© Sugawara/Japan Sports
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Jeu de main, jeu de vilain...

 

Le pauvre Scott Moir n'y est pour rien. Mais la main qu'il pose sur la glace pour éviter une chute dans la danse libre fait  grincer des dents. L'erreur elle-même n'est pas en cause, mais que penser de la clémence dont le jury fera preuve ? Une véritable sanction n'aurait rien changé au résultat. Mais elle aurait montré que les Canadiens ne sont pas soutenus aveuglément quoi qu'il arrive. Cette petite main, beaucoup de gens l'ont,  en fait,  prise en pleine figure. A commencer par le Président de la FFSG qui s'est fâché tout rouge, les concurrents, eux, étant plus fatalistes. Mais reprenons les choses depuis le début...

 

Les trois premiers groupes n'ont pas révélé de surprise. Ma préférence restera à Weaver/Poje, même si leur danse libre de cette année sur le Concerto d'Aranjuez est la copie conforme de celle de l'an dernier. Mais l'ensemble est joli, doux et triste à la fois, avec un beau travail fait sur les transitions. Quelques vides ça et là,  et Andrew ne se tient pas très droit. Q'un homme aussi grand penche ainsi le buste, gâche l'harmonie de leurs lignes. Des notes moyennes les laissent à la 6ème place du libre (109.97 pts), mais ils sont 4èmes au classement général (184.81 pts), ce qui est un excellent résultat. Ils devancent largement leurs compatriotes Gilles/Poirier, 8èmes avec 178.99 pts, et un tango qui a séduit le public, mais pas les juges. 

 

Les Russes Ekaterina Bobrova et Dmitri Soloviev - entraînés par un Alexander Zhulin qui ferait mieux de leur concocter les programmes qu'ils méritent,  plutôt que de se répandre, par media interposés,  en critiques acerbes sur leurs concurrents - grimpent tout de même, et on ne sait trop comment, à la 4ème place de cette danse libre avec 110.52 points, soit à moins d'un point de la médaille de bronze, tout comme Weaver/Poje. Les voici donc 5èmes au classement final (184.06 pts).  Malgré l'impression un peu brouillonne dégagée par leurs "Quatre Saisons" (mieux réussies aux championnats d'Europe),  j'avoue m'être posé une question : quand Soloviev est-il devenu un danseur aussi assuré, présent et élégant ? Ses camarades Katsalapov et même Bukin, peuvent en prendre de la graine ! Stepanova/Bukin, justement, qui patinaient juste avant Gilles/Poirier, ne me laisseront pas un souvenir impérissable. Leur danse courte était dynamique et enjouée, leur tango est un chouïa laborieux et presque caricatural. S'ils ont progressé depuis le début de saison, il leur reste cependant un gros travail à effectuer avant de pouvoir rivaliser avec leurs aînés. Ils sont 10èmes avec un score total de 174.70 pts

 

5èmes de la danse libre, Anna Cappellini et Luca Lanotte enchantent la foule avec leur Medley de Charlie Chaplin, toujours plus doués pour la Comedia dell'Arte (sans les masques) que pour la glisse pure et la sobriété. Ce sont de bons techniciens, de formidables interprètes, mais aussi les carres les plus bruyantes et le plus "neigeuses" de leur groupe. Ils gagnent une place par rapport à la danse courte,  et terminent  en 6ème position (183.73 pts). Ils devancent Chock/Bates, 7èmes avec 182.03 points et une interprétation décevante de "Under Pressure", que je ne suis pas prête de leur pardonner, Bowie et Mercury sont parmi mes musiciens préférés ! Le choix musical était inédit, ambitieux,  une bonne idée dans un univers où l'initiative n'est pas souvent récompensée. Mais ils sont apparus tendus, peu inspirés, sans véritable identité, engoncés dans des costumes d'un autre âge. Une erreur sur les twizzles n'a rien arrangé. 

 

A l'issue de la SD, les Shibutanis, 5èmes,  semblaient mal partis,  et plus vraiment en odeur de sainteté auprès du panel technique et du jury. Je regrette amèrement leur danse libre qui m'avait enchantée, sur la musique de Coldplay,  l'an dernier. Quel dommage de retomber ainsi dans la froideur technique. Mais justement, elle est redoutable,  cette technique. Malgré une déduction pour porté trop long, c'est elle qui va les hisser à la 4ème place de la FD  et à la 3ème du classement général, médaille de bronze avec 185.18 pts. Aidés en cela par l'erreur monumentale commise par leurs co-équipiers Hubbell/Donohue ! Zachary chute violemment sur une série de twizzles, et ampute le score du couple de 8 points. On les attendait sur la troisième marche du podium et ils plongent en 9ème position (177.70 pts). 

 

Avantage pour Papadakis/Cizeron, ils patinent juste avant Virtue/Moir, de quoi les coller sous pression ! Car même déjà virtuellement sacrés champions du monde grâce à leur score faramineux de la danse courte, les Canadiens souhaitent, bien sûr,  faire excellente figure. Et leur danse libre n'a ni la qualité ni l'originalité de celle des Français, ce dont ils sont conscients. La façon de se mouvoir de Gabriella et Guillaume est d'un autre monde. En anglais : "they are in a league of their own". Ils sont dans une autre dimension, elle n'appartient qu'à eux. Ils battent le record du monde de points (119.15) et gagnent cette danse libre haut la main. Pas comme celle que Scott va poser parterre dans quelques instants... Papadakis/Cizeron n'auront pas décroché un troisième titre mondial,  mais il vaut mieux perdre un peu aujourd'hui que beaucoup demain (aux J.O.) et leur médaille d'argent est belle (196.04). Ils reprennent, dans la foulée, trois des points que les Canadiens leur avaient infligés dans la SD. 

 

Virtue et Moir n'ont pas la légèreté et le toucher de glace des Français. Ni cette subtilité dans le geste. Ni cette capacité à captiver, à totalement happer le spectateur pour l'entraîner ailleurs. Mais il n'en reste pas moins qu'ils sont de superbes danseurs et leur "Pilgrims on a Long Journey" est de toute beauté. J'aime, j'adore même, je vibre...,  jusqu'à la partie chantée qui me fait sortir d'un rêve enchanteur, pour tomber dans la platitude du réveil quotidien. Et Scott, peut-être un peu stressé ou trop peu concentré,  trébuche à la sortie de la circulaire, se rattrape en mettant la paume bien à plat sur la glace, avant de se redresser à toute allure. Ce n'est pas une vraie chute et seulement trois juges sur neuf lui donneront des GOEs négatifs. De quoi rendre furieux les puristes sur le principe. Mais de puristes, il n'y en a qu'en bord de patinoire, dans les coulisses,  dans les tribunes, et bien trop peu parmi les juges.  Virtue et Moir sont sacrés champions du Monde avec un score de 198.62 points.

 

La cérémonie des médailles,  et la conférence de presse qui suivra,  se dérouleront dans une étrange atmosphère, où les sourires sont figés, les regards neutres et les mots politiquement très corrects. Tout le monde dit être heureux de son résultat. Le visage de Scott Moir trahit pourtant un brin de gêne. Ultra perfectionniste, il aurait voulu gagner avec un programme parfait. Sa si belle partenaire force tellement sur son sourire qu'elle en a les commissures bloquées. Gabriella et Guillaume arborent un petit air gentiment ironique, mais logiquement satisfait. Ils n'ont pas tout perdu,  et leurs camarades d'entraînement savent dorénavant qu'il faut les craindre sur la danse libre. Les Shibutanis sont surpris d'être là. Alex a un sourcil levé, Maïa s'absorbe dans la contemplation de son téléphone. Ces championnats se terminent sur une note à la fois optimiste - Virtue/Moir ne sont pas imbattables - et troublante : que nous réserve le jury pour les Jeux Olympiques de Pyeongchang l'an prochain ? 

 

Sur place : Kate Royan