Paul Binnebose, le miraculé

© University of Delaware
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On a tout entendu sur le patinage artistique. Poudre aux yeux, sport de fillettes, voire même pas sport du tout. Or, non seulement le patinage est bel et bien un sport mais c'est un sport exigeant et même ingrat car il prend parfois plus qu'il ne donne à ceux qui le pratiquent. Et il n'est pas sans danger. Des trois disciplines, le patinage par couple est celle qui enregistre le plus d'accidents graves. L'histoire de Paul Binnebose, patineur de couple américain, illustre très bien, hélas, ce qui peut arriver...

 

Septembre 1999. Paul Binnebose et Laura Handy, patineurs de couple, sont sur la glace de l'Arena de l'Université du Delaware. Seconds des championnats du Monde et de la finale du Grand Prix Junior, troisièmes de leur championnat national en catégorie senior la même année, ils s'entraînent en vue du prochain Skate America. A plus longue échéance, leur but est de participer aux Jeux Olympiques de Salt Lake City (2002). 

 

Alors qu'il répètent un porté "Star Overhead", Paul, qui ne sait pas qu'une ancienne blessure a fragilisé une de ses vertèbres, ressent une brutale douleur dans le dos. Il perd l'équilibre, part à la renverse et entraîne sa partenaire qui s'écrase sur lui. La chute de Laura est amortie par le corps de Paul, elle est indemne. Mais le crâne de Paul a heurté la glace avec une telle violence que les gens présents dans la patinoire ont entendu l'os craquer. Paul saigne du nez et des oreilles. Il souffre d'une fracture du crâne, une fracture verticale du cou jusqu'au front. Il convulse si fort que Laura doit lui tenir la tête à deux mains pour qu'il ne heurte pas de nouveau la glace. Il est transporté d'urgence au Christiana Medical Center de Newark, Arrivé sur place, il cesse de respirer. Sa mère entend l'équipe médicale annoncer qu'il a les pupilles fixes et dilatées. "C'est fini, il est mort", pense-t-elle, effondrée.

 

Elle se trompe. Paul est vivant. Mais l'importance de la fracture a provoqué un oedème cérébral massif. Un seul moyen de lui sauver la vie - ou tout au moins d'essayer,  car l'exercice est ultra-risqué - : retirer une partie de sa boîte crânienne afin de libérer de la place pour son cerveau dont le volume est devenu critique. Le chirurgien pratique un incision d'une oreille à l'autre, et ouvre une "fenêtre" sur son front en ôtant un large rectangle d'os. C'est l'opération de la dernière chance, ou plutôt de l'unique chance... Le morceau d'os est congelé à - 20° C. On enveloppe la tête de Paul et sur le bandage on écrit : "Absence d'os frontal, ne pas appuyer !" Le cerveau de Paul n'est plus protégé que par sa peau. Il est mis en coma artificiel pour aider l'odème cérébral à se résorber. Les médecins ne se prononcent pas. Personne ne sait s'il vivra. Ni, s'il vit, dans quel état. Quelqu'un reste en permanence dans sa chambre au cas où... Pour qu'il ne meurt pas seul.

 

"Si la chirurgie ne l'a pas sauvé, elle ne l'a pas tué non plus, c'est déjà ça", soupire un de ses médecins. Mais de nouveau, alors qu'il est en plein coma, Paul cesse de respirer. Oedème pulmonaire. Compliqué d'une infection du sang et du coeur. L'espoir décline aussi vite que sa tension artérielle. On ponctionne et on draine des poumons que l'oedème a bien abîmés. L'un des deux est totalement collapsé. Soyons clairs : à sa place, personne ne s'en sortirait. Mais Paul est un athlète, un battant, et il a la constitution qui va avec. Et surtout, il a de la chance. Parce qu'à ce stade, il en faut ! Et comme il n'en est plus à un miracle près... Il se remet à respirer.

 

Son premier instant de réelle conscience ? Dix jours plus tard. Paul sort lentement du coma après cinq semaines. Il essaie de parler, n'y parvient pas, panique. Il ne comprend pas ce qu'il fait là, à quoi servent ces tuyaux auxquels il est branché. On lui explique. Il n'assimile pas du premier coup. Il demande à sa mère de contacter l'ami "avec lequel il doit passer le prochain week-end". Il y a deux mois que le-dit week-end est passé ! On parle à Paul d'accident et il associe le mot à son dernier souvenir conscient : il est au volant de sa voiture en route pour Baltimore où il doit essayer des costumes. "Non ce n,'est pas un accident de la route. Tu es tombé à l'entraînement, tu t'es fracturé le crâne le 29 septembre. Nous sommes en novembre". ?? Sensation étrange que celle d'avoir été absent de soi-même pendant des semaines, perdues, envolées.

 

De son côté, Laura a assisté impuissante aux fluctuations de l'état de santé de son partenaire. L'accident a eu sur elle des répercussions inattendues et pénibles. Le jour de la chute, elle pesait 45 kilos pour 1 mètre 64. Elle est persuadée que c'est son poids qui a causé l'accident. Alors qu'il est on ne peut plus normal, voire léger, pour une patineuse de sa taille. En conséquence, elle se punit,  cesse de manger. Et tombe malade : mononucléose. C'est peut-être sa façon d'accompagner Paul dans son calvaire. Elle n'est pourtant coupable de rien. Du tout. C'est une vieille blessure jamais diagnostiquée qui a causé la chute de Paul, rien d'autre. 

 

Paul est vivant, sorti du coma, il parle. Mais les médecins ne lui donnent pas plus de 10% de chance de reprendre un jour une vie normale. Il souffre de séquelles très importantes, handicapantes. Lui qui avait l'habitude des acclamations dans les patinoires à la réception de ses triples sauts,  est aujourd'hui applaudi par son entourage lorsqu'il parvient à lever le pouce ou à tirer la langue. Une paralysie faciale lui fait voir double de l'oeil droit. Pour garder l'équilibre, il doit porter un bandeau et des lunettes. Comme tous les gens passés par un coma, il a perdu le réflexe de la déglutition et s'étrangle en avalant. Il a totalement perdu l'odorat, et au contraire de sa vue qui s'améliorera peu à peu, c'est un sens qu'il ne recouvrira jamais. Si son poumon affaissé ne reprend pas sa position intiale, il faudra opérer. Une partie de ce poumon est de toute façon perdue. Malgré ce bilan très lourd, on remet à Paul son bout de front manquant. Il sort de l'hôpital le 30 novembre, soit à peine un mois après l'accident qui a failli le tuer. Et devinez quoi ? Il veut recommencer à patiner...

 

Autour de lui, c'est un tollé général. Famille, amis, médecins, tout le monde hurle. "Tu te cognes la tête et tu es mort, tu n'as absolument aucune marge de sécurité" explique le neurologue. Paul est bouleversé. Il ne conçoit pas la vie ailleurs que sur la glace. Sa famille a été contrainte à de tels sacrifices pour qu'il intègre l'élite de son pays... Le patinage est toute sa vie depuis dix-sept ans. Il n'en a que vingt-deux. Il négocie : une tentative, une seule, sous haute surveillance, avec casque obligatoire.

 

Paul a un gros avantage sur son entourage : il ne se souvient pas du tout de l'accident. Ceux qui en ont été témoins, eux, ne sont pas près d'oublier... Paul n'a pas d'appréhension mais il réalise que le seul fait de lacer ses patins l'épuise. Jusque là, il n'avait pas eu conscience de la gravité de son état. Il est catastrophé. Grâce à la rééducation, les difficultés vont lentement reculer. Mais sur la glace c'est un autre combat. Même si, curieusement, il a moins de problèmes d'équilibre sur les patins et sur la glace que dans ses baskets et dans la rue, Paul comprend très vite qu'il ne retrouvera jamais son niveau. Mais renoncer pour de bon ? Pas question.

 

Aux championnats nationaux de l'année suivante, Paul et Laura sont officiellement honorés pendant la cérémonie d'ouverture. Beaucoup d'émotion pour les athlètes et les spectateurs ce jour-là. Paul s'appuie sur sa partenaire. Il n'a plus besoin de bandeau mais la moitié de son visage est encore paralysée. Celui qui fut une "gueule d'ange" aux traits fins et aux boucles blondes est aujourd'hui défiguré. Il s'en fout. Un projet est en train de germer dans sa tête.

 

Laura ne veut plus patiner tant que Paul ne pourra pas remonter sur la glace. Il l'encourage à trouver un autre partenaire. "Tu as trop de talent pour m'attendre pendant des mois, des années et peut-être pour rien". Elle ne veut rien savoir. Il insiste, plaide, explique, se fâche même si besoin. Dans leur club,  un patineur de couple et sa partenaire viennent de se séparer (Jennifer Don et Jonathon Hunt). "Pourquoi tu n'essaierais pas avec lui ?"

 

Elle essaie et ça marche. Elle avait tellement envie de retrouver la glace, mais elle n'osait même pas se l'avouer. Paul sourit. Il est heureux. Il ne quittera pas la glace non plus. Il va devenir coach ! Il part à Houston entamer une nouvelle vie. Plus tard, Laura changera de nouveau de partenaire pour patiner avec Jeremy Allen. Elle est aujourd'hui entraîneur au club de Bay Country à Harrigton dans le Delaware. Après un passage par Los Angeles, Paul, installé à Denver,  enseigne le patinage à des enfants de 7 à 12 ans. Il a épousé Lisa, une patineuse présente le jour de l'accident et ils ont une fils, Ethan. Il a même rechaussé les patins pour un gala à Colorado Springs, incarnant le Prince du Casse-Noisette. Il dit ne rien regretter. "A l'échelle du monde, ce qui m'est arrivé n'est rien. Je n'ai plus de troubles neurologiques ni de paralysie. Je n'ai aucune raison de m'apitoyer sur moi-même". Chapeau quand même Monsieur Binnebose. 

 

KR

 

VIDEO : reportage de la chaîne USA Today (en anglais)

© usatoday
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