© S.I.G. Myriam Cawston
© S.I.G. Myriam Cawston

Internationaux de France - Libre dames


18 novembre 2017 - Bolchoï et Top Jump

 

Un conseil, ne jamais sous-estimer une jeune fille de 15 ans qui a terminé 5ème d'un programme court,  après une chute et des sauts en sous-rotation. Surtout si elle s'appelle Alina Zagitova. Elle l'a déjà prouvé lors de la Coupe de Chine, elle persiste et signe aujourd'hui. Sur la forme, ce programme libre est une aberration.  Longue envolée lyrique de ballerine tellement légère qu'elle en paraît immatérielle, l'exercice est un exemple de sensibilité et de finesse.  Mais il faut attendre deux minutes et neuf secondes avant que n'apparaisse un premier saut.  Le déséquilibre dans la construction du programme est total. Mais il paie, il paie même très bien et ne déroge absolument pas au règlement.  Donc sur le fond, le choix est bon.  Tous les sauts sont bonifiés puisque tous placés en seconde partie de prestation. Jackpot,  le compteur explose : triple Lutz/triple boucle, double Axel/triple boucle piqué, triple flip/double boucle piqué/double boucle, triple Lutz, triple Salchow, triple flip, double Axel. En une fraction de seconde, nous voici passés du Bolchoï au "Top Jump" (*). Une certitude : la jeune fille a des nerfs d'acier, doublés d'une musculature en béton armé. Sur le "Don Quichotte" de Leon Minkus, les moulins à vent cèdent la place à des sauts soit "Tano" (un bras en l'air), soit "Rippon" (les deux), ce qui corse encore la difficulté,  et augmente d'autant un score déjà faramineux. C'est techniquement fabuleux,  et franchement indigeste sur le plan artistique. 5.12 points seulement devant sa première poursuivante et compatriote, Maria Sotskova, au classement général (séquelles d'un mauvais programme court), Alina lui en inflige tout de même 10.35 sur le seul programme long. Encore une fois, si le procédé est "légal", et si la patineuse est dotée d'un talent exceptionnel, une généralisation de ce genre de prestation,  scindé en deux entités indépendantes,  pourrait vite devenir incompréhensible, voire lassante pour le spectateur. Dans l'absolu, le risque est peu élevé car toutes ces dames n'ont pas l'extraordinaire condition physique que requiert un tel exploit sportif. Alina, elle-même, avec les modifications morphologiques qu'entraînera le passage à l'âge adulte, aura sans doute du mal à conserver le même rythme. Mais il se pourrait bien que, sur la base de ce monceaux de difficultés ainsi compilées en dernières minutes, elle  soit,  dores et déjà,  en train de prendre une sérieuse option sur l'or olympique, tout en servant d'exemple au vivier de petites virtuoses qui poussent comme des champignons sur les terres de la Grande Russie.

 

Blondeur et silhouette longiligne à la Kostner, Maria Sotskova était parfaite en danseuse au bal de l'Empereur hier. Si on retrouve sa grâce et son élégance dans ce "Clair de Lune" de Debussy, l'interprétation est aujourd'hui plus neutre, presque froide. Le rythme de la mélodie n'est pas respecté par la chorégraphie. L'exercice reste techniquement impeccable, et moi sur ma faim car la patineuse a un potentiel énorme. Mais il n'y a rien à dire sur la note de 140.99 amplement méritée, pour un total de 208.78 points qui lui offre une très belle seconde place. 

 

Elizabet Tursynbaeva s'octroie la 3ème place du libre (138.69) et la 5ème du général (200.98). Avoir 15 ans et une silhouette aussi gracile lui permet de réussir des sauts qu'elle va chercher très bas,  dans une attitude plus athlétique qu'élégante.  Peu importe, puisque c'est efficace. Pas moins de sept triples, dont trois en combinaisons, et aucune erreur notoire,  permettent à la jeune Kazakhe d'approcher les toutes meilleures. On devine, à sa détermination, qu'elle est prête à les dépasser, de préférence le plus tôt possible. 

 

Première du programme court, la Canadienne Kaetlyn Osmond n'est que 4ème du libre (137.72). Un petit retournement sur le triple boucle piqué (combiné au double Axel), une chute sur son triple boucle et un Axel passé en simple en fin de programme lui font perdre deux places. Elle termine 3ème avec 206.77 au général. Son "Black Swan" reste cependant très agréable à regarder. La patineuse a de belles lignes, la technique est sûre, les carres profondes et silencieuses,  et si l'ensemble manque peut-être un peu de transitions (ce n'est pas l'avis des juges qui lui accordent de très bonnes composantes dans ce domaine), le programme est cohérent, inspiré, avec ce petit côté glamour sage et lisse,  propre à de nombreuses patineuses nord-américaines.  La pirouette combinée avec changement de pied qui clôture sa performance est en tout point remarquable. 

 

 

Hier j'étais enchantée par Yuna Shiraiwa. Aujourd'hui c'est Mai Mihara (127.13) qui remporte ma faveur. "The Mission" d'Ennio Morricone n'est ni le plus récent, ni le plus original des thèmes,  mais la version chantée choisie par Yuna est aussi harmonieuse que son patinage.  Le montage musical a été étudié pour servir au mieux sa légèreté. Elle est 4ème au final avec 202.12 points. Elizaveta Tuktamysheva, perdue dans les profondeurs du classement la veille, commence exactement de la même façon, soit par une chute sur son triple Axel. Pas vraiment de quoi l remettre en  confiance... Le Tango va pourtant si bien à sa personnalité chaleureuse, affirmée, mais elle va de nouveau accumuler les fautes. On sent qu'elle n'y croit plus et bientôt, nous n'y croiront plus non plus. 8ème du libre (114.62), elle ne doit qu'aux erreurs de Laurine Lecavelier et Polina Edmunds de ne pas terminer dernière. Elle est 9ème avec 167.65.

 

Il y a des jours avec et des jours sans. Hier était un jour "avec" pour Laurine. Aujourd'hui est un autre jour et ce n'est pas le bon. Elle campe pourtant une Marilyn mutine, sexy, en un mot, convaincante. Difficile d'expliquer pourquoi, parfois, la technique qui ne fait pas défaut à l'entraînement, devient soudain friable en pleine compétition. De sous-rotations en sauts dégradés, en passant par une chute, la jeune Française écope d'une avalanche de GOE négatifs et ses composantes sont sévères. La propension qu'ont les juges à la noter en dessous de sa réelle valeur, même lorsqu'elle est en réussite, a de quoi déstabiliser. Pas assez connue et reconnue, pas assez soutenue, Laurine. Elle plonge à la 11ème place du libre (93.67) et au total des deux épreuves (154.35). Ce n'est clairement pas sa place. 

 

Ce revers de fortune profite à Polina Edmunds, (10ème - 101.46) que je préfère sur "Palladio" de Karl Jenkins (thème de son court). La première partie du libre, sur la musique de "Bilitis" transpose sur la glace les images du film du photographe David Hamilton,  en version prudemment expurgée de sa dimension érotique. La seconde, sur le mélancolique "Time to say Goodbye" de Sarah Brightman et Andrea Boccelli, est dans la grande veine classique du romantisme américain. La patineuse est gracieuse et appliquée, presque studieuse, mais deux chutes (triple flip et triple Lutz), des sous-rotations et une répétition inopportune du triple boucle grèvent lourdement son budget points. Elle s'intercale, au final, entre les deux grandes déçues du jour Tuktamysheva et Lecavelier, pour terminer la compétition en 10ème position (157.7). 

 

Maé-Bérénice Meité, 9ème (112.44) recule d'une place par rapport au court, mais elle aussi profite - en toute logique et sportivité -  des erreurs de Laurine, qui a patiné juste avant elle. Je commence doucement à m'habituer à son mélange de Chopin et des DJ nantais de C2C. Quelque chose me dit que je vais même finir par l'aimer. Déjà, il fallait oser, et j'aime qu'on ose ! Et puis Maé est certainement la seule patineuse du circuit à pouvoir ainsi allier puissance et grâce. Pas d'erreur catastrophique dans ce programme, duquel elle modifie intelligemment la composition technique annoncée,  au fil des difficultés rencontrées. Un simple Lutz en lieu et place d'une combinaison 3L/2T, des niveaux 3, des GOE qui ne décollent pas, le score final n'atteint que 171.40. 

 

Sur une "Liste de Schindler" tant de fois entendue, thème tellement sombre qu'il en devient dangereux - attention aux maladresses et autres fautes de goût -, Nicole Schott nous aura au moins évité le costume/haillons et la brutale exécution finale au fusil (cf d'anciens programmes sur le même thème). Depuis la Coupe de Nice, l'Allemande a apparemment beaucoup travaillé sa présentation et l'ensemble de sa prestation a gagné en consistance. Le contenu technique est louable, et même si, à juste titre, les GOE ne s'envolent pas, pas plus que les composantes, passer de la 4ème place de la Coupe de Nice il y a un mois, à la 7ème du libre (116.85) et du classement général (172.39) des Internationaux de France, où le plateau est tout de même beaucoup plus relevé, est un petit exploit en soi. 

 

© S.I.G., sur place : Kate Royan

 

 

 

(*) Top Jump : ancienne et éphémère compétition qui ne comportait que des séries de sauts.