© S.I.G. - Rumi Hirakiuchi
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Championnats d'Europe 2020 - Graz

24 janvier

Programme Libre Couples : Bons baisers de Russie...


 

Lumineux. Ils le sont tous les deux. A l'image de leur patinage exceptionnellement précis. Pas un geste de trop ni un millimètre qui manque. Plus rien du kitsch de leur programme court, dans le "Writing on the Wall" de Boïkova/Kozlovskii, extrait de la B.O. de James Bond et chanté par Sofia Karlsberg (qui s'est fait connaître sur Internet en interprétant des reprises). Pas la moindre erreur non plus. Triple Salchow parallèle parfaitement synchrone, même chose avec triple boucle piqué/double boucle piqué/double boucle piqué. Malgré sa hauteur et sa légèreté leur triple twist n'est que de niveau 3, comme l'est leur Death Spiral dehors arrière. Mais tous leurs autres éléments sont de niveau 4 et exécutés avec une irréprochable netteté. Les deux sauts lancés, triple flip et triple boucle sont à montrer comme exemples dans les écoles de patinage. La facilité qu'a Dmitrii dans les portés rend sa partenaire quasiment immatérielle. Leurs lignes, leur tenue de corps, leur glisse, la façon avec laquelle ils passent les difficultés le sourire aux lèvres, tout est brillant. Ils devancent leurs poursuivants de 17.1 points sur le seul programme libre et de 25.94 points au classement général. 3èmes l'an dernier, ils remportent cette année un indiscutable et indiscutée médaille d'or. 

 

Ils sont censés sortir l'artillerie lourde pour remonter au classement (3èmes à l'issue du programme court) et les choses commencent assez mal pour Tarasova/Morozov, dès le deuxième élément. Si le premier, le triple twist est superbe d'amplitude, le triple Salchow parallèle se transforme en double après un retournement d'Evgenia et un déséquilibre de Vladimir. GOEs de -3 à -5, sérieux handicap d'entrée. Ca ne s'arrange guère avec la longue ligne de -5 qu'engendre la chute d'Evgenia sur le triple boucle piqué. Les deux patineurs parviennent à se reprendre pour la suite du programme exempt d'erreur. Je suis consternée de les voir évoluer sur cette version de "Ti Amo" d'Umberto Tozzi façon Carmina Burana sous acide. La version originale aurait déjà été un choix discutable, mais celle-ci est une véritable hérésie. Qui des deux Russes ou de leur entraîneur, Marina Zueva, a perdu un pari ? Ils se sont abonnés aux mélodies répétitives cette année. Après le "Bolero" de Ravel qui a au moins l'avantage d'être écoutable et qui a une certaine cohérence avec leur style,  épuré jusqu'à l'absence, cette scie pseudo-pop digne de l'arrière-boutique d'un supermarché ne fait que souligner leur manque de personnalité. Au bout des quatre minutes trente de cette punition auditive que personne n'a mérité et surtout pas eux, Tarasova/Morozov engrangent un score de 135.14 qui les classent seconds du libre et de la compétition mais loin de leurs compatriotes au score. 

 

Le podium sera, comme prévu, entièrement russe. Pavliuchenko/Khodykin, sur la glace après Tarasova/Morozov mais avant Boïkova/Kozlovskii, patinent sur la très belle B.O. de "Tron" par Daft Punk. Cette option musicale est originale, la partie lente est superbe et émouvante. Daria n'est pas plus expressive que lors du programme court, mais le style musical, le thème (un monde dominé par les ordinateurs et l'intelligence artificielle)  et la chorégraphie de ce libre s'accommodent de sa retenue naturelle. L'ouverture de leur prestation se fait avec un tripe flip que les patineurs ne déclenchent pas en même temps et Daria touche des deux pieds en réception : GOE de -1 à +2. Le triple boucle piqué/double boucle piqué/double boucle piqué est réussi. Je suis un peu gênée par la façon dont la jeune fille semble passer ses sauts individuels à la force des bras : le haut de son corps pivote très nettement en premier avant d'entraîner le bassin et les jambes. Le triple twist est très bon et bien noté. Daria réceptionne correctement son triple boucle lancé dans un premier temps mais glisse sur un talon et tombe. C'est sans doute cette chute qui leur fait perdre la seconde place acquise lors du court. Les portés sont beaux et d'apparence "facile" tant la demoiselle est petite et légère au bout des bras de son solide partenaire. Ils repartent de Graz avec une médaille de bronze et un total de 206.53 (131.61 pour le libre). 

 

Les erreurs de Pavliuchenko/Khodykin ont ouvert une porte aux Italiens Della-Monica/Guarise. Cette porte, ils vont la prendre... dans la figure. Leur style et leurs choix musicaux se sont considérablement adoucis cette saison. Fini le côté gymnique à tout crin qui, s'il correspondait à leur physique athlétique, commençait à sembler désuet. Leur prestation y gagne vraiment en émotion, sur la jolie musique de "Pilgrims on a Long Journey" extraite du jeu vidéo "Child of Light". Leurs progrès artistiques sont évidents. Aujourd'hui, c'est la technique qui va les fuir et ce, dès le début du programme. Nicole tombe à la réception du triple Salchow parallèle. Triple twist et triple boucle lancé passent sans problème, même si le second est atterri sur la pointe du patin. Le triple boucle piqué/double boucle piqué devient deux fois double, le deuxième saut étant retourné par Nicole. Elle réceptionne son triple Salchow franchement sur deux pieds, la jambe censée être libre supportant la moitié de son poids. Des portés et des pirouettes de niveau 4 (sauf le porté Lasso Lift du début) ne sauveront pas le score. Avec un total de 123.96 pour le libre et 194.44 au final, ils sont 4èmes.

 

Faire un Top Ten lors de ses premiers championnats d'Europe alors qu'on concourt normalement en juniors,n'est pas donné à tout le monde. C'est pourtant ce que réalisent, et de belle façon,   Cléo Hamon et Denys Strekalin, 8èmes du libre (103.25) et 9èmes au final (153.49). Le programme, sur "Notre Dame de Paris" (Cleo rappelle à chaque compétition que le thème a été choisi avant l'incendie), après Asaf Avidan dans le court, montre un autre aspect de leur personnalité. Ils savent aussi s'exprimer dans un registre fort émotionnellement. Leur seule erreur majeure sera le triple boucle lancé atterri sur deux pieds. Le reste de la performance est propre, à quelques petites poussières de points près. Coline Keriven et Noël-Antoine Pierre ne sont pas loin, sur une musique hispanisante très différente de leur blues du court, ce qui témoigne de leur éclectisme. Ils ne sont pas tout à fait aussi à l'aise que lors du libre et se cherchent un peu, mais leur prestation est en tous points remarquable pour une première participation et un retour de sévère blessure. 98.63 pour une 11ème place du libre et 150.10 pour la 11ème du classement général également. Les quatre jeunes gens ont récemment bénéficié des conseils de Morgan Ciprès, quittant son rôle de co-équipier et d'ami pour celui de coach assistant. Essai transformé, l'opération a clairement été bénéfique. Pour Morgan également, comme il nous l'a expliqué à Villard de Lans, puisqu'il se destine, post-carrière de patineur,  au métier d'entraîneur. La dynamique amorcée par les victoires et les excellents résultats du couple James/Ciprès prend vraiment forme, la succession est assurée. Dans la discipline la plus ingrate et la plus dangereuse du patinage artistique, ce qui en fait aussi la moins pratiquée à l'échelon mondial (il suffit de voir le nombre de couples engagés dans chaque compétition, très inférieurs aux trois autres spécialités), il est réjouissant de voir la France se doter de moyens et s'accorder un avenir. 

 

Sur place : Kate Royan

 

Classement programme libre et scores détaillés

CLASSEMENT GENERAL