© S.I.G. - Rumi Hirakiuchi
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Championnats d'Europe 2020 - Graz

22 janvier

Programme Court Couples : Tiercé placé tiercé gagnant ?


 

Au contraire de la compétition masculine, pas de vraie surprise dans ce premier classement couples. Les trois couples russes squatteront sans doute le podium, reste à savoir dans quel ordre, même si une tendance s'est déjà dessinée. 

 

Ces deux-là sont très loin de l'image figée et sévère qui émane parfois, voire souvent, des couples russes. Ils pétillent, forts d'un humour et d'une auto-dérision jamais pris en défaut, ils plaisantent et font rire tout le monde. Sur la glace ils ont un sourire jusqu'aux oreilles, ils se font vraiment plaisir. Mais derrière la façade légère et joyeuse, se cache une volonté de de fer et de (très) bien faire, une féroce détermination. Sur une version instrumentale de "My Way" de Sinatra, aussi kitsch que leurs costumes rose guimauve, Aleksandra Boïkova et Dmitri Kozlovskii réalisent un programme court superbe. Du très haut niveau, des grades d'exécution qui décoiffent. Elle a 18 ans depuis deux jours, il en a 21. La valeur n'attend point le nombre des années avec de tels patineurs. Franchement, le programme est moche, il n'y a pas d'autre mot. Daté, tout le mauvais côté du kitsch russe. Mais on l'oublie tout de suite, tant ils sont doués et beaux sur la glace ! Tout y est : technique impeccable, implacable pour les autres. Grâce et élégance,  finesse et légèreté de la glisse. Les élèves de Madame Tamara Moskvina sont de vrais joyaux. Triple Salchow parallèle, triple twist de niveau 4, triple flip lancé (récompensé par cinq fois +5), pirouettes et portés de niveau 4. Il manque de l'originalité à l'ensemble, le thème rendant l'expression difficile. Mais leur patinage est limpide. Avec un score de 82.34 points, ils prennent une sérieuse option sur la médaille d'or. 

 

Auteurs eux aussi d'un programme très propre, leurs compatriotes Pavliuchenko/Khodykin sont seconds avec 74.92 points. Avec, dans leur équipe, des grands noms de la chorégraphie comme Tatiana Tarasova (rien que ça) et Daniil Gleikhengauz (le bras droit d'Eteri Tutberidze lui-même), les jeunes gens, du même âge que leur leaders du jour, mais chez les seniors depuis une saison de moins, ont un programme beaucoup plus intéressant dans sa conception sur "The Storm" de Balasz Havasi. Si la technique est au rendez-vous, leur interprétation est beaucoup plus académique, voire quasi inexistante de la part de la demoiselle, au visage très fermé, image même de la concentration. Oubliée la mauvaise performance de la Finale du Grand Prix (étonnants 6èmes). Ils font le pari audacieux d'exécuter leur saut lancé, un triple boucle, en seconde partie de prestation, après un triple boucle piqué parallèle, le triple twist, un porté Axel lasso et la pirouette combinée avec changement de pied. 

 

Les jeunes pousses ont donc devancé leurs aînés. Tarasova/Morozov sont 3èmes (73.50). Pour être tout à fait honnête, le "Bolero" de Ravel m'ennuie. Tarasova et Morozov aussi. Mais curieusement, le mélange des deux... me séduit ! Il y a, dans cette musique monotone et répétitive, une unité et une cohérence qui donne à leur patinage hyper sobre un relief inattendu, aussi antinomique que ceci puisse paraître. Le début de leur programme va être exceptionnel de clarté et de précision. Leur triple twist n'est plus très loin de d'égaler celui, légendaire, de Savchenko/Massot. C'est en tout cas aujourd'hui, le meilleur du circuit par sa hauteur et son aisance de réalisation. Il est récompensé d'une majorité de +4 et +5, le mieux noté de la soirée, à juste titre. Le triple boucle piqué parallèle est parfait et la réception du triple boucle lancé est un modèle du genre. Malgré la hauteur incroyable prise sur le saut, Evgenia atterrit avec une confiance et une pureté extraordinaires ! La migration chez Marina Zoueva a fait du bien à Vladimir qui a gagné en élégance et en amplitude de geste. Leur Death Spiral est un excellent copier/coller de celle que réalisait leur chorégraphe, Maxim Trankov,  avec sa partenaire et épouse Tatiana Volosozhar. Mais... Car depuis un certain temps, il y a régulièrement un gros "mais" sur la trajectoire de ce couple et ils se prennent invariablement les patins dedans. Voici la bourde du jour : à la fin du porté Reverse Lasso, Vladimir accroche un talon dans la glace et manque partir à la renverse. On évite la catastrophe de peu, Evgenia étant encore à bout de bras, de toute la hauteur de son partenaire (1m87 quand même...) Ils arrivent tous deux à parer une vraie chute, Vladimir retenant Evgenia par une jambe, mais se perdent un peu en route et perdent aussi une louche entière de points précieux. Mathématiquement, il leur est encore possible de dépasser leurs compatriotes dans le libre, s'ils réussissent une prestation d'anthologie. Mais il faudra compter avec l'ambition et le potentiel énorme de leurs cadets. 

 

Les Italiens Della-Monica/Guarise occupent la 4ème place provisoire avec un programme doux et romantique que j'aime beaucoup sur une version lente de "Crazy in Love" de Beyoncé, chantée par la Suédoise Sofia Karlberg. On sent la patte de l'ancien couple de danseurs Anna Cappellini et Luna Lanotte dans les lignes plus souples et soyeuses qu'à l'accoutumée. Nicole, qui a été assez sérieusement blessée récemment, revient à son meilleur niveau. Mais elle réceptionne son triple boucle lancé sur deux pieds. Ce sera leur seule erreur notable, mais elle est coûteuse : une ligne de GOEs négatifs. Ils obtiennent néanmoins un TES supérieur à celui de Tarasova/Morozov (39.05 contre 37.81). Ils peuvent encore viser le podium en cas de grosse défaillance russe. 

 

Pour leur première participation à des championnats d'Europe Coline Keriven et Noël-Antoine Pierre se classent à un excellent 9ème rang (51.47). Le blues de Beth Hart, "Caught in the Rain", chorégraphié par Nathalie Péchalat, a des sonorités à la fois sensuelles et toniques, respectées par leurs lignes et leurs mouvements amples. Le programme est bien construit et les deux patineurs semblent parfaitement à l'aise, comme s'ils avaient concouru au niveau européen toute leur vie ! Joli mental. Ils n'ont de toute façon rien à perdre et se donnent clairement à fond. Noël-Antoine, sérieusement blessé au genou il y a un peu plus d'un an lors des championnats de France, a bien récupéré mais n'aurait sans doute jamais imaginé, à l'époque,  se retrouver sur le circuit européen aussi vite. Leur twist est double et de niveau 1, mais net et sans bavure. Le triple boucle piqué accuse une sous-rotation, mais le triple boucle lancé est tout à fait correct. Leurs éléments sont de niveau 3, à l'exception de la Death Spiral dedans arrière. Ils ont de quoi être fiers et peuvent aborder leur programme libre en toute confiance. 

 

Eux aussi en lice pour la première fois dans ces championnats seniors, Cleo Hamon et Denys Strekalin sont 12èmes avec 50.24 points. Leur stage chez Silvia Fontana et John Zimmerman en Floride leur a été très profitable. Ils ont gagné en confiance et en expression. Ils ont mûri aussi. Tout n'est pas propre dans ce programme sur la musique très originale d'Asaf Avidan "Bang Bang",   mais ils font preuve d'une belle volonté et leur pirouette combinée avec changement de pied est d'un synchronisme exemplaire. Ils sont néanmoins à sept points de leur propre record. La raison ? Cleo n'effectue qu'un simple boucle piqué au lieu d'un triple (élément invalide) et réceptionne son triple boucle sur deux pieds. Erreurs de précipitation, ou excès d'enthousiasme, ils gardent cependant le sourire. Denys porte une attelle au poignet droit par précaution, après avoir subi un étirement ligamentaire pendant l'été,  mais il assure ne plus en souffrir. 

 

Ils sont devancés de quelques points par le couple incroyable que forment Christopher Boyadji et Zoe Jones (50.96, 11èmes).A 40 ans depuis quelques jours, mère de trois enfants, dans le top 15 européen, Zoe est un véritable phénomène, une exception. Seul un autre britannique a fait aussi bien au même âge, Albert Proctor Burman en... 1933. A l'époque, il n'y avait aucun triple saut, pas de twist, rien des difficultés que passent aujourd'hui Zoe aussi bien que des concurrentes de plus de vingt ans sa cadette. Et non contente de continuer, elle progresse ! Comme à la réception très nette de ce triple flip lancé placé en dernier élément de programme, ce qui en augmente d'autant la difficulté. 

 

Mention spéciale à Ziegler/Kiefer devant leur public, fluides et rapides, dont le programme ne comporte qu'une erreur sur le triple twist. Sur la géniale musique "Sunshine on Leith" des Proclaimers, entraînante et entêtante (au bon sens du terme), les élèves de Bruno Massot et Knut Schubert sont à la 6ème place provisoire avec 67.90. 

 

Sur place : Kate Royan

 

Résultats et scores détaillés