent Skate America, le changement de registre lui a plutôt réussi. Jusqu'à aujourd'hui. Une grosse chute sur son double Axel, puis un méchant déséquilibre à la réception du triple boucle lui font perdre un maximum de points. Où et comment terminer 6ème d'un programme court. Une seule chose à faire : tout donner demain.

 

Le tir est vraiment groupé pour les Japonaises, puisque Yuna Shiraiwa est 7ème (63.12). Retour au registre classique avec le "Concertino Bianco pour Piano" du compositeur letton  Georg Pelecis. Comme ses coéquipières, Yuna est compacte, puissante et cependant très élégante. Ses sauts, par contre, manquent de hauteur et d'ampleur. La combinaison triple Lutz/double boucle piqué d'entrée de programme est réussie, ainsi que double Axel et triple boucle. Les trois pirouettes sont de niveau 4, la séquence de pas de niveau 2 et ce qui fait pencher la balance du mauvais côté sont les composantes. 30.97 pour 32.15 de TES. 

 

Elève de Brian Joubert depuis le printemps,  Léa Serna semble en meilleure forme ici, à Grenoble, qu'elle ne l'était il y a un mois aux Masters de Villard de Lans. Sur la très jolie musique "Experience" de Ludovic Einaudi, inaugurée  par Laurine Lecavelier il y a trois ans, Léa décline un double Axel un peu hésitant en réception, mais valide ; une combinaison triple Lutz/triple boucle piqué que je crois bonne jusqu'à ce que je la vois taxée d'une carre douteuse (pour le Lutz) sur les protocoles, et un triple flip presque impeccable. Elle obtient un bon score technique de 34.80, pour un total de 62.43 et la 8ème place. Il lui faudra travailler ses composantes, mais c'est déjà un résultat encourageant. 

 

En l'absence de Laurine Lecavelier, forfait sur blessure, Léa était la première sur la glace et Maé-Bérénice Meité sera la cinquième, juste après... Alena Kostornaïa. Resplendissante dans une robe jaune soleil au son de "Mas Que Nada", puis "Chacha & Batucada", Maé a vraiment la musique dans le sang et le rythme dans la peau. Hélas aujourd'hui, sa technique fout le camp. C'est la journée des "not clear edge", on solde ! La sienne est sur son triple flip, combiné à un triple boucle piqué en sous-rotation. L'accumulation des deux lui vaut une ligne de GOEs négatifs. Pirouette cambrée et séquence de pas de niveau 2, nouvelle sous-rotation pour le triple Lutz, Maé vaut beaucoup mieux que cela et elle le sait. 9ème avec 56.35, la plus combative des patineuses françaises devra se rattraper demain, avec son très beau libre sur "Hometown Glory" d'Adele. 

 

L'Allemande Nicole Schott, 3ème du récent Nebelhorn Trophy, n'est pas particulièrement en veine non plus. "Caught Out in the Rain" de Beth Hart, très bluesy, n'a pas l'air de la mettre vraiment à l'aise. Nicole a de belles lignes, des carres silencieuses et un combinaison triple boucle piqué/triple boucle piqué tout à fait correcte, mais son double Axel se solde par une ligne de 0 et son triple boucle atterri sur les fesses par une ligne de -5. Elle est 10ème avec 54.43.

 

Plus le temps passe et plus Maria Sotskova s'enfonce dans les profondeurs des classements. Celle qui fut quatre fois vice-championne de Russie (trois fois junior, une fois senior), vainqueur de trois Challenger Series, trois Grand Prix Juniors et une Finale, vice-championne du Monde Junior, trois fois seconde en Grand Prix Senior plus une Finale, n'est plus que l'ombre d'elle-même. L'avènement des pois sauteurs/bébés-requins de Sambo 70 n'a, certes, pas arrangé ses affaires. Choisir "To Build a Home" de Cinematic Orchestra, popularisé par Papadakis/Cizeron dans un danse libre magnifique, ne contribue pas à l'aider non plus, même si ce n'est pas la même version. Le pari était risqué, il est clairement perdu. Dès son entrée sur la glace, elle semble dévorée par le stress. Son triple boucle est en sous-rotation. Son double Axel finit avec une main au sol. Elle tombe sur le triple flip de sa combinaison qui devient inexistante : neuf fois - 5. Elle qui était la grâce incarnée, s'est alourdie.Je la trouve bien payée sur des pirouettes qui sont désaxées. Lot de consolation ? Que sont devenus la fluidité et la légèreté de son patinage ? Maria a l'air si embarrassée et si triste... Elle manque de tout : de confiance, de fiabilité, de condition physique. Je cherche ce qui pourrait sauver ce programme si mal exécuté. Rien. En témoigne son maigre score de 50.38, dont 21.95 en TES, soit 6 points de moins qu'une Nicole Schott ! Reverra t-on un jour Maria au plus haut niveau ? Je commence sérieusement à en douter.

 

Sur place : Kate Royan